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Le cercle non-vertueux

Par Emmanuelle Pontié - Publié en octobre 2017
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Il est tout de même étonnant que la corruption dans nos zones africaines francophones prospère, galope, s’étende à une vitesse aussi vertigineuse. Elle gagne peu à peu des pays qui ne la connaissaient pas jusqu’alors. Sans que les systèmes ne s’en émeuvent. Pire, elle semble finalement arranger tout le monde.
 
Du plus petit fonctionnaire qui double le prix d’un timbre fiscal à son guichet au ministre qui demande droit dans les yeux à son prestataire de services combien tel marché public va lui rapporter, en passant par les joyeuses taxes fantaisistes ou les détournements sans ambages de tel ou tel budget alloué, décaissé trois ou quatre fois du Trésor public, chacun y trouve son compte et arrondit allègrement ses fins de mois. Passons sur la kyrielle de dossiers, dans les ministères, à la caisse d’allocations de ceci ou cela, à tel ou tel concours, remis sous la pile, en attente de gombo sonnant et trébuchant pour aboutir. Ce genre de pratiques est le lot quotidien de tous et dans tous les domaines. Chacun en pâtit à un moment et en profite à un autre. Et lorsque le vol, petit ou grand, est pratiqué par tous, il devient bien entendu la norme. Pire, celui qui est honnête passe pour un plouc auprès de ses congénères. 
 
 
Et les valeurs s’inversent. Arrondir ses revenus est intelligent, ne pas le faire est stupide. Mieux, le grapillage à tous les étages permet aux foyers de s’en sortir et aux pouvoirs politiques de ne pas augmenter les salaires, minables pour la plupart du temps. Et la corruption crée une sorte d’équilibre, maintient les peuples en paix, garantit un salaire complémentaire… Le problème, bien sûr, c’est qu’elle induit en parallèle un cercle vicieux. Plus on pompe dans les caisses, plus le pays plonge dans le rouge. Les estimations de l’évaporation des fonds dans certaines contrées, lorsqu’elles existent, donnent le tournis. De quoi paralyser le système logique de redistribution sociale, des assurances sociales aux retraites, ou encore l’amélioration des infrastructures ou des indices économiques.
 
En gros, l’arrimage des nations africaines aux progrès mondiaux dans tous les secteurs devient un mirage. Il y a certainement d’autres freins au développement et à l’émergence, pour utiliser un mot à la mode. Mais la corruption érigée en réponse organisée à la pauvreté, et qui s’ancre profondément dans les rouages d’une société et dans la mentalité collective, est l’un des facteurs de blocage les plus inquiétants qui existent. Justement, parce qu’elle n’inquiète plus personne…