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Serge Beynaud, le nouveau patron du coupé-décalé?

Par - Publié en août 2018
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Un énième hit avec Babatchai, des rivalités, des polémiques, du business… Rien n’arrête l’enfant de Yopougon devenu SUPERSTAR du « boucan » d’Abidjan. Également à la tête de son propre label et d’une fondation, il s’apprête à fêter ses 10 ans de carrière. Rencontre sur les bords de la lagune.
 
Faut-il encore présenter cette figure emblématique du coupé-décalé ? En gentleman toujours chic arborant lunettes de soleil dorées et cigare en main, le maître de la frime à l’abidjanaise n’en finit pas de faire parler de lui et de glaner les récompenses. En avril 2018, il a remporté le Trophée Argent YouTube. En 2017, le ministre de la Culture lui a décerné le Prix national d’excellence, il a été fait Chevalier de l’ordre du mérite culturel, nommé « meilleur artiste masculin » aux Awards du Coupé- Décalé, mais aussi « meilleur artiste africain francophone » aux MTV Africa Music Awards en 2016… Ainsi, le musicien est à l’unanimité le plus redoutable adversaire de scène de DJ Arafat, le roi controversé du coupé-décalé.
Au lycée municipal d’Attécoubé (Abidjan), il fut bon élève et se rêvait basketteur, à l’image de son idole, l’Américain Allen Iverson. Il aurait pu embrasser une carrière de haut cadre dans l’administration mais très vite, sa scolarité s’est effacée derrière sa passion pour la musique. Souhaitant devenir arrangeur, il se heurte au refus de nombreux studios d’enregistrement, devient brièvement DJ puis opte pour la chanson. Son premier opus, Koumanlébé, en 2009, le révèle au grand public. Aujourd’hui, il cartonne avec son nouveau tube, Babatchai. À 30 ans, Gnolou Guy Serge Beynaud, le timide enfant natif du quartier populaire Yopougon Cité Bicici à Abidjan, est devenu une superstar. L’artiste porte plusieurs casquettes : auteur, compositeur, arrangeur, producteur. Il a monté son label, Star Factory Music, et créé une fondation, pour aider les jeunes Ivoiriens en difficulté. Sur le continent et au-delà, des foules dansent à ses sonorités afropop, électro, world music.
Mais actuellement, le monde du coupé-décalé est secoué par une tempête. Une « guerre » fait rage sur les réseaux sociaux, avec une floraison de vidéos relayant les accusations que se lancent les monstres sacrés de la jet-set des « boucantiers » (artistes de coupé-décalé). La condamnation en justice de DJ Arafat, son éternel rival, à une année de prison ferme et une amende de 20 millions de francs CFA de dommages et intérêts pour coups et blessures volontaires et acte de cybercriminalité, en mai 2018, par le tribunal d’Abidjan Plateau, défraie la chronique. Lui-même cité dans le scandale des voitures non dédouanées qui secoue la Côte d’Ivoire depuis sa révélation le 21 mai 2018 (aux côtés d’autres personnalités politique, des affaires ou du monde de l’art), Beynaud a déclenché une fâcheuse polémique avec son commentaire au sujet de l’acte de bravoure du désormais célèbre jeune immigré malien Mamoudou Gassama, qui a sauvé un enfant suspendu dans le vide au balcon du 4e étage d’un immeuble parisien, en mai 2018. « Le véritable héros, pour moi, c’est ce mec-là », a-t-il déclaré en désignant le voisin du jeune garçon, qui a participé au sauvetage. « Il a maintenu l’enfant pour laisser l’autre terminer le bara [le travail, NDLR]. »
C’est dans cette atmosphère que l’artiste évoque son quotidien, ses projets, ses prochaines tournées. Interview exclusive.
 
AM : Vous paraissez toujours jeune, le stress ne vous touche-t-il pas ?
Serge Beynaud : Ah, ça commence fort ! D’abord, je vous remercie de votre compliment. La vérité est que j’essaye d’avoir une vie saine, de me reposer et de faire attention à ce que je mange. Notre métier est compliqué et très stressant, il est facile de perdre pied. J’essaye de garder la tête froide et lorsque je ressens un peu de stress, je me pose la question suivante : « Est-ce que stresser va m’aider ? ».
 
