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LES QUATRE DÉFIS DU MAROC

Par Julie Chaudier - Publié en janvier 2018
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Luttes sociales 
L’an prochain, le premier défi du Maroc sera avant tout social et politique. À deux ans de l’échéance de la plupart des grands plans de développement sectoriels, les explosions de colère sporadiques révèlent les déséquilibres induits par la croissance économique du Royaume. Le verdict du procès des militants du Hirak, et en particulier de son leader Zefazafi, sera rendu cette année. Ce mouvement qui dure depuis octobre 2016 est né en réaction à la mort d’un commerçant d’Al Hoceima, dans le nord du Maroc, qui voulait empêcher la police de détruire sa marchandise illégale. La révolte s’ancre dans le sentiment exacerbé de la région d’être mise à l’écart par le pouvoir central. Une frustration largement partagée par le « Maroc inutile », cette partie du pays qui vit loin de l’axe urbain « utile » Tanger-Rabat-Casablanca-Marrakech. Il se retrouve dans chacun des mouvements sociaux survenus en 2017, comme les « manifestations de la soif » à Zagora fin octobre dernier. Quand on franchit le col Tizi n’Tichka, dans le Haut Atlas, on se demande si l’on est encore au Maroc. « D’un côté de l’Atlas, il y a le TGV et le lancement d’un satellite; de l’autre, nous n’avons même pas d’eau potable », ironise un habitant de Zagora. Dans ce contexte, « il est impossible qu’une population ne qualifie pas en termes moraux, et donc politiques, les inégalités socio-économiques et territoriales qui constituent la substance de son quotidien – avec, bien sûr, d’autres choses bien moins dramatiques », analyse Jean-Noël Férrié, directeur de Sciences Po Rabat. C’est bien là ce que craint le Palais.
 
Flux migratoires
Le Maroc demeure un chemin majeur de transit vers l’Europe. Et le débat fait rage. Le pays est-il destiné à être le « garde-frontière » des pays de l’Union ? Récemment, fin novembre, des échauffourées ont éclaté à la gare routière de Casablanca entre des migrants et des citoyens marocains. Elles sont la conséquence des contradictions internes à la politique du Royaume dans ce domaine. Si un campement de migrants s’est installé en plein coeur de Casablanca, c’est qu’ils ont été amenés là par les forces de l’ordre elles-mêmes après avoir été arrêtés dans le nord du Maroc, près de ses frontières avec l’Union européenne (Ceuta et Melilla). En d’autres temps, ces « passagers clandestins » auraient été renvoyés sans ménagement vers le Sud ou à la frontière avec l’Algérie. Mais, depuis 2013, le Maroc a fortement infléchi sa politique migratoire. Une évolution en réaction à la fermeture massive de l’espace européen, mais aussi en lien avec les Printemps arabes, le développement rapide de la société civile, la percée diplomatique et économique du Royaume en Afrique. Depuis 2014, le roi Mohammed VI a ainsi lancé deux opérations de régularisation certainement généreuses, mais qui ne règlent pas le problème à moyen terme.
Ces campements plus ou moins sauvages au coeur des grandes villes deviennent de véritables bombes à retardement. « À chaque fois que l’on sort [du campement de la gare] pour “faire Salam” [mendier, NDLR], ce n’est pas pour rester au Maroc, mais c’est pour passer en Europe. [Les Marocains] n’ont qu’à nous laisser faire notre choix », a lancé l’un des migrants subsahariens à la presse le soir de l’incident.
 
Un deal africain
En dépit de ces contradictions, Mohammed VI a bien compris tout le bénéfice qu’il pouvait tirer de la situation géopolitique du Maroc au carrefour de l’Europe et de l’Afrique. « En tant que leader de l’Union africaine sur la question de la migration, j’ai à coeur de soumettre, lors du prochain sommet de l’UA, des propositions à mes frères et soeurs les chefs d’État, pour développer un véritable agenda africain sur la migration », a déclaré le roi lors du sommet UA-UE, fin novembre dernier. Ce mandat place le Maroc dans une position avantageuse au sein de l’Union africaine, qu’il a rejointe en janvier dernier. Et va pouvoir ainsi travailler à ce qui reste l’un des objectifs majeurs de sa diplomatie continentale : l’exclusion de la République arabe sahraouie démocratique (RASD).
Un objectif contrecarré bien évidemment par les soutiens sahraouis traditionnels, Algérie, Afrique du Sud… 2018 verra peut-être également l’adhésion formelle du Maroc à la Cédéao. Après un accord de principe donné en juillet, celle-ci sera discutée au prochain sommet des chefs d’État de Lomé le 16 décembre 2017. Sur ce front, et malgré l’optimisme marocain, rien n’est encore gagné. Le Nigeria, pays le plus influent de la région, ne s’est pas encore prononcé. Et la plupart des fédérations patronales des pays de la Communauté sont vent debout contre le projet, estimant que le mariage profiterait essentiellement au Maroc, à ses produits, à ses entreprises, sans véritables contreparties pour les pays du Sud.
 
Partenariat européen
Tandis que le Maroc renforce vigoureusement sa relation avec l’Afrique, que va-t-il advenir de ses liens avec l’Union européenne ? Les discussions pour l’Accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca) entre le Maroc et l’UE, suspendues en juin 2014 afin que le Maroc puisse réaliser sa propre étude d’impact, n’ont jamais repris, bien que l’étude soit achevée. Début novembre dernier, les négociations des « priorités de partenariat » qui définissent le cadre de la coopération financière des deux partenaires n’avaient toujours pas commencé, alors que le précédent « Plan d’action » s’achève fin 2017. L’arrêt de décembre 2016 de la Cour européenne de justice, qui casse l’annulation de l’accord agricole entre l’UE et le Maroc, explique probablement ce blocage. Il considère en effet que l’accord agricole ne s’applique tout simplement pas au Sahara occidental ! Un désaveu pour le Maroc, qui vient conforter le royaume dans sa nouvelle stratégie de politique étrangère exposée en avril 2016 à Riyad. Elle prévoit une diversification des alliances du Royaume afin de réduire sa dépendance vis-à-vis de ses partenaires historiques. L’apparition, début décembre, du Maroc dans la liste « grise » des paradis fiscaux définie par l’Union européenne ne peut que renforcer une nouvelle fois la méfiance et les préventions du gouvernement marocain.