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Jawhar

Le soulman de Radès

Par jmdenis - Publié en juin 2015
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C’est l’heureuse surprise dès les premières notes du magnifique titre intitulé « Idhallil ». Comme des arpèges de banjo sur lesquels s’élance un chant posé rythmiquement dans la tradition du chaâbi. Des textes en arabe, français et anglais. Guitare légèrement électrifiée, basse, batterie et synthés. Et voguent les atmosphères bluesy ! À la manière d’un Neil Young ou d’un Nick Drake qui promènerait ses ambiances laid-back entre Rabat et Tunis. Et ferait un détour par Saint-Germain-des-Prés, si l’on en juge par un spleen prédominant et des mélodies en mode mineur qui évoquent une certaine chanson française (Serge Gainsbourg, Françoise Hardy…), à l’instar de « Le Reste est ennui ». L’album, sorti en mars, s’appelle Qibla Wa Qobla (Le Baiser et l’Orientation de la prière). Et son auteur, Jawhar, un Tunisien né à Radès, dans la banlieue de Tunis, il y a 38 ans, au sein d’une famille d’intellectuels. Une maman, professeur de littérature arabe (« C’est elle qui m’a donné ce prénom peu courant, Jawhar, qui signifie perle ou quintessence »). Et un papa, qui aura longtemps été homme de théâtre avant de devenir ministre de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine de 2008 à la révolution de 2010. « Être le fils de Abderraouf el-Basti n’était pas facile à assumer. Je ne me voyais pas évoluer dans la Tunisie de Ben Ali… »

Jawhar saura donc prendre ses distances. Il part en 1996 pour la France faire ses études et commence à écrire des chansons. Il s’installe finalement en Belgique « où les gens sont plus détendus, moins poseurs ». Il enregistre, en 2007, un premier album, When Rainbow Calls, My Rainbows Fly. Mais reviendra en Tunisie par la grande porte du succès. Chargé de la composition et de l’interprétation de la partie musicale, il est un des trois concepteurs, avec le metteur en scène Lotfi Achour et la comédienne Anissa Daoud, de Hobb Story, Sex in the Arab City : une comédie sur les jeux de l’amour oriental, sur « cette coupure schizophrénique entre ce que les gens vivent en matière de sexe et ce qu’on leur montre à la télévision ». Cette pièce sera un des sommets de la saison théâtrale tunisoise 2010. Le trio récidive en 2012 avec Macbeth: Leïla and Ben (toute ressemblance avec un couple présidentiel déchu n’est absolument pas fortuite !). Cette adaptation en arabe dialectal de la célèbre tragédie de Shakespeare sera jouée à Londres et Tunis. Jawhar chargé, là encore, de la « mise en musique », interprète aussi le rôle de Mac’zine. « Mais, s’empresse de préciser l’artiste, ce qui me représente le plus, c’est la musique qui est le reflet de mon âme. » Qui en douterait ?