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Comprendre

Tendances, chiffres et évolutions

Par Zyad Limam - Publié en septembre 2021
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Destin 
Un pays à part.

Sur le carte du continent, il y a encore trop peu d’endroits « où l’on y croit », où l’on se projette avec un relatif optimisme dans l’avenir, où l'on sent du dynamisme, de l’ambition, de « la taille ». Bienvenue en Côte d’Ivoire, terre de croissance, et bienvenue à Abidjan, mégalopole africaine, ouverte sur le monde, creuset de cultures et d’identités multiples. Ça bouge, ça vibre, et ça donne envie.

Depuis 2011, avec l’arrivée d’Alassane Ouattara au pouvoir, la Côte d’Ivoire est sur le chemin d’une croissance rapide, près de 8 % par an. Malgré la pandémie de Covid-19, elle a fait partie du club très fermé des 22 pays à avoir affiché une croissance positive en 2020, avec des perspectives encourageantes pour 2021. En novembre 2020 et en février 2021, le pays a pu se financer sans problème sur les marchés internationaux avec deux eurobonds d’une valeur totale de près de 2 milliards d'euros à des taux attractifs. Les avions sont souvent pleins, les investisseurs cherchent des opportunités.

Tout n’est pas parfait. Les blessures ne sont pas entièrement refermées. Les inégalités sont encore trop visibles. Mais ce dynamisme, cette résilience, cette reconstruction de la nation n’étaient pas acquis. Loin de là. La séquence depuis deux ans a été rude. Début mars 2020, ADO annonce qu’il ne sera pas candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre. Le 11 mars, un premier cas de Covid-19 est détecté. Le monde et la Côte d'Ivoire entrent dans la pandémie.

Dans la nuit du 1er au 2 mai, Amadou Gon Coulibaly, candidat du parti, Premier ministre, fils spirituel et héritier politique du président est victime d’un malaise cardiaque. Évacué à Paris, une capitale française encore confinée. Le 2 juillet, AGC rentre à Abidjan, le 8 juillet, il succombe en plein conseil des ministres. AGC nous quitte « grand », en fonction, dans son pays, sur sa terre natale. Le scrutin présidentiel qui suit est terni par la violence et l’obstruction de l’opposition sur la thématique du troisième mandat. ADO est élu. Les élections législatives de mars 2021 offriront un autre spectacle, celui d’une compétition à la fois vive, transparente et apaisée. D'une démocratie en marche. Le Premier ministre Hamed Bakayoko, personnage emblématique de la scène politique, incarnation de l'ambition, du volontarisme, décède d’une maladie soudaine, brutale, le 10 mars. Malgré le traumatisme, malgré le choc de ses deuils répétés, le pays repart, avec une nouvelle équipe dirigée par Patrick Achi.

L’histoire récente du pays est rude. On pense à décembre 1993, avec le départ du président Félix Houphouët-Boigny, la crise économique, la montée de la dette, le concept d’ivoirité, selon lequel certains citoyens seraient plus ivoiriens que d’autres. Le président Henry Konan Bédié est destitué par un coup d’État en décembre 1999. Laurent Gbagbo accède au pouvoir en octobre 2000. En septembre 2002, le pays est coupé en deux à la suite d'une rébellion. La crise atteint son apogée avec l’élection présidentielle de novembre 2010, reportée à plusieurs reprises depuis 2005. Laurent Gbagbo refuse de reconnaître la victoire d'Alassane Ouattara. Au lendemain de ce scrutin, la Côte d’Ivoire est exsangue, à genoux ; elle sort de vingt ans de stagnation, d'une quasi-guerre civile et d’une crise électorale sanglante. Le pays est divisé, l’eau et l’électricité manquent, Abidjan est au bord de la pénurie, les provinces sont abandonnées à elles-mêmes. Et pourtant, la Côte d’Ivoire s’est relevée, et pourtant, elle est toujours là, debout. Elle entre dans un long cycle de croissance.

Il y a dans ce pays une capacité à rebondir, à se reconstruire, une capacité à se remettre en marche assez stupéfiante, et que les Ivoiriens eux-mêmes souvent sous-estiment.

Le Mövenpick Hotel Abidjan, récemment ouvert, est situé dans le quartier du Plateau. ZYAD LIMAM
Le Mövenpick Hotel Abidjan, récemment ouvert, est situé dans le quartier du Plateau. ZYAD LIMAM

Économie 
Cap sur le privé.

