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MAMADOU DIOUF<br>HISTORIEN SÉNÉGALAIS

« LES QUESTIONS FACTUELLES NE SONT PAS DISCUTÉES »

Par Sabine.CESSOU - Publié en juillet 2016
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Le chercheur attire l’attention sur la face crapuleuse du terrorisme. Et sur les réponses diaboliquement séduisantes que les intégristes apportent à une jeunesse désoeuvrée…

Il est directeur depuis 2007 du Département d’études africaines de l’université de Columbia à New York, ancien administrateur du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (Codesria) à Dakar.
 
AM : Les réponses politiques apportées à la menace terroriste en Afrique de l’Ouest vous semblent-elles à la hauteur ?
Mamadou Diouf : C’est à se demander si elles existent ! Le terrorisme musulman, c’est bien connu, recrute au sein d’une jeunesse désoeuvrée. Sa propagande repose sur la critique violente de la corruption. Or, observons-nous dans les pays concernés à travers la sous-région ouest-africaine une politique de l’emploi volontariste ? Une gestion plus transparente des affaires ? Sur ces deux points cruciaux, force est deconstater que rien n’a beaucoup changé ! Plus important encore : la lutte contre le terrorisme passe par un travail policier. Les pays qui y sont confrontés disposent-ils des moyens nécessaires ? Peuvent-ils mobiliser le renseignement et l’intelligence indispensables pour comprendre comment fonctionnent ces réseaux terroristes ? Peuvent-ils travailler ensemble pour identifier les menaces ? Ces questions d’ordre très factuel ne sont pas discutées. Elles ne sont pas sur la table. Pas plusque la question du trafic de drogue, par ailleurs…
 
Le trafic de drogue en provenance d’Amérique latine qui sévit partout en Afrique de l’Ouest contamine-t-il les sociétés, par exemple le Sénégal ?
Un livre cosigné par un universitaire français malheureusement disparu, Patrick Chabal, spécialiste des colonies portugaises, est sorti en mai sur la Guinée-Bissau en tant que premier « narco-État » en Afrique de l’Ouest (Guinée-Bissau: Micro-State to Narco-State, C. Hurst & Co Publishers). Cette étude montre comment les élites baignent dans le trafic de drogue, sans conséquences fortes pour la société, qui continue de fonctionner en dehors de ces réseaux.
 
Êtes-vous inquiet pour l’avenir, eu égard à la montée de l’intégrisme, qui remet en question l’islam soufi du Sénégal ?
Il faut savoir que les salafistes représentent peu de choses au Sénégal. Le premier salafiste du pays, Cheikh Touré, a publié un journal de 1957 à sa mort, intitulé L’Islamiste, et fondé le mouvement dit des « Ibadorahmanes », avec un impact qui reste limité dans la société. À mon sens, les groupes les plus dangereux viennent du sein même des confréries, dans l’optique de changer la nature laïque de l’État au Sénégal. Les intégristes ne sont pas capables de faire l’offre que les confréries peuvent faire aux jeunes, comme le marabout Cheikh Béthio Thioune par exemple, qui s’est fait une spécialité de trouver des maris ou des femmes pour les jeunes. De même, les confréries sont en train de trouver des solutions dans les coulisses, sans qu’on en parle au Sénégal. Mame Mor Mbacké, un petit-fils du fondateur de la confrérie mouride, Cheikh Ahmadou Bamba, est en train de créer une université à Touba. Son père a été l’un des premiers à créer des structures pour que les enfants aillent à l’école coranique, passent leur bac en arabe et aillent étudier au Caire. Puisque 80 % de ces jeunes sont revenus salafistes, les chefs de la confrérie ont décidé de créer leur propre université, inscrite dans l’islam soufi. L’alternative n’est pas d’être confrérique ou barbu. Le débat n’est pas du tout là au Sénégal : le croire, c’est se faire peur pour rien !