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Pascal Nzonzi

La mémoire dans la peau

Par Astrid Krivian - Publié en juillet 2016
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Photo: Amanda Rougier

Révélé au grand public dans Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, le comédien revient sur ses quarante ans de carrière, la célébrité soudaine et son rapport à la RDC, sa terre d’origine.

Les mots, Pascal Nzonzi connaît. Il les aime, s’en nourrit, s’en délecte et les choisit avec soin. Comme s’il savait que si le comédien s’astreint à ne pas trahir un texte, l’homme, lui, ne doit pas se mentir à lui-même. Alors, les formules toutes prêtes, trop peu pour lui. Chaque parole est articulée, parfois chantée, avec ce timbre grave qui sied si bien à ceux qui ont grandi au théâtre. Ce jour-là, près de chez lui, au bord d’une rivière dans un hameau au cœur de la Beauce (« le grenier de la France »), ce fils d’agriculteur, né et élevé en RDC, semble en verve. Pour notre plus grand plaisir…

AM : La petite controverse liée aux Visiteurs 3 [son nom avait disparu de l’affiche, NDLR] est-elle symbolique du fait que certains acteurs seraient moins égaux que d’autres ?
Pascal Nzonzi  : Non, c’était juste un malheureux concours de circonstances. À l’occasion, j’ai d’ailleurs dit préférer être connu pour ma carrière que pour cet incident anecdotique. Il n’y avait pas lieu de polémiquer.

Pourquoi, selon vous, y a-t-il encore si peu de comédiens noirs sur les écrans français ?
C’est inhérent au regard étriqué de la société. Une vision stéréotypée, ethnocentriste. Je ne crois pas au fait de « rendre visible » une minorité invisible : c’est un slogan, ça ne veut rien dire ! Je pense plutôt que les auteurs manquent d’inspiration, d’ouverture pour proposer autre chose aux acteurs noirs que des rôles de balayeurs, dictateurs ou dealers. Ce qu’on voit à la télévision, par exemple, n’est pas représentatif de la mixité culturelle de la France.

Vous n’avez donc pas rencontré de difficultés particulières durant votre carrière ?
Si, celles de… tout comédien : l’attente entre les rôles, pointer au chômage… J’ai pu être frustré, pas découragé. Mais je ne me suis jamais dit que j’allais galérer en tant qu’acteur africain en France. Ah non ! Si on se met un caillou dans la chaussure, on n’avance pas. Il faut gagner sa place, travailler constamment même pour un petit rôle.

On a l’impression que, de Shakespeare à Brecht, c’est le théâtre qui vous a procuré plus d’opportunités…
Au théâtre, ce qu’on m’a donné à faire était géant. Tous les grands rôles que j’ai eus ! Le cinéma, c’est un autre monde, il faut faire sa place petit à petit. Mais quand on m’en donne la possibilité, je m’y investis totalement.

Mais vous devez au théâtre votre arrivée en France…
Oui. J’ai grandi en RDC, à Lutendele, un village au bord du f leuve Congo. À 18 ans, je découvre le théâtre à Brazzaville : j’assiste à une pièce, je comprends que ma place est là. Mais je ne sais pas alors qu’on peut en faire un métier ! Tout ce que je cherche, c’est perpétuer mon amour des textes. Après avoir intégré le Théâtre national congolais, j’ai eu l’opportunité de faire une formation à la Maison de la culture du Havre. J’ai découvert d’autres auteurs, modernes, contemporains… Puis, au Festival d’Avignon, on a joué Chant général, de Pablo Neruda. La salle était comble… C’est là que j’ai su que je ne m’étais pas trompé. Je suis retourné au Havre et là, le poète chilien en personne est venu assister à notre représentation !