La Côte d’Ivoire est l’un des 10 pays les plus performants du monde en matière de croissance depuis 2011. Et elle a su résister malgré la crise du Covid-19. Il s’agit maintenant de reprendre un « rythme haut », malgré la pandémie et les désordres du monde. Le pays suit un plan d’émergence, un projet qui avait été largement préparé par Amadou Gon Coulibaly et Patrick Achi, alors secrétaire général de la présidence, aujourd’hui Premier ministre. Des études avaient été menées, en regardant de près l’exemple de pays asiatiques et leurs modèles de développement, comme le Viêt Nam ou la Thaïlande. Une stratégie à moyen terme sur dix ans a été validée par le président Alassane Ouattara. L’objectif est de doubler, à nouveau, la richesse nationale du pays, de toucher les frontières d’un PIB aux alentours de 100 milliards de dollars en 2030. Avec un revenu par habitant au-delà de 3 500 dollars.

Pour le président Ouattara, pour le Premier ministre Patrick Achi, il s’agit surtout de moderniser, de rendre « agile » et de pousser au développement du secteur privé, de l’inciter à prendre toute sa place dans cette bataille économique. L’investissement privé, c’est l’outil essentiel pour absorber le nombre impressionnant des nouveaux entrants sur le marché du travail. Dans dix ans, les Ivoiriens seront près de 35 millions, dont une très grande majorité de jeunes de moins de 30 ans. Pour faire face à cette vague démographique, l’innovation, l’entreprise, l’industrialisation du pays deviennent des priorités stratégiques. Produire et transformer en Côte d’Ivoire, et faire du « made in Ivory Coast », c’est la mission nationale.

Les opportunités sont multiples. Premier producteur mondial de cacao, le pays est une puissance agricole. D’autres secteurs sont porteurs : industrie, produits alimentaires, biens d’équipement, tourisme, services, développement durable… La Côte d’Ivoire bénéficie d’un vaste marché régional, la zone Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine), et sûrement demain une perspective continentale avec la Zlecaf (Zone de libre-échange continentale africaine).


Exigence
Objectif inclusivité.

Le pays s'enrichit, se développe, le niveau de vie augmente, c’est le plus important d’Afrique subsaharienne (hors pays pétroliers et Afrique du Sud), mais les inégalités restent fortes. L’informel représente encore 80 % des emplois. Et la démographie, toujours tonique, viendra accroître la pression sur les catégories les plus fragiles. Le pays paie encore les deux décennies perdues (1990-2010), mais le rythme de rattrapage social doit s’accélérer. Et au fond, l’économie est au cœur du projet politique. Plus de croissance, plus d’inclusivité, de lutte contre la pauvreté, c’est aussi plus de stabilité. C’est le sens du grand programme social 2019-2020, le sens des multiples opérations de soutien accordées dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. C’est aussi le sens du Plan national de développement 2021-2025, qui prévoit plus de 59 000 milliards de francs CFA d’investissements publics et privés. Le sens de cette volonté de sortir la croissance d’Abidjan et de s’investir dans l’autre Côte d’Ivoire. On pourrait aussi citer le chantier ambitieux et complexe de la mise en place de la couverture maladie universelle (CMU).

La croissance économique et l'inclusivité génèrent une forme de modernité. Les enjeux changent. Une classe moyenne est en train de naître, de croître. Ce qui compte aujourd’hui pour une grande partie de ces nouveaux Ivoiriens, de ces enfants du second miracle économique, c’est l’emploi, la santé, l’éducation, les opportunités, l’accroissement de leurs revenus. La croissance bouscule les anciens schémas, lentement, mais sûrement. Et la Côte d’Ivoire est jeune. Et la jeunesse, c’est l’énergie !

Le Premier ministre Patrick Achi et le chef d'État Alassane Ouattara posent avec le nouveau gouvernement au palais présidentiel, le 7 avril 2021. LUC GNAGO/REUTERS
Le Premier ministre Patrick Achi et le chef d'État Alassane Ouattara posent avec le nouveau gouvernement au palais présidentiel, le 7 avril 2021. LUC GNAGO/REUTERS

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Société 
Métissage et immigration.