Quel est le secret du « babatchai » [personnalité très respectée] que vous êtes devenu, pour rester au top dans le coeur des mélomanes à travers plusieurs continents depuis 2009 ?
Je crois que ce que je vis et ce que je suis devenu se résume en deux idées : je ne me considère pas arrivé au top, il y a encore beaucoup de travail à fournir et j’écoute mes fans, je fais de la musique pour essayer de les toucher.
 
Combien de disques au total avez-vous vendu à ce jour ?  La plateforme de vidéos YouTube vous a offert un Trophée Argent, à quoi cette distinction correspond-elle ?
Tous albums confondus, je vous avoue que je ne sais pas. Il faudrait que je regarde dans les archives (rires). J’ai sorti quatre albums, une centaine de titres. Le trophée YouTube correspond à 100 000 abonnés mais nous l’avons reçu un peu en retard car nous sommes à plus de 350 000 aujourd’hui.
 
Le piratage musical n’est pas encore banni sous les tropiques. Cela vous préoccupe-t-il ? Quelle est votre solution ? En parlez-vous avec vos collègues artistes stars ?
C’est un sujet épineux qui nous concerne tous. Je pense que les pirates n’ont pas conscience qu’ils volent et font du mal aux artistes en vendant des oeuvres qui ne leur appartiennent pas. Cependant ils essayent, ils se battent pour gagner leur pain. Je pense qu’il faudrait travailler avec eux en leur fournissant des disques originaux. Tout le monde serait gagnant, l’artiste, qui ne serait plus lésé, le pirate, qui offrirait un produit légal, et le consommateur, qui aurait entre ses mains un objet de qualité.
 
Avec son grand rival de toujours, Ange Didier Houon alias DJ Arafat, les relations restent compliquées… DR
 
Vous auriez créé un réseau spécial en ligne où vous livreriez les petits secrets de votre vie de star, mais ce réseau ne serait réservé qu’aux abonnés. Racontez-nous un peu… Il semble que vous jouez très bien au billard. Quels sont vos autres loisirs ? Habitez-vous un quartier huppé de Paris ? Roulez-vous en grosses cylindrées à Paris, à Abidjan ?
Effectivement, ce réseau est piloté par Star News, une compagnie assez récente. Il suffit de s’abonner et vous recevez tous les jours des vidéos inédites. C’est vrai pour le billard, mais malheureusement rien d’autre, le temps ne me le permet pas. Je vis à Abidjan, j’ai une voiture de classe moyenne.
 
Il est de notoriété publique que vous participez à des campagnes pour soutenir les diabétiques, les orphelins…Parlons-en !
Je pense que lorsque l’on bénéficie d’un statut comme le mien, d’une place spéciale dans les médias, il faut l’utiliser pour mettre en lumière les maux de notre société. Certaines personnes n’ont pas les mêmes chances que moi, j’essaye du mieux que je peux d’aider. J’ai d’ailleurs lancé officiellement la Fondation Serge Beynaud le 4 mai 2018. Notre objectif est de former les jeunes Ivoiriens ayant des difficultés sociales afin qu’ils trouvent leur place, un métier et deviennent acteurs à part entière de la société.
 
À quoi vos fans doivent-ils s’attendre sur votre prochain album ?
Je travaille dessus. Ce sera un album plus… mature, plus expérimental, plus osé.
 
Quels sont les genres musicaux qui influencent votre coupé-décalé ?
Honnêtement, la musique dans son ensemble me séduit. Si le son est bon, il est bon, les mélodies aident à réfléchir, peu importe le style.
 
Votre musique va-t-elle conquérir davantage les États-Unis ? Vous visiez les Antilles…
J’ai déjà fait plusieurs tournées aux USA. La prochaine est prévue en 2019. Les Antilles oui, ce sont des territoires où j’ai déjà beaucoup de fans. Je reçois un certain nombre de messages mais je n’ai pas encore eu la chance d’y aller. Ce serait un grand plaisir d’y faire une tournée. Au milieu tous ces genres musicaux africains
 
à la mode en ce moment, l’afrobeat par exemple, qui a emballé les rappers Black M, MHD ou Maître Gims, comment voyez-vous l’avenir du coupé-décalé ?
Le coupé-décalé, comme tout style de musique, évolue, s’adapte. Il continuera à vivre et à se développer.
 
