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HÉROÏSMES

Par zlimam - Publié en juin 2018
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Y a-t-il un paramètre particulier, dans la culture malienne, qui pousse parfois à l’héroïsme le plus stupéfiant ? Certainement. Quelque chose de noble, d’intrépide, d’audacieux, un instinct qui pousse vers le bien, ce qui est nécessaire. On pense évidemment à ce geste incroyable du jeune Mamoudou Gassama, fraîchement et clandestinement débarqué à Paris et qui se lance à l’assaut d’un immeuble de sept étages pour sauver la vie d’un jeune garçon suspendu dans le vide, accroché à la vie par ses petites mains, son propre courage et un balcon. On pense aussi à Lassana Bathily, employé de l’Hyper Casher dont le sang-froid et la lucidité permirent de sauver la vie de plusieurs clients lors de l’attentat sanglant du 9 janvier 2015. On pourrait aussi évoquer les héros plus ou moins connus de l’hôtel Radisson à Bamako, ceux qui ont sauvé des vies lors de l’attaque du 20 novembre 2015. On pense au maître d’hôtel Tamba Diarra qui guida les forces de l’ordre dans les étages.

Romain Rolland (prix Nobel de Littérature 1915) écrivait : « Un héros c’est celui qui fait ce qu’il peut. Les autres ne le font pas. » Mamoudou Gassama a fait ce qu’il a pu. Les autres ont regardé. Et notre monde en crise, matérialiste, individualiste, obsédé par les identités, les murs et les frontières, a besoin de ces moments de pure transcendance. Moments qui rappellent certainement à chacun d’entre nous notre part enfouie d’altruisme et de courage…

Évidemment, les réseaux sociaux et les téléphones nouvelle génération donnent de l’ampleur, de la résonance à l’acte héroïque. Ceux qui filment Mamoudou Gassama font de lui un héros interplanétaire. Le monde entier, littéralement, parle de lui, est captivé. On ne sait plus trop d’ailleurs.

Sommes-nous dans la célébration d’un moment de grâce, d’un moment de dépassement au service de l’autre ? Ou sommes-nous dans la grande société du spectacle, celle où les images envahissent tout et noient le sens ? En Afrique, on récupère le phénomène pour vanter les qualités de courage des fils du continent (que l’on n’arrive pas néanmoins à retenir sur place). En France, la stupéfiante ascension de Mamoudou Gassama masque la faillite d’une politique migratoire ultra répressive. Cette France des droits de l’homme qui se barricade face à la détresse du monde et qui octroie sa nationalité comme un certificat suprême de bonne conduite…

Et tous ces héros du quotidien, qui n’ont pas eu la chance d’être filmés ? On pense à ces autres migrants, ces hommes, ces femmes, ces enfants, qui traversent les déserts, qui traversent les mers sur des bateaux de fortune, au péril de leur vie, qui suivent le même chemin que Mamoudou Gassama. Beaucoup sont morts de chaud, de soif, noyés au fil de la terrible odyssée. Ils sont héroïques. Et décédés. Ils n’auront pas de nouveaux passeports. On repense à cette image bouleversante du petit Aylan, son corps sans vie, échoué sur une plage turque. L’émotion est passée depuis, son histoire est déjà loin. Le drame des migrants demeure. L’égoïsme des nations riches aussi. Le populisme, la xénophobie, le rejet de l’autre s’enracinent.

On souhaite une belle route à Mamoudou Gassama. On lui souhaite de trouver sa place là où il a voulu être, en France et peut-être même un jour de retourner au Mali et de raconter son histoire à des petits qui n’auraient pas vu le film. Et comme cet édito fait, pour une fois, place à des citations, il pourrait rappeler à ces enfants ce qu’écrivait un autre Prix Nobel de Littérature, Luigi Pirandello (1934) : « Il est plus facile d’être héros qu’honnête homme. Héros nous pouvons l’être une fois par hasard ; honnête homme il faut l’être toujours. »