Avec ses 6,6 millions d'habitants, Abidjan se présente comme une immense cité afro globale où les immigrants de première génération se mélangent avec des migrations ouest-africaines plus récentes et les « nouveaux venus » des quatre coins du monde (français, libanais, chinois, vietnamiens…). Des « communes » comme Abobo sont un véritable melting-pot de cultures. Comme le soulignait avec un certain humour son ancien maire, le regretté Hamed Bakayoko : « Ici, c’est un peu comme la Cédéao, on y trouve toutes les nationalités, il faut agir en tenant compte de chaque communauté… »

La Côte d’Ivoire est clairement un pays d’immigration. Un quart de la population ne possède pas la nationalité selon les chiffres officiels. Une proportion stable depuis 1975. Dès le début de l’ère Houphouët-Boigny, l'immigration aura été perçue comme un formidable levier de développement, en particulier pour le cacao et le secteur agricole. Burkinabés, mais aussi Maliens, Ghanéens, Guinéens, etc. sont venus travailler ici. Ce métissage est porteur d’une formidable richesse, au sens propre comme au sens figuré, porteuse de croissance et d’une créativité omniprésente. Mais aussi de tensions permanentes. Le foncier est une source de conflits récurrents, entre allogènes, qui « travaillent la fève », et autochtones, qui possèdent la terre. Le concept d'ivoirité, promu dans les années 1990, est le signe le plus frappant de ces crispations identitaires, qui recoupent souvent des appartenances religieuses (entre un « nord » musulman et un « sud » chrétien). Plus récemment, la prospérité relative du pays, l’attrait d’Abidjan attirent une immigration soutenue – et le plus souvent paupérisée – de la sous-région en recherche d’un avenir et d’un abri.


Politique 
Un nouveau contrat social.

Les images auront marqué les esprits. Le 27 juillet, Alassane Ouattara a reçu au palais du Plateau l’ex-président Laurent Gbagbo, revenu au pays, après dix longues années de prison à La Haye et un acquittement à la Cour pénale internationale. Sourires et poignées de mains chaleureuses entre deux hommes qui se connaissent, qui se sont opposés politiquement, souvent violemment, comme lors de l’élection présidentielle de 2011, remportée clairement dans les urnes par ADO, envers et contre toute la résistance de Laurent et des siens.

Le dialogue politique est une nécessité, une exigence vitale pour la stabilité du pays. La réconciliation des « grands » est essentielle pour maintenir une vie politique fonctionnelle. Et le pays a besoin de « tous ses fils » et « de toutes ses filles » pour avancer, pour se construire. Il a aussi un besoin d’équilibre des régions, des influences, des baronnies pour que chacun y trouve son compte. La paix, la cohésion, c'est la clé du développement.

La Côte d’Ivoire a beaucoup changé. Les gens se marient quelles que soient leurs origines, les enfants mixtes sont légion et seront les citoyens de demain, les grandes villes sont le creuset de ce melting-pot ivoirien, Abidjan incarne une identité à elle toute seule. Mais les ressentiments ne sont jamais très loin, les partis restent basés sur leur « origine locale », les conflits liés aux migrations internes ou externes, à la terre, aux ressources, peuvent vite dégénérer. Tout comme les instrumentalisations politiques.

Sur le plan politique, la Côte d’Ivoire a également besoin de changer de division. La mutation économique du pays, bien réelle, suppose un changement de paradigme. L’enjeu véritable, l’enjeu historique, reste consubstantiel à l’émergence. Comment sortir des concepts ethno-régionalistes, comment entrer véritablement dans cette troisième République ivoirienne, construire un équilibre démocratique moderne qui dépasse le référent régional ou religieux, avec un équilibre institutionnel qui s’adresse au « citoyen » ivoirien.

Le renouvellement du débat, du contrat social est vital. 80 % de la population a moins de 30 ans. Cette jeunesse est l’avenir du pays. Ces nouvelles générations ont besoin d’être impliquées, d’adhérer au modèle, de croire en la politique, au service public. De croire en leurs opportunités.

Au centre de ces équations et de ces exigences multiples se trouve le président Ouattara. Malgré les deuils, les tragédies intimes, les oppositions, ADO a entamé son troisième mandat sur des bases solides. Il est au palais, maître des horloges, du timing. Et des réformes.