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Sénégal

Le succès des séries télé nourrit le théâtre et le cinéma

Par Julien Wagner - Publié en mai 2017
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Dinama Nekh, Wiri Wiri, La vie est belle, Tundu Wundu ou Un café avec… Depuis quelques années, les épisodes MADE IN SÉNÉGAL cartonnent au pays.
 
« Jusqu’ici, l’art ne nous avait jamais nourris… » Cheikh Ndiaye est fier et on le comprend. Réalisateur et acteur principal de Wiri Wiri (« Tourner autour du pot », en wolof), sait de quoi il parle. Avant de devenir l’idole de millions de Sénégalais à travers les aventures de Jojo et de sa femme, Soum boulou, il a « galéré ». Dès l’âge de 15 ans, il fondait à Thiès, avec deux amis (Cheikhou Gueye et Aziz Niane), la Troupe du soleil levant, une compagnie de théâtre jeune et motivée qui se débrouille sans soutien institutionnel. « À partir de 1994, on a commencé à organiser des soirées théâtrales, raconte-t-il. La place coûtait entre 50 et 100 francs CFA… On faisait ça par passion. Pendant des années, on a couru derrière les producteurs et les télévisions pour qu’ils financent ou passent nos sketchs. » En vain, généralement.
 
Mais, en 2012, enfin, c’est l’étincelle. La série Un café avec… produite par Cheikh Yérim Seck et tournée avec des people locaux, fait un tabac sur la chaîne TFM. « Cela faisait presque vingt ans qu’il n’y avait que des télénovas mexicaines ou brésiliennes à la télé, se souvient Alassane Cissé, journaliste culturel.
 
Cette série a représenté un véritable bouleversement, un fait de société. Les chaînes ont enfin compris que cela pouvait rapporter de miser sur des artistes de chez nous. » Dans la foulée sont produits Dinama Nekh (diffusé par A+), Wiri Wiri ou encore La vie est belle du cinéaste Moussa Sène Absa. « En voyant le succès d’Un Café avec…, explique Cheikh Ndiaye, on s’est dit “OK, ça, c’est notre métier. Nous, on ne fait pas du ballon : on fait du théâtre, du cinéma. On doit pouvoir s’en sortir.” Et, manifestement, nous n’avons pas été les seuls à penser la même chose. » Un foisonnement qui change radicalement le paysage artistique local. « Ces créations ont permis l’éclosion d’une nouvelle génération de comédiens, de réalisateurs et de structures de production », observe Alassane Cissé. L’argent de la publicité et des sponsors permet enfin de rémunérer les artistes et la production se bonifie. L’État embraye. Le budget alloué à la culture passe de 12 milliards de francs CFA en 2015 à 27 milliards en 2017, décrétée « Année de la culture » par le chef de l’État Macky Sall.
 
Une effervescence qui produit indéniablement des résultats. Lors du Fespaco 2017 à Ouagadougou (du 25 février au 4 mars), outre quatre prix décernés au cinéma sénégalais (dont l’Étalon d’or pour Félicité, d’Alain Gomis), Tundu Wundu (« La Montagne des malfaiteurs », en wolof) remporte ainsi le prix de la meilleure série.
 
Et n’allez surtout pas dire que la production télévisuelle nuit à l’industrie cinématographique. Au contraire, l’une vient nourrir l’autre. « Au Sénégal, le cinéma ne rapporte pas d’argent, moins même que le théâtre, regrette Cheikh Ndiaye. C’est très difficile d’en vivre. Mais le succès de Wiri Wiri va nous permettre de financer des projets auxquels nous n’aurions jamais pu rêver avant. Par exemple, nous partirons cette année faire une tournée internationale avec une pièce de notre création pour rencontrer la diaspora sénégalaise qui nous connaît et nous suit. Mais nous allons aussi participer à différents festivals de théâtre qui se tiennent à Dakar et, si Dieu le veut, nous réaliserons bientôt un film dans les studios Atlas de Ouarzazate au Maroc. » La culture fonctionne ainsi. Les réussites des productions populaires offrent les moyens de créer des oeuvres plus risquées. À condition, bien sûr, de continuer à entretenir le cercle vertueux.