Pourquoi ne retrouve-t-on pas de sonorités de musique traditionnelle de Côte d’Ivoire dans votre musique, qui pourrait paraître finalement trop moderniste ? Voulez-vous lancer votre propre genre ?
Si vous ne les avez pas retrouvées, alors j’ai bien fait mon travail ! Les sonorités sont complètement intégrées à ma musique. Essayez de prêter une oreille attentive et vous reconnaîtrez plusieurs rythmes traditionnels. La musique de mon pays m’inspire beaucoup, c’est ma culture, elle vit en moi.
 
Pour vous, qu’est-ce qu’une carrière musicale réussie ? Comment vous voyez-vous dans cinquante ans ?
Ça, c’est une vraie question. Je ne pense pas qu’il y ait un schéma de réussite. Ce n’est pas la longévité, c’est plutôt l’impact que l’oeuvre peut avoir dans le coeur des fans. Dans cinquante ans… j’aurai 80 ans ! J’espère que je serai à la retraire en train de couler des jours heureux (rires).
 
Quelles sont les différences selon vous entre le show-biz européen et le show-biz africain ?
La structuration et la solidarité. En effet, les fans européens ont un accès beaucoup plus facile aux nouvelles technologies comme le streaming ou le téléchargement légal. Cela suppose d’avoir une carte de crédit et un forfait Internet conséquent. Nous devons réfléchir à un système plus adapté chez nous, car la majorité n’a pas accès à ces outils. Peut-être en discutant avec les opérateurs téléphoniques… La solidarité est importante, surtout entre artistes. Si l’un s’élève, c’est tout le mouvement qui en bénéficie.
 
Comment se porte Star Factory Music, le label que vous avez créé en 2014 ? Le principe est-il de produire des talents ivoiriens exclusivement coupé-décalé ou d’autres genres également ? En a-t-il déjà lancés ?
Le label se porte très bien. Nous travaillons à l’éclosion et la structuration de nouveaux talents, tous styles de musique confondus. Même si nous sommes spécialisés dans les musiques urbaines. Vous pouvez régulièrement voir les nouveaux projets de Mike Alabi, Ramses & Salvador, etc.
 
Quelles relations entretenez-vous avec d’autres stars du continent comme la Gabonaise Patience Dabany, Youssou N’Dour, Yemi Alade ou autres ? Êtes-vous réclamé par certaines stars pour des featurings ?
Dans l’ensemble, j’entretiens plutôt des relations cordiales. Certains sont des amis comme Yemi Alade, qui vient régulièrement me rendre visite chez moi. J’ai beaucoup de respect pour mes aînés mais je ne les côtoie malheureusement pas. Pour les featurings, oui, j’en ai fait un avec Flavour ou Yemi Alade [tous deux nigérians, NDLR]. Il y en a d’autres en cours, mais nous n’en parlons pas pour le moment.
 
Vous vous êtes marié à Abidjan en décembre 2016, civilement et traditionnellement, avec Priya Jacinta Gnolou. Votre vie a-t-elle changé ? Vous apparaissez dans votre nouveau clip Babatchai en boubou bazin africain, comme les pères de famille en Afrique aiment en porter, et même votre célèbre danseuse Zota a opté pour un boubou plutôt qu’une tenue sexy. Est-ce le mariage qui entraîne tout ça ?
Jacinta est une femme brillante qui a fait des études poussées en Europe. C’est une personne assez discrète qui aime la chaleur de sa maison plutôt que le feu des projecteurs. Pour ce qui est du changement de vie, en effet, le mariage est une étape importante dans la vie d’un homme. On grandit, on avance, on évolue ! Ma femme est mon premier soutien, elle est une source d’inspiration. Elle est titulaire d’un doctorat en sociologie et directrice dans une société à Abidjan. Le clip de Babatchai est une bonne image de mon état d’esprit actuel.
 
