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AMBITIONS

Sur le chemin de la III<sup>e</sup> République

Par zlimam - Publié en février 2016
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Le personnage s’est imposé. On le disait avant tout gestionnaire, banquier, technocrate. Il s’est révélé politique. Et homme d’État. On peut aimer ou ne pas aimer, soutenir ou ne pas soutenir, mais la réalité, c’est qu’en si peu de temps, Alassane Dramane Ouattara aura remis sur pieds un pays profondément divisé, affaibli, meurtri par plus de vingt ans de débats identitaires, d’instabilité institutionnelle et une violente crise post-électorale qui aura fait plusieurs milliers de victimes. On peut tout contester, mais le chemin parcouru lors de son premier mandat est tout de même impressionnant. ADO a sans complexe endossé le costume du chef, il a pris de l’ampleur, démontré une capacité à diriger un pays difficile, à restaurer le sens de l’État et à faire de la politique. Sans se départir de son quant à soi légendaire… Dans le paysage très contrasté d’une émergence africaine fortement contrariée par l’effondrement des prix du pétrole et des matières premières, la Côte d’Ivoire de 2016, pourtant à peine convalescente, fait figure d’une rare et dynamique exception positive.

Très confortablement réélu le 25 octobre dernier, au terme d’un scrutin transparent, le président Ouattara ne compte pourtant pas se laisser aller à un second mandat « tranquille ». Dans un contexte global difficile, il entend bien être le chef, au-dessus des ambitions, des luttes de clans ou partisanes. Il ne se représentera pas, il ne le cache pas, il l’a dit à de multiples reprises, mais il sait aussi que les appétits naturels s’aiguisent lentement. Et sûrement. ADO va donc exercer pleinement son magistère. Il veut, c’est un secret pour personne, mettre en place une nouvelle architecture politique et constitutionnelle pour le pays. Une architecture adaptée à la Côte d’Ivoire du XXIe siècle, qui permettrait de s’éloigner durablement des crises identitaires, des crises de succession, qui soulignerait la naissance d’un pays plus uni et mieux rassemblé. Il a les idées claires, mais il consulte, écoute, prend du temps (ce qui n’est pas si fréquent que cela dans le monde des présidents justement). Il bénéficie d’une équipe de fidèles où les compétences sont nombreuses. Sans parler de ses amis, appuis et soutiens aux quatre coins du monde. Première étape de ce grand projet politique, la fusion-réunification de deux partis « frères » de la tradition houphouëtiste, le Rassemblement des Républicains (RDR), parti d’ADO, et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), dirigé par Henri Konan Bédié. Deux partis générés par les crises d’hier et rassemblés aujourd’hui dans la même alliance électorale, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Les deux chefs, Alassane Ouattara et Henry Konan Bedié, se sont mis d’accord. Le RDR et le PDCI ne feront plus qu’un avant les élections législatives, qui devront se tenir avant la fin 2016. Il faudra fusionner instances et structures de la base au sommet. Un travail tout en finesse… Le second étage de la fusée, le plus important, sera la mise en place d’une grande réforme constitutionnelle. En octobre 2015, sur les ondes de RFI, le président n’a pas caché son ambition : « Un texte qui permettra d’enlever tous les germes “confligènes” [sic] dans la Constitution actuelle […]. Une Constitution de la IIIe République que je soumettrai au verdict de mes concitoyens. » « Ce qui est important, c’est que nous regardions l’avenir et notre avenir, c’est faire en sorte que nul ne doit être exclu en raison de son origine, de sa religion, de son ethnie ou de la couleur de sa peau », a ajouté le président. Objectif, ambitieux, la réécriture du fameux article 35 portant sur les origines des candidats à la présidence. Mais aussi la création probable d’un poste de vice-président, à l’instar du Ghana ou du Nigeria. Également au menu, l’évolution des conditions d’éligibilité, clarification probable des règles de succession, la possible création d’une seconde chambre. Le tout soumis à référendum d’ici à la fin de l’année 2016.

Évidemment, tant sur la réunification des partis que sur la révision constitutionnelle, les choses n’iront pas entièrement de soi. Les cercles politiques s’éveillent progressivement aux enjeux profonds qu’impliquent ces changements. Les rivalités entre PDCI et RDR sont toujours d’actualité. Il faudra peser le poids des uns et des autres. Les exigences régionales sont toujours aussi prégnantes. Et le débat constitutionnel porte en lui une forte charge émotionnelle. Mais le président se sent suffisamment fort et légitime pour pousser cet agenda et mettre à jour la naissance de la IIIe République. Et ce serait un véritable aboutissement. Le symbole d’une Côte d’Ivoire réellement réunifiée.

