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Ce que j’ai appris

OSVALDE LEWAT

Par Sabine.CESSOU - Publié en février 2016
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RÉALISATRICE, PHOTOGRAPHE CAMEROUNAISE, 39 ANS.Ses images de Kinshasa et de Lubumbashi, en République démocratique du Congo (RDC), où elle a vécu huit ans, font l’objet d’un livre, Congo couleur nuit, paru aux éditions Phenix (Paris).

J’ai d’abord été journaliste au Cameroun, mais j’ai arrêté par frustration : mes papiers étaient éphémères et il fallait tenir compte de la ligne éditoriale. Je voulais prendre le temps de raconter les histoires et donner mon point de vue. Les documentaires m’ont permis d’aller plus loin. Après en avoir réalisé plusieurs, j’ai suivi un master de science politique au début des années 2000 à Paris.

J’ai travaillé sur des sujets difficiles, comme le viol à l’est du Congo. Je vivais les histoires à 200 %, par empathie avec les gens que je filmais. À un moment, j’ai traversé une crise existentielle et professionnelle. « Et si j’arrêtais ? », me suis-je demandé… Une fois à Sciences Po Paris, il me tardait de reprendre le documentaire !

J’ai réalisé Une affaire de nègres en 2008 au Cameroun, sur les exactions d’une unité spéciale des forces de l’ordre en 2000, sous couvert de lutte contre le banditisme. Le documentaire n’a pas été officiellement interdit au Cameroun, mais ceux qui ont voulu le montrer en ont été dissuadés. De mon côté, lors du tournage, je ne me suis jamais posé la question de savoir s’il fallait renoncer ou non. Le film a été diffusé sur une chaîne de France Télévisions.

J’ai ensuite tourné en Israël à Sderot, où j’avais été invitée à montrer mon travail. J’avais des préjugés et je ne voulais pas m’y rendre. Une fois sur place, je suis tombée amoureuse de cette région du sud du pays – un petit coin de paradis. J’ai fait un documentaire dans ce village, situé à la frontière de Gaza, où se trouve sur une école de cinéma passionnante, fondée par d’anciens soldats israéliens qui voulaient permettre aux gens de tous les horizons, Israéliens et Palestiniens, juifs, chrétiens et musulmans, de se rencontrer. Ce parcours m’a intéressée : le refus du renoncement, partir des extrêmes pour épouser des opinions plus modérées et continuer à rêver de la paix. Moi qui venais d’Afrique et qui avais tourné dans des zones en guerre, voir des gens qui n’avaient rien en commun se traiter en frères a été une leçon de vie.

Mon dernier film, Land Rush (2012), traite de la question de l’accaparement des terres au Mali. Ce cas se révèle emblématique : la vallée du Niger a été découpée et redistribuée à des agro-industries américaines, européennes et libyennes à l’époque de Mouammar Kadhafi. Je montre le choc des visions du monde, avec des paysans qui refusent que des Américains leur apportent des immeubles, l’accès à l’eau et l’électricité. Ils disent ne pas avoir besoin d’argent et être très bien dans leurs villages… J’en ai tiré cette conclusion : inutile d’imposer sa vision du bonheur aux autres, surtout quand il est matériel.

J’ai vécu huit ans en République démocratique du Congo (RDC), où j’ai fait des photos de Kinshasa, du Katanga et de Lubumbashi la nuit. Je les ai montrées pour la première fois en mai 2014 dans la capitale, sur des bâches tendues sur la place du 30-Juin. L’interaction avec le public était dense, les gens étaient étonnés de se voir et se trouvaient beaux.

Quand on regarde l’Afrique avec un regard lucide et rempli d’amour, les gens le ressentent. Je montre la beauté, la douceur et la poésie de la RDC. Les Congolais sont debout, malgré tous les coups qu’ils ont reçus au cours de l’histoire. Ils sont résilients et généreux. J’ai appris avec eux qu’on peut avoir très peu et tout donner.