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Soyons blacks !

Par Venance Konan - Publié en octobre 2018
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Racisme, marginalisation, préjugés, condescendance… Être noir au XXIe siècle, au temps de la globalisation, n’est pas toujours facile. Il est donc temps de réaffi rmer la force, la diversité, la modernité des mondes noirs. De reprendre le slogan américain des années 1960 : « Black is beautiful ». En rajoutant la composante « strong ». Soyons blacks ! AM ouvre le débat. Dans cette première étape, Venance Konan, notre ami directeur de Fraternité Matin à Abidjan, explore les éléments africains de cette affi rmation. Astrid Krivian revient sur les origines américaines de ce mouvement. Et dans une interview sans tabou, Lilian Thuram, champion du monde 1998, évoque mythes et réalités avec talent. Et vous propose une carte inversée du monde.
 
«Aussi pénible que puisse être pour nous cette constatation, nous sommes obligés de la faire : pour le Noir, il n’y a qu’un destin. Et il est blanc. » C’est ce qu’écrivait l’essayiste martiniquais Frantz Fanon dans l’introduction de son célèbre livre Peau noire, masques blancs (Le Seuil, 1952). Pourquoi donc ? La réponse nous est donnée par l’homme d’État et juriste tunisien Ibn Khaldoun à travers ces lignes, qu’il écrivit en 1377 et que cite G. E. von Grunebaum dans L’Identité culturelle de l’islam (Gallimard, 1973) : « Les vaincus veulent toujours imiter le vainqueur dans ses traits distinctifs, dans son vêtement, sa profession et toutes ses conditions d’existence et coutumes. La raison en est que l’âme voit toujours la perfection dans l’individu qui occupe le rang supérieur et auquel elle est subordonnée. Elle le considère comme parfait soit parce que le respect qu’elle éprouve (pour lui) lui fait impression, ou parce qu’elle suppose faussement que sa propre subordination n’est pas une suite habituelle de la défaite, mais résulte de la perfection du vainqueur. Si cette fausse supposition se fixe dans l’âme, elle devient une croyance ferme. L’âme, alors, adopte toutes les manières du vainqueur et s’assimile à lui. Cela, c’est l’imitation… Cette attraction va si loin qu’une nation dominée par une autre nation voisine poussera très avant l’assimilation et l’imitation. »
 
À COUPS DE FOUETS
Les peuples noirs d’Afrique ont essuyé un échec lors de leur rencontre avec les peuples blancs d’Europe, du Moyen-Orient et du nord de leur continent. La défaite fut terrible pour les vaincus. On détruisit leur culture, leur organisation sociale, on leur enleva toute humanité et on les réduisit proprement en esclavage. Et pour bien les maintenir le plus longtemps dans cet état de dominés, on leur apprit à se haïr. On leur fourra dans le crâne, à coups de fouets, de machettes, de crimes horribles qu’ils avaient été maudits par le seul dieu qu’il y avait, celui des Blancs, que leur couleur noire était celle de la malédiction, celle du mal, celle de Satan. Le Français Montesquieu (1689-1755), que l’on considère comme l’un des plus grands penseurs du siècle des Lumières, écrivit, sans rire selon certains, avec ironie selon d’autres : « Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves. Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé, qu’il est presque impossible de les plaindre. On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir. »
Nelson Mandela, photographié à Soweto, une icône politique du xxe siècle. DR (2) - GISÈLE WULFSOHN/AMO-RÉA
 
 
RELEVER LA TÊTE AVEC FIERTÉ
Ils sont encore nombreux, ces Africains noirs qui sont toujours convaincus que le destin du Noir est blanc, qu’ils doivent ressembler le plus possible aux Blancs, dans leur façon de vivre, dans leur manière d’être et même dans leur apparence. Combien ne sont-ils pas, sur le continent, à s’échiner à vivre comme des Européens et à mépriser ceux qui, volontairement ou non, continuent de vivre à l’africaine ! Combien ne sont-ils pas à dépenser des fortunes et à se ruiner la santé pour avoir les cheveux aussi défrisés et la peau aussi claire que celle du Blanc ! Et la spiritualité africaine ? De la sorcellerie, vous répondront une majorité d’intellectuels et de hauts lettrés africains. Les vraies spiritualités sont celles apportées par les Européens et les Arabes. Ou les Asiatiques. Et, évidemment, un bon Africain ne peut que porter un prénom chrétien ou musulman. Mais voilà ! Malgré toute la bonne volonté qu’il y a mise, jusqu’à sa mort, Michael Jackson n’a pas été reconnu comme un membre de la communauté blanche. Tous ses efforts pour ressembler à un Blanc ont plutôt été accueillis avec des sarcasmes. De même, aucun Congolais n’a jusqu’à ce jour été reconnu comme étant devenu un Blanc. « Le Noir qui veut blanchir sa race est aussi malheureux que celui qui prêche la haine du Blanc », écrivait encore Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs. Ils sont de plus en plus nombreux, ces Africains qui se rendent compte de la vanité de vouloir ressembler à tout prix à l’autre, lorsqu’il est si simple de rester soi-même. L’Africain découvre petit à petit son histoire, qu’on lui avait cachée. Il découvre que les pyramides d’Égypte furent construites par des Noirs comme lui, que la civilisation grecque, fondatrice de la civilisation européenne, fut influencée par celle des Égyptiens. Il découvre les traces des riches civilisations laissées par ses ancêtres un peu partout sur le continent.
Ils sont de plus en plus nombreux à se regarder dans le miroir et à relever la tête avec fierté, parce qu’ils découvrent tout à coup que leur nez épaté, leurs cheveux crépus et leur peau noire n’ont vraiment rien à envier à qui que ce soit. Mais comment retrouver l’estime de soi lorsque l’on est présenté partout comme le dernier de la classe en matière de développement et de respect des droits humains, que l’on est méprisé par tous les autres peuples ? Il faut commencer par s’assumer, car il n’y a pas d’autre voie, et avoir foi en soi, c’est-à-dire se débarrasser de son complexe d’infé riorité pour se convaincre que la situation actuelle du continent noir n’est ni une fatalité ni une malédiction. Des pays africains, tels que le Botswana, qui se sont mis au travail, sont en train de se développer, tout en respectant les principes démocratiques.