Aller au contenu principal

La grand-messe dont la Tunisie avait besoin

Par ESTELLE MAUSSION - Publié en décembre 2016
Share
Au lendemain de la conférence Tunisia 2020, qui a permis au pays de lever 34 milliards de dinars (soit 14 milliards d’euros) en prêts, dons et reconversion de dette, l’heure est à l’optimisme. Pourtant, le plus dur reste à faire.
 
« Les Tunisiens sont d'humeur maussade. Ils ont besoin d'une bonne nouvelle. » C'est ce qu'on entendait aux abords du Palais des Congrès de Tunis pendant les deux jours de la conférence Tunisia 2020. Une croissance en berne, limitée à 1,4% cette année, bien loin de la moyenne de 4,5% enregistrée ces dernières décennies. Une situation sécuritaire tendue, résultat d'une année 2015 meurtrière, avec trois attentats terroristes, puis un nouvel assaut en mars dernier, qui ont ruiné l'image du pays sur le plan touristique. Un ras-le-bol social généralisé, celui des plus pauvres en prise avec le chômage, celui des professions libérales en opposition avec les réformes annoncées par le gouvernement, celui des plus favorisés inquiets de voir leurs privilèges se réduire. Dans un tel contexte, pas étonnant que les autorités, le secteur privé, la population, et le pays dans son ensemble, soient à la recherche d'une bouffée d'air frais.
 
En ce sens, la conférence Tunisia 2020 a été une réussite. Elle a prouvé qu'il est possible d'organiser une grand-messe internationale, avec plus de 4500 participants de 70 pays, en plein cœur de la capitale tunisienne. L’impressionnant dispositif de sécurité, les moyens logistiques mobilisés et une communication affûtée ont bien vite fait oublier une distribution des badges d'accès quelque peu laborieuse. Quant aux Tunisiens, malgré les embouteillages créés par le rassemblement, ils ne se sont pas départis de leur hospitalité légendaire. Ensuite, l'événement a permis à la Tunisie de démontrer qu'elle peut toujours compter sur « ses amis à travers le monde », comme l'a souligné le ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, Mohamed Fadhel Abdelkefi lors de la cérémonie de clôture. Avec à la clé, quelque 34 milliards de dinars récoltés (15 fermes, 19 de promesses), un résultat global conséquent, qui équivaut au budget pour 2017. La France, l'Union européenne, les institutions de développement, les pays du Golfe - Qatar et Arabie saoudite mais aussi Koweït - ainsi que l’Allemagne, le Canada ou encore la Turquie ont en effet répondu présent.
 
NOUVEAU SOUFFLE NATIONAL 
 
Toutefois, l’exercice Tunisia 2020 a surtout eu une vertu au niveau interne et plus précisément psychologique. Il s’agissait de redonner un souffle, un élan national. Les ministres présents à chaque table ronde n'ont cessé de le dire : après avoir réussi sa transition démocratique, la Tunisie a les moyens de devenir une « success-story » économique, il suffit d’y croire. « Avec la volonté, tout peut s’accomplir. Il faut retrouver confiance en soi », a insisté, exalté, le Premier ministre, Youssef Chahed, en clôture de la conférence. Martelé de la sorte, le discours suivait la méthode Coué, ressemblant à une séance de coaching personnalisé, une opération quasi cathartique aux visées auto réalisatrices. Comme s'il fallait créer une nouvelle euphorie collective pour prendre le relais de celle, passée, de la révolution de 2011, et gommer les désillusions socio-économiques associées aujourd’hui au tandem liberté-démocratie.
 
Il faut maintenant transformer l'essai. Passer des discours aux actes. Traduire les promesses d'investissements en chantier aux quatre coins du pays. Bref, le plus dur reste à faire. À écouter les débats, on peinait à voir émerger des solutions concrètes, des partenariats solides, des preuves qu'une réforme est effectivement en marche. On a vu les ministres être pris à parti par des chefs d'entreprise excédés par la bureaucratie et, en retour, les fonctionnaires, du haut en bas de l’échelle, dénoncer les réticences du privé à respecter les lois, contribuer à l’impôt, penser collectif, un jeu de dupes hérité du système Ben Ali puis des difficultés de gouvernement post-2011. On a aussi senti les profonds et nombreux antagonismes qui traversent la société tunisienne, islamistes contre laïcs, libéraux contre dirigistes, jeunes contre vieux, citadins contre ruraux, riches contre pauvres… Tout le monde est d’accord pour moderniser le secteur du tourisme, relancer celui du textile, développer l’industrie automobile. Mais impossible d’obtenir un consensus sur le comment. D’ailleurs, de nombreux acteurs ont pointé l’absence de grandes annonces de la part d’acteurs mondiaux privés. Outre quelques partenariats signés, avec Microsoft, PSA, Al Majida et Airbus Safran, aucune avancée industrielle majeure n’a été actée, comme certains l’espéraient avec General Electric par exemple. Tout le monde appelle à une simplification administrative pour mettre fin à l’inertie. Mais personne ne sait par où commencer ni ne veut faire le premier pas. Même chose sur l’impérative création d’emplois, l’urgente insertion dans une économie mondialisée, le nécessaire investissement dans la formation. Pour « délivrer », un anglicisme répété à l’envi pendant ces deux jours, la Tunisie doit bâtir un nouveau contrat social. C’est la prochaine mission du gouvernement s’il veut réussir à passer à l’action.