Mais Paris s’impose pour tout comédien qui souhaite percer…
Oui, je m’y suis rendu ensuite : il me fallait franchir un palier. C’est ce que Pierre Debauche, qui fut mon professeur et à qui je dois tant, nous a appris : peu importe la longueur de nos répliques, lorsque vous entrez en scène, vous êtes au centre de l’univers. Antoine Vitez aussi – homme de théâtre mais aussi militant politique membre du Parti communiste – m’a beaucoup apporté. Pour expliquer une chose très simple, il nous citait dix auteurs…

Faut-il s’exiler, partir d’Afrique, pour réussir, notamment dans le cinéma ?
C’est un triste constat : il n’y a pas d’industrie cinématographique. Où sont les salles de projection ? Notre continent est riche, il y a des investisseurs, des hommes d’affaires… Pourquoi ne misent-ils pas sur ce domaine ? Il y a des écoles de footballeurs, on les entraîne et ils rejoignent ensuite des grands clubs en Europe. Pourquoi ne serait-ce pas pareil pour les acteurs ? Il faut créer des structures, former tous les corps de métier, produire des films. S’ils n’ont pas la possibilité de pratiquer leur métier, leur talent ne peut pas s’épanouir.

C’est ce que vous constatez en allant sur le terrain ?
Je ne vais pas forcément en RDC, mais beaucoup en Afrique de l’Ouest. C’est ma façon d’être Africain. J’observe les mentalités, si différentes d’un pays à l’autre. Je m’intéresse à l’histoire. Des grands guerriers de ces pays ont combattu les injustices, les invasions étrangères, l’esclavage. Nous n’avons pas courbé la tête comme certains le pensent ! Je suis fier d’avoir de tels ancêtres. Mais le constat sur mon continent est parfois douloureux. Quand je vois les masques africains dans les musées français, j’ai mal. Pourquoi ne sont-ils pas en Afrique ? Et on entend ces discours paternalistes qui prétendent que nous n’avons rien créé ? Mettre ces masques derrière des vitrines, c’est enfermer les esprits dont ils sont les intercesseurs. Leur fonction sacrée est transgressée.

Vous avez été seul en scène avec Cahier d’un retour au pays natal, d’Aimé Césaire. Comment avez-vous travaillé cette œuvre fondatrice du mouvement de la négritude ?
C’était un travail colossal qui m’a fait grandir. Je me suis isolé pendant un mois. Pour entendre l’auteur me parler, saisir sa pensée, épouser son combat. C’était un peu dangereux car plonger dans ce texte puissant vous amène très loin. Toutes ces souffrances du peuple noir dont il parle vous traversent. Quand vous l’incarnez, vous n’êtes plus spectateur de ce drame : il est désormais en vous. J’ai eu la chance de le jouer devant Aimé Césaire à Fort-de-France. Un auteur comme celui-là nous apporte des réponses sur le monde et ses blessures. Ça nous évite de nous torturer, de douter.

Votre carrière au théâtre a pris de l’ampleur avec Le Bal de Ndinga, de l’auteur congolais Tchicaya U Tam’si, sous la direction de Gabriel Garran. Qu’est-ce qui vous a touché dans ce texte ?
Il parle de cette période pendant laquelle j’ai grandi, quand on allait donner l’indépendance au Congo. Or – je cite Césaire –, « l’indépendance ne se donne pas. Elle se prend, […] se paye en sang ». Avec ce texte superbe, j’ai compris l’histoire derrière ces événements. C’est un devoir citoyen de le jouer, il faut témoigner, simplement. Car notre histoire – c’est inacceptable ! –, on ne nous l’enseigne pas. À l’école, on nous disait « nos ancêtres les Gaulois » ! Aujourd’hui j’en rigole, mais à l’époque… On connaissait mieux la géographie européenne qu’africaine.

Vient donc l’incroyable aventure de Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?… Comment vit-on un succès comme celui-là (plus de 12 millions d’entrées en France) ?
C’est l’exemple d’un auteur qui a l’esprit ouvert et qui s’est inspiré de son vécu pour écrire une belle histoire. Philippe de Chauveron était un peu le mouton noir de sa famille d’aristos, il était marié à une Sénégalaise, a vécu en Afrique. Ce qui fait plaisir, ce sont les spectateurs d’origine africaine qui me disent : « On est fiers car on a enfin un personnage qui nous ressemble au cinéma ! » Mais le succès ne change rien sur ma façon de vivre ni de travailler. Derrière ce rôle, il y a quarante ans de carrière.