Aller au contenu principal
Angélique Kidjo

Star toujours !

Par jmdenis - Publié en août 2015
Share

Elle va créer l’une des sensations de la rentrée musicale : le 3 octobre prochain, elle interprétera en concert, à Paris, accompagnée par l’Orchestre Lamoureux, son dernier album, Angelique Kidjo Sings. Un opus enregistré à l’origine avec l’Orchestre philharmonique du Luxembourg et sorti en début d’année. Elle en profitera pour chanter également trois de ses textes sur des compositions du grand prêtre de la musique minimaliste, l’Américain Philip Glass ! Angélique Kidjo au pays de Beethoven, Debussy et autres Xenakis ! Cette nouvelle aventure fascine celle qui, pour la circonstance, a dû assimiler les techniques de chant lyrique. « Enfant, je me demandais “Qu’est-ce que cette musique de Blancs, sans rythmes ?”, confie-t-elle. Plus tard, je me suis rendu compte qu’elle exerçait le même effet qu’une réunion d’anciens dans un village : vous en sortez l’esprit plus riche. Plus tard encore, je me suis aperçu qu’elle me détendait, me calmait. »

Ainsi, quelque chose peut apaiser celle que son père surnommait jadis « le derviche tourneur » ? À voir cette petite femme nous accueillir dans cet hôtel parisien du Marais au chic discret, on penserait davantage à un Marsupilami – ce drôle d’animal monté sur ressorts qu’a immortalisé le bédéiste André Franquin – en surtension. Ses mots dans sa bouche courent comme elle dans la vie ; Angélique Kidjo ne tient pas en place, bondit, saute, rit à gorge déployée. « C’est ma joie instinctive, ma force positive, j’aime cet éparpillement, s’amuse-t-elle. J’ai tout pris de ma mère. À 88 ans, elle court et danse avec deux prothèses aux genoux ! » Qui peut arrêter ce Niagara vital ? Personne… Pas même Jean Hébrail, son bassiste de mari, le père de sa fille, Naïma (âgée aujourd’hui de 22 ans), compositeur et arrangeur de nombre de ses chansons, son alter ego, son complice de toujours qu’elle a rencontré un beau jour de 1985, dans une école de jazz parisienne.

Le fait d’être née le 14 juillet 1960 à Cotonou, au Bénin, sous le signe de l’éruption révolutionnaire française en quelque sorte, y est peut-être pour quelque chose… En tout cas, durant son enfance, Angélique la tornade fatiguera gentiment Papa, employé des postes, Maman, femme d’affaires avertie, et neuf frères et sœurs. Un milieu familial bien structuré et une scolarité quelconque qui s’effacera bientôt derrière sa passion pour la musique. Elle débute réellement à l’adolescence, dans un groupe monté par un de ses frères, les Sphinx. Choc radical. « Chanter, c’est une véritable transformation de votre être, avoue-t-elle. C’est comme un interrupteur qui déclenche une lumière quand on monte sur scène. »

Elle va s’imposer très vite comme une des grandes show-women d’Afrique, une madame 100 000 volts armée d’une voix impérieuse, entre technique de chant traditionnel et phrasé jazzy, une mini-James Brown en robe qui chanterait en fon ou en yoruba. Un premier album, Pretty, produit par la vedette camerounaise Ekambi Brillant, la consacre star en son pays en 1981. Et elle continuera de bondir, Angélique ! En 1983, elle s’enfuit pour Paris, elle étouffe dans le Bénin marxiste-léniniste de Mathieu Kérékou. En France, elle est découverte par Chris Blackwell, le producteur anglais ancien mentor de Bob Marley, qui la signe chez Island Records où elle se bâtit un début de carrière internationale au fil de quatre albums afro-funk et d’un succès, « Agolo ». De bondir et même de rebondir ! Car voilà notre Angélique partant, en 1998, à la découverte de l’Amérique ! Elle s’installe avec mari et enfant à New York. « C’était plus pratique d’y résider, se justifie-t-elle, puisque Columbia, ma nouvelle maison de disques, y était basée. »

