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Cinéma

Leyla Bouzid
« Il manquait un récit d’émancipation des jeunes hommes »

Par Jean Marie Chazeau - Publié en août 2021
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Six ans après À peine j’ouvre les yeux, la Franco-Tunisienne signe un nouvel HYMNE À LA LIBERTÉ.

Pésenté au Festival de Cannes en clôture de la Semaine de la critique, le nouveau film de la réalisatrice tunisienne met en avant la sensualité et la fragilité d’un jeune étudiant qui rencontre à la Sorbonne une étudiante venue de Tunis étudier la littérature arabe érotique… Un apprentissage amoureux et sexuel vu par un regard féminin qui casse les codes d’un certain virilisme.

AM : Pourquoi avoir choisi de raconter les premiers émois amoureux et sexuels d’un jeune homme ? 

 

Leyla Bouzid. MEDALE CLAUDE/CORBIS VIA GETTY IMAGES
Leyla Bouzid. MEDALE CLAUDE/CORBIS VIA GETTY IMAGES

Leyla Bouzid : Après À peine j’ouvre les yeux (2015), qui était le portrait d’une jeune femme et un récit d’émancipation nécessaire, j’avais l’impression qu’il manquait la même chose pour les jeunes hommes. Et ça faisait très longtemps que je voulais faire le portrait d’un garçon timide, réservé, qui a besoin de temps pour assumer ce qu’il ressent, son désir. C’est quelque chose qu’on a très peu vu dans les représentations et qui est pourtant très courant. Les difficultés s’additionnent chez les jeunes arabes, la virilité s’associe à quelque chose de très voyant, d’ostentatoire.

 

C’était important que ce soit un jeune Franco-Algérien, et qu’il rencontre une Tunisienne à Paris ?

Pour moi, être français d’origine algérienne est plus porteur d’une quête identitaire : dans beaucoup de cas, il s’agit de personnes qui ont été coupées du pays de leurs parents à cause des années noires, et ne sont pas retournées là-bas. La coupure est plus forte que pour des personnes d’origine tunisienne ou marocaine, et ils portent une histoire plus violente, plus compliquée avec la France. Il était donc évident que le personnage d’Ahmed devait être d’origine algérienne. Quant à Farah, elle est tunisienne car c’est la culture que je connais et que ça faisait sens pour moi.

La rencontre a lieu à l’université de la Sorbonne, où vous avez étudié. Ils y suivent un cours de littérature arabe sensuelle et érotique qui n’existe pas dans la réalité…

Non, pas en première année, même si une approche existe à travers Les Orientales de Victor Hugo. Mais il faut lire Ibn Arabi, un auteur soufi qui a écrit beaucoup de textes au XIIe siècle, ou Majnûn, objet d’études dans le film, dont Le Fou de Laylâ est un poème d’amour presque mythologique, une sorte de Roméo et Juliette qui n’est pas érotique mais qui parle d’un amour fou – et dont s’est inspiré Aragon pour Le Fou d’Elsa. Sans oublier Le Jardin parfumé, un manuel d’érotologie arabe qui est plus ludique, et que reçoit Ahmed.

Vous avez eu du mal à trouver vos deux comédiens ?

J’étais inquiète de trouver celui qui allait pouvoir incarner Ahmed, et je suis tombé par hasard sur Fiertés, une mini-série de Philippe Faucon, dans laquelle Sami Outalbali avait un petit rôle. Son physique, son jeu me faisaient penser qu’il pouvait incarner le personnage, et il y a adhéré à 200 %. Il allie à la fois quelque chose d’assez sauvage, de très beau, et une forme de fragilité. Pour Farah, je voulais une Tunisienne, j’en ai rencontré quelques-unes qui avaient grandi en France, mais je sentais que ça n’était pas possible pour ce film-là, où la justesse identitaire est très importante. En Tunisie, j’avais entraperçu Zbeida Belhajamor pour mon film précédent, mais elle avait 14 ans, elle était trop jeune pour le rôle et n’avait pas passé le casting. Mais je suis allé voir ce qu’elle était devenue, et là elle avait le bon âge, c’était une évidence.

Après ce tournage en France, est-ce que vous avez des projets de cinéma en Tunisie ?

​​​​​​​Oui, mon prochain film, qui est cours de financement et d’écriture, sera tourné à Sousse.