ÉQUATION COMPLEXE
Pour le président et son équipe, ce volet politique est donc essentiel, mais pour faire de la politique, il faut des moyens. Le défi économique, l’émergence à l’horizon 2020 demeurent des préoccupations centrales. Les fondamentaux sont bons, portés par des cours du café et du cacao qui se maintiennent à de bons niveaux. L’État va continuer à investir massivement (en particulier dans les infrastructures). Les bailleurs de fonds sont fidèles, rassurés par la présence d’un président gestionnaire entouré d’une équipe de « pros ». Le taux de croissance restera l’un des marqueurs du progrès mais pour ADO, l’équation est complexe. On l’a souvent écrit, mais pour de nombreux Ivoiriens « le bitume, ça ne se mange pas », et le taux de pauvreté reste préoccupant (la Côte d’Ivoire se situe aux environs du 145e rang mondial en termes de revenus par habitant). On sent bien dans les discussions qu’un débat de fond s’installe sur la mise en place d’un modèle économique durable pour le pays. L’idée d’une meilleure redistribution des richesses s’impose. Faire en sorte que la croissance vienne toucher les zones rurales et les zones périurbaines, la Côte d’Ivoire de l’intérieur, loin des lumières d’Abidjan. Faire entrer « l’autre » pays dans le progrès. Comme le souligne cet homme d’affaires prospère, le dividende social est une nécessité pour la stabilité du pays : « On a beaucoup fait, mais il faut faire, plus encore, en termes de santé, de soins de base, d’éducation… Il faut que cela ait un impact sur notre indice de développement humain. » Et la forte croissance des dernières années et celles prévisibles des années à venir imposent de fortes tensions à un appareil public vieillissant, en mal de modernité. La machine a du mal à répondre à toutes les attentes. Et elle n’est pas à l’abri des tentations. Enfin, le salut, c’est clair, ne dépendra pas que de l’État. Le secteur privé, l’artisanat, le commerce, le tourisme, les services, l’industrie sont la clé de la croissance de demain, des emplois. Et pas uniquement dans les grandes entreprises. De nombreux Ivoiriens peuvent et doivent devenir entrepreneurs, dans le commerce, dans l’artisanat, dans l’agriculture, dans les services… Les jeunes doivent trouver un chemin vers l’entreprise. Les femmes également, qui ont été particulièrement victimes des années de conflits.

PROMOUVOIR LE SECTEUR PRIVÉ
Pour ADO et son gouvernement, il faudra donc trouver des réponses. Allier l’investissement et le progrès social. Et promouvoir un secteur privé qui n’est pas encore suffisamment au rendez-vous pour soutenir la croissance sur le long terme. « Ce que le président a réussi à faire en cinq ans, c’est remettre le pays debout. Réinstaller les bases. Remettre un système profondément délabré en route. C’est énorme. Tout comme la marge de progression disponible. Maintenant, tous les pays qui ont pu atteindre un point d’émergence ont réussi parce que les énergies de tout un chacun se transforment en projet, en entreprise, en emploi. Et qu’à terme, une classe moyenne assez large portera d’elle-même la modernisation et la croissance du pays », conclut ce banquier international.

Ce travail, la Côte d’Ivoire ne pourra pas le faire seule, en dehors de tout contexte. L’une des clés de l’avenir, c’est évidemment la stabilité de la zone UEMOA. La Côte d’Ivoire est de nouveau le centre, le cœur de la région, la principale puissance économique (de 35 % à 40 % du PIB de l’Union). Le dossier chaud des relations avec le Burkina Faso, le voisin de toujours, le frère du Nord, envenimé par les plus ou moins spectaculaires révélations liées au coup d’État du général Diendéré, devrait progressivement se stabiliser. Les deux pays ont bien trop d’enjeux en commun pour accepter une longue crise de défiance. Le défi sécuritaire et la menace jihadiste imposent une coopération de plus en plus étroite entre les pays menacés. La Côte d’Ivoire partage de longues frontières avec le Mali et le Burkina, devenus des États de la « ligne de front ». Soutenue par ses alliés (la France, les États-Unis entre autres), avec des services réorganisés de fond en comble, elle a aussi des moyens de lutte qui peuvent être particulièrement utiles pour d’autres. Comme le souligne un haut responsable à Abidjan, « dans ce domaine, le chacun pour soi serait suicidaire »…

L’enjeu stratégique régional va bien au-delà des pures questions de sécurité. On pourrait évoquer les risques sanitaires, comme on l’a vu en 2014 avec la crise Ebola. Mais ce qui inquiète le plus les autorités d’Abidjan, c’est l’appel d’air créé par la stabilité politique et la relative santé économique du pays. Comme le fait remarquer cet économiste de la place, rien que le différentiel de salaire minimum attire tous les jours des centaines de travailleurs de la région. « Les règles sur la libre circulation de l’UMEOA facilitent cette immigration qui pourrait devenir menaçante pour notre propre pays, rappelle un spécialiste. Nous avons fait beaucoup de chemin depuis la crise électorale de 2010, mais rien ne prouve que nous soyons définitivement à l’abri d’une résurgence xénophobe. » Ce sociologue rencontré dans le hall du très spectaculaire hôtel Ivoire, surplombant la lagune, relativise ces craintes : « L’immigration, c’est aussi une force pour un pays. Ces gens qui viennent, ils veulent travailler, s’enrichir, sortir la tête de l’eau. Ils apportent une incroyable énergie. »

AMBITIONS COSMOPOLITES
Abidjan… nouveau centre, donc, de l’Afrique émergente. La grande cité a plus que jamais renoué avec ses ambitions cosmopolites. Une grande ville qui vit de jour comme de nuit. On y construit des hôtels, des centres commerciaux, des autoroutes et des ponts. On y fait des grands projets. On sent une forte envie de futur, une forte envie, nouvelle, d’un vivre-ensemble, au moins pour que chacun se trouve une place. Un haut responsable politique apporte la conclusion : « Nous sommes en mouvement. Et c’est cela le plus important. Des centaines de milliers de jeunes arrivent à la majorité, 70 % des Ivoiriens ont moins de 35 ans. Ils voient le monde différemment. Ils n’ont pas les mêmes codes. Ils ont des exigences. Il faudra les écouter. »