Vous représentez non seulement la Côte d’Ivoire mais aussi toute l’Afrique. Du fait de votre influence, pressentez-vous que vous aurez un rôle particulier à jouer sur le continent africain ? Ou en Côte d’Ivoire ?
Honnêtement, c’est un peu difficile de s’en rendre compte. C’est une responsabilité lourde à porter. Cependant, j’essaye de faire au mieux pour utiliser cette influence à bon escient. C’est une des raisons qui m’a poussé à monter la Fondation Serge Beynaud.
 
On en parle, on en reparle : qu’en est-il de vos relations avec DJ Arafat ? Sont-elles meilleures ? Dégradées ?
Ce sont surtout les gens qui en parlent.
 
Qu’est-ce que vous inspire sa condamnation à 12 mois de prison ?
Je pense que l’ingérence n’a jamais rien donné de positif. Je laisse la justice faire son travail.
 
Il y a un an, vous écriviez sur Facebook ces mots : « Macron a gagné, Le Pen a perdu, ok, mais dans tout ça là ooh, Koudou [Laurent Gbagbo, NDLR] sort quand ? » Vous annoncez-vous en politique ? Pensez-vous que la Côte d’Ivoire ne s’en sort pas politiquement ?
Ce message était plutôt une façon comique de dire aux gens que nous parlons et commentons beaucoup les événements de l’étranger sans nous préoccuper plus que cela de ce qui se passe dans notre pays. Mais ne voyez là aucune vocation et aucun jugement sur notre politique. Je suis artiste, je laisse les politiciens faire leur travail.
 
Dans une de vos chansons, Bakamboue, vous dites : « Africains venez on va danser, que tu sois du nord ou du sud, on a besoin d’amour pour l’Afrique, c’est la famille, je suis ivoirien, tu es gabonais, je suis malien, tu es mon frère. » Seriez-vous en campagne contre certaines idées qui vous déplairaient ?
Je pense surtout que l’Afrique doit être unie, doit penser « une », doit rêver « une ».
 
Est-ce vrai que vous comptez célébrer l’année prochaine vos 10 ans de carrière ? Et où serait-ce ?
C’est le cas. 10 ans déjà… De septembre à juin, je vais donner 10 concerts dans 10 pays afin de fêter cette nouvelle étape de ma carrière. Le programme sera dévoilé à la rentrée scolaire, mais nous commencerons par la Côte d’Ivoire.
 
Vous avez été cité par la douane ivoirienne dans le scandale des voitures non dédouanées. Que s’est-il passé pour que vous soyez impliqué ? Avez-vous été piégé ? Avez-vous pu régulariser votre véhicule ?
Dans cette affaire, il faut comprendre qu’il y a des coupables, des complices et des victimes. Malheureusement j’ai été victime. Quoi qu’il en soit j’ai commencé les démarches afin de régulariser ma situation. Considérons que c’est déjà fait.
 
Dans la foulée des réactions sur l’acte de sauvetage de Mamoudou Gassama, vous avez déclaré que le vrai héros était plutôt le voisin qui a tenu l’enfant. Les internautes ont, pour la plupart, condamné vos propos. Les maintenez-vous ?
Tous les jours, des actes exceptionnels sont réalisés par des gens hors normes que l’on qualifie de héros. Dans le cas de Mamoudou, je salue son geste, son courage, car ce qu’il a fait est exceptionnel. Cependant, il y a une récupération politique un peu gênante de cet acte de bravoure. Je ne pense pas que Mamoudou ait souhaité le vivre ainsi. La chose positive est que cela lui ait permis de changer de vie [il sera naturalisé français, NDLR]. Il a mérité cela. Le fait de parler de l’autre personne est une manière pour moi de dénoncer ce tapage médiatique, de montrer aux gens qu’il faut regarder dans toutes les directions. Et il faut reconnaître que ce voisin a été essentiel dans le sauvetage de cet enfant. Dans nos sociétés il faut des héros, des icônes. Mamoudou a le profil parfait pour donner espoir en Afrique, montrer aux Européens que des immigrés aussi sont citoyens. Cela dit, Mamoudou a sauvé une vie au péril de la sienne et c’est ce qu’il faut retenir.