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Lamyne M.

Tenues de reines

Par Loraine Adam - Publié en juillet 2016
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Dans la nécropole des rois de  France, Lamyne M., artiste et styliste camerounais, s’est inspiré de seize gisants de reines du Moyen Âge. Pour ces belles endormies de marbre blanc, il a imaginé de somptueuses et hiératiques tenues d’apparat en wax d’Afrique de l’Ouest, feutrine, denim et autres velours piqués de broderies. Majestueuses, ses créations trônent dans les chapelles de la crypte, serties de vitraux aux couleurs intemporelles, et dans le transept monumental. « J’adore faire des vêtements non portables et qui sont des passerelles entre les époques, les cultures et les civilisations, précise d’emblée le styliste. L’histoire des rois et de la basilique est notre histoire à tous, issus ou non de l’immigration. Mes robes parlent de métissage radical et questionnent sur la place de la femme. » « Elles disent les possibilités d’un dialogue fait de culture(s), à même de lier là où l’économique, seul, peine à fédérer », explique, quant à elle, l’historienne d’art Dominique Malaquais.

Fils de négociant en textiles et petit-fils de grand voyageur, né à Ngaoundéré au Cameroun en 1977, Lamyne Mohamed devient apprenti tailleur à 13 ans, lance ses premières collections à 20, et s’installe à Paris en 2005 puis à Saint-Denis, où il réside aujourd’hui. Dans son atelier dionysien de bois rouge, Lamyne M. met les techniques de la haute couture au service de l’art et de la transmission. Il collabore avec de nombreux partenaires locaux, couturiers, joailliers, brodeurs, modélistes, ainsi qu’avec les sections mode de certains lycées professionnels, qui ont participé au projet des robes de la basilique. Écologiste et activiste anticonsommation abusive, il récupère les chutes d’étoffes des ateliers du Marais, d’Italie ou du Sénégal pour ses créations réalisées par des artisans formés à Fès, Milan ou Douala. Sa ligne Wonu An (« Soit toi-même » en peul) propose des pièces de luxe, uniques, « que l’on soigne, répare et transmet ». « Être de Seine-Saint-Denis ouvre les portes. À Paris, je serai resté anonyme. On parle de moi en Afrique du Sud, aux États-Unis, s’amuse le couturier. Quand je suis arrivé en France, je ne pensais pas avoir grand-chose à apporter, mais quand je vois où je vis, je me dis qu’on a autant besoin de moi ici qu’en Afrique. » Alors, il organise des défilés avec des mannequins non professionnels (politiques, éboueurs, homos, handicapés ou étudiants) en France, au Cameroun, au Tchad et au Nigeria. À Dakar, en mai, ce sera dans une prison, et au Bénin, il prépare une présentation autour des costumes traditionnels… Il développe aussi des échanges entre la Seine-Saint-Denis, le Maroc et la Tunisie. « L’art a un vrai pouvoir de persuasion et de compréhension, c’est une thérapie, martèle le Camerounais. En Afrique, je n’ai pas de boutique, je fais dans le social, je transmets, je valorise. C’est toute ma vie. À chacun de se faire aimer, d’aimer les choses ou de participer, je lutte contre l’auto-exclusion. Je déteste les étiquettes et je sais que quand on veut, on peut. Voilà. »Basilique de Saint-Denis, jusqu’au 30 avril 2016.