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Parcours

Maryam Madjidi : militantisme, enfance, exil

Par CATHERINE FAYE - Publié en juin 2017
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Des parents communistes engagés, la brutale répression des années Khomeyni… Contrainte à abandonner son pays puis sa langue, elle livre aujourd’hui un conte autobiographique, couronné par le Goncourt du premier roman.
 
Elle est belle, jeune, libre. Le Goncourt du premier roman vient de couronner Marx et la poupée, un texte dans lequel elle s’interroge sur ses origines iraniennes. « Je déterre les morts en écrivant. C’est donc ça mon écriture ? Le travail d’un fossoyeur à l’envers. » À 37 ans, voilà Maryam Madjidi écrivaine et reconnue par ses pairs. Son premier roman claque comme un étendard dans la tempête, ses premières pages agrippent le lecteur, son style déroute, « une fille pousse dans le ventre d’une femme » écrit-elle, et cette fille ne vous lâche plus. Madjidi est d’abord une surprise. On entre dans son histoire comme dans un film. Ou un one-woman-show. Elle se raconte au fil d’un récit construit comme un conte oral, fragmenté, un zeste de poésie par-ci, une anecdote par-là. Son rythme particulier saisit.
 
« Au début, elle est une voix, seulement une voix pour moi. » Cette voix, celle de sa grand-mère, est capitale. Une pierre angulaire. Sans elle, l’auteure aux longues boucles brunes ne serait peut-être pas là. Ainsi, le roman commence quelques semaines avant sa naissance. Poursuivie, sa mère enceinte de sept mois, militante communiste comme son père, se jette du deuxième étage de l’université de Téhéran où elle vient d’assister à une répression sanglante. Depuis le ventre de sa mère, Maryam « vit » de front les premières heures de l’organisation marxiste révolutionnaire, quelques mois après la révolution islamique de 1979. C’est son premier basculement. Mère et fille survivent. La grandmère veille.
 
Ses années d’enfance sont marquées par le poids de l’engagement politique de ses parents opposés au régime chiite de Khomeyni. Radicaux et grisés par la jeunesse, ils n’hésitent pas à cacher des documents compromettants dans ses couches et à la « prêter » à d’autres activistes ; à exiger d’elle aussi, quelques années plus tard, de donner tous ses jouets aux enfants du quartier, sa poupée préférée en tête. En signe de « détachement matériel et d’abolition de la propriété ». Ces années sont également marquées par la poésie, « le ciment de l’Iran, aucun envahisseur n’a réussi à nous la voler », le goût des histoires, une tradition familiale féminine, et un « océan de tendresse », d’odeurs, de saveurs.
 
1986, deuxième basculement. Ses parents s’exilent en France. Vient l’heure de la séparation, l’abandon du pays, l’éloignement, l’intégration. Peu à peu surgit la question de l’identité, de la langue maternelle engloutie. « On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre », soutient le philosophe Cioran. À l’évidence, cette quête de la langue devient pour Maryam Madjidi un fil d’Ariane. Elle grandit à Drancy, en banlieue parisienne, apprend à lire et à écrire dans la langue de Molière, décroche une maîtrise de lettres à La Sorbonne, devient professeure de français auprès de jeunes exilés, de migrants isolés. Elle enseigne le français comme langue étrangère. À des étrangers. C’est de la fracture, de l’identité multiple qu’elle tisse son écheveau.
 
Après dix-sept ans d’exil, elle rentre pour la première fois en Iran, c’est le choc. Elle plonge dans l’océan de ses origines, s’en enivre. Bascule pour la troisième fois. À son retour en France, elle écrit quatre contes de l’exil, incorporés dans son roman dont elle entreprend l’écriture en 2012 à Pékin où elle s’est expatriée. La difficulté d’être exige parfois de nouveaux déracinements, pour mieux entamer le chemin de la réconciliation. D’autres voyages en Iran et deux années à Istanbul viennent clore son débat intérieur. Sa révolte. « Écoute le ney (la flûte de roseau) raconter une histoire, il se lamente de la séparation […] Quiconque demeure loin de sa source aspire à l’instant où il lui sera à nouveau uni », chante Rûmî, poète persan. Voici donc Maryam l’Orientale, tisseuse de mots français, passeuse hybride. À l’heure des dictatures, des montées fondamentalistes, de l’exil, sa voix est un vent d’espoir. Et sa langue pleine de vie, un appel d’air.