Elle saura s’ouvrir les portes dorées du méga-show-biz local. Elle confrontera son feeling à ceux d’Alicia Keys, Carlos Santana, Peter Gabriel, Ziggy Marley, Gilberto Gil ou Branford Marsalis, pour ne citer que quelques-unes de ses collaborations. Virevoltant d’un soul-rock tropical (dont une version peu convaincante du « Voodoo Chile » de Jimi Hendrix, dans Oremi en 1998) à de l’afro-brésilien (Black Ivory Soul en 2002). Sautant d’une expérience salsa (Oyaya! en 2004) à un son vaudou new-look avec l’album Djin Djin (contenant une splendide version du Boléro de Ravel) en 2007. Pour enfin aboutir à cette récente incursion dans le monde du classique… Neuf albums « américains » au total, parsemés de hauts et de bas, conséquence logique d’une chanteuse risque-tout, qui pratique le grand brassage global au risque de se voir accusée d’occidentalisation excessive. « C’était un défi pour moi, rétorque-t-elle, que d’imposer aux États-Unis une autre vision de la musique africaine. » Et ce défi, elle l’a remporté haut la main puisqu’elle s’est offert le luxe de décrocher deux Grammys dans la catégorie du meilleur album de musique du monde : en 2007 pour Djin Djin et en 2014 pour Eve. Performance jamais réalisée auparavant par un artiste du continent ! Elle est désormais Miss Africa aux yeux de beaucoup de médias américains, participe aux plus grands concerts de la planète comme celui du lancement de la Coupe du monde de football 2010, à Johannesburg. En mai, notre star a été faite docteur honoris causa en musique par l’université de Yale. Et, à la suite de son engagement dans la campagne de Barack Obama, elle a participé le 20 janvier 2009 à l’African Diaspora Inaugural Ball, un des bals organisés à Washington à l’occasion de l’investiture présidentielle.

Son engagement pro-Obama fait exception. « J’ai vite compris que l’homme politique est en perpétuelle représentation et que tant qu’il n’y a pas urgence à agir, il n’agira pas, affirme-t-elle. Il y a, pour moi, d’autres façons de régler les problèmes d’un continent qui ne doit plus se résumer aux guerres et aux famines. » Cette solution s’appelle l’humanitaire.

Et sa formidable énergie, elle va la mettre, cette fois-ci, au service de l’autre, notamment de l’émancipation féminine, son grand combat : « Les femmes font l’Afrique. Quand l’une d’entre elles est éduquée, c’est toute une collectivité qui progresse… Il faut instaurer une réelle égalité avec les hommes », écrit-elle dans son autobiographie, Spirit Rising (Harper Design, 2014). Nommée ambassadrice de bonne volonté de l’Unicef en 2002, elle sillonne le continent. Et comme rien n’épuise la volcanique citoyenne, elle a également fondé en 2007 sa propre association, nommée Batonga. Le principe : fournir à des jeunes filles issues de familles démunies uniformes, matériel scolaire et tutorat afin qu’elles poursuivent des études secondaires et supérieures. Prenant en exemple la Kényane Wangari Maathai, Prix Nobel de la paix 2004, aux origines plus que modestes, elle affirme : « Je veux des milliers de Maathai dans trente ans ! » En attendant, en 2015, plus de 1 200 lycéennes et étudiantes, de Dakar à Addis-Abeba, étaient prises en charge par Batonga.

Une des 50 icônes du continent pour la BBC. « La première diva africaine » selon Time Magazine. Une des 100 femmes les plus influentes au monde d’après The Guardian… Les qualificatifs élogieux à son propos pleuvent. Mais rien ne semble assoupir l’effet Marsupilami chez cette femme de 58 ans. Que lui manque-t-il ? Un vrai tube mondial ? Elle s’en moque, semble-t-il. Rentrer peut-être, un jour, vivre en Afrique ? Qui sait ? « L’essentiel, c’est que je sois Africaine 24 heures sur 24, coupe-t-elle, et que lorsque je n’aurai plus cette énergie, je mourrai ! », lâche-t-elle, prête à rebondir ailleurs.