Aller au contenu principal

SIMON NJAMI l'homme de l'art nouveau

Par Michael.AYORINDE - Publié en mai 2011
Share

IL VOUS REÇOIT dans son appartement parisien, entre une triennale qu’il vient de monter à Douala et un voyage en Italie. Mais il n’y a pas de rencontre de tout repos avec Simon Njami, commissaire d’expo entre mille autres choses. Il a cette manière douce et sèche à la fois de renvoyer dans les cordes celui qui a le malheur d’exprimer une idée un brin stéréotypée ou une approximation de pensée. Avancez donc l’expression, « Afrique, terre de culture par excellence », et vous vous verrez répondre : « L’Afrique n’est pas plus une terre de créativité qu’un autre continent. L’Occidental est peut-être plus réceptif à l’art africain, mais c’est juste une question de contexte. Jean-Sébastien Bach, pour un Chinois mélomane, par exemple, c’est du bruit ! » C’est clair, notre Camerounais adore prendre le contre-pied, en Lion indomptable de l’intellect. Ce qui lui a valu quelques solides inimitiés, lorsque, par exemple, il se permit, à la télé française, il y a quelques années, de qualifier le septième art africain qui avait éclos après les indépendances de « cinéma calebasse » ! Mais c’est probablement ce mélange de subversion et d’indépendance, allié à un souci de dire la vérité, qui en a fait l’un des plus importants agitateurs d’idées, « remueurs » de sensibilités, entre Alger et Joburg. « On vit une époque de cash and carry. On préfère bricoler son travail à la va-vite plutôt que de suivre le cours de ce que l’on crée. Moi, j’invente mon propre rythme, hors des pressions du marché. » Et ça fonctionne ! Depuis 1987, en qualité de commissaire d’exposition, il a marqué de son empreinte une dizaine de manifestations, dont la Biennale d’art contemporain de Dakar en 2000, et, en 2007, le fameux premier pavillon africain, intitulé Cheklist Luanda Pop, au sein de la plus illustre manifestation d’art contemporain du monde, la Biennale de Venise.

L’Afrique d’antan et l’Afrique globale. Voilà le balancement qui rythme toute la vie de cet esthète de 49 ans. L’Afrique d’antan, c’est, comme il dit, « l’histoire que mes parents ont vécue et qu’ils m’ont laissée. C’est ça qui fait de moi un Bassa, un Camerounais et un Africain. Si tu veux te mélanger, il faut que tu existes d’abord. » Un père professeur de théologie et de philosophie qui installera sa famille en Suisse et une mère au foyer. Six frères et soeurs. « Mes parents étaient très libéraux, et j’étais un enfant très sage. Je dévorais des bouquins, alors on m’offrait des livres et non des chemins de fer », confie-t-il avec un soupçon de regret. L’Afrique globale, c’est son destin. Ce Camerounais est en effet né… à Lausanne ! Et fera toute sa scolarité dans une école internationale de la ville : « On y apprend, l’ouverture, la découverte. » Le gamin studieux suivra plus tard des études supérieures à Paris et décrochera, en 1985-1986, un doctorat en droit et un autre en lettres. Et l’Afrique artistique globale, il la mettra en avant dès 1991, à l’occasion de la belle aventure de la luxueuse Revue noire, dont il sera le cofondateur et qui durera huit ans. Son objectif : montrer la vitalité créatrice des mondes urbains du continent souvent en plein chaos politique, économique et social. Il la met encore en avant dans ses 8 romans ou biographies que cet admirateur de Baldwin, Vian et Mishima a écrits entre 1985 et 2011. Et comment ne pas voir que son action de commissaire général à la tête des désormais illustrissimes Rencontres africaines de la photographie de Bamako, de 2001 à 2007, participait du même élan ? Donner à voir les clichés novateurs des Camerounais Samuel Fosso et Angèle Etoundi Essamba, du Congolais Sammy Baloji ou du Malien Mohamed Camara et ne plus en rester à Malick Sidibé ou Seydou Keïta, les pères fondateurs du huitième art continental.

Mais il y aura, surtout, un avant et un après Africa Remix. Le plus beau des contre-pieds de Simon Njami, qui l’a confirmé dans son rôle de M. Afrique de l’art contemporain. C’était en 2005. L’événement remportera un énorme succès, provoquera débats et polémiques et, surtout, il donnait un sens à la formidable dynamique culturelle du continent enclenchée au début des années 1990. Africa Remix : plus de 80 artistes (peintres, sculpteurs, photographes, plasticiens…) et plus de 200 oeuvres présentés successivement à Düsseldorf, Londres, au Centre Pompidou de Paris, à Tokyo, Stockholm et Johannesburg ! De nombreux artistes verront ensuite leur cote monter en flèche chez les galeristes et marchands d’art. « Je monte une expo comme j’écris une fiction. Le scénario
d’Africa Remix, c’était : “Laissez à l’entrée tout ce que vous croyez savoir sur l’Afrique. Sinon, en sortant, vous serez perdu.” » Et tant pis pour cette partie du public qui ne jouait pas le jeu. Le résultat, Simon Njami le raconte avec jubilation : « Un homme m’a déclaré à Paris, à l’issue de sa visite : on était venu voir l’art du continent,
mais il n’y avait pas de masques ! » Eh, non, pas non plus de portes dogons, ni de statuettes fangs ! Mais le monde halluciné du Projet pour le Kinshasa du 3e Millénaire du Congolais Bodys Isek Kingelez, le travail à l’encre sur tissu représentant une odalisque à tête de Ben Laden (Great American Nude du Soudanais Hassan Musa) ou la vidéo d’une danseuse du ventre se trémoussant sur une version orientale de La Marseillaise (Dansons de l’Algérienne Zoulikha Bouabdellah)… Un visage de l’Afrique remixée, celui d’un continent pleinement inséré dans le monde de l’après-11 septembre 2001.

Mais cette modernité culturelle, qu’il est dur de l’imposer ! «Je me fiche que les États africains se montrent incompétents dans le domaine culturel ! Je fais en sorte que les choses existent. Il faut se déplacer là où il est possible d’être exposé. » Du coup, il se déplace au gré des institutions, musées et autres fondations qui se montrent intéressés. Déjà, son agenda pour 2011-2012 croule sous les projets : entre autres, une exposition, intitulée Broken Memories, qui portera sur les traces de l’esclavage avec 60 artistes caribéens, africains et américains, qui se tiendra à New York et à Miami, cette année ; et, en 2012, La Divine Comédie de Dante approchée par 60 créateurs africains. Une énorme manifestation d’art contemporain qui se tiendra pendant neuf mois au prestigieux Smithsonian Institution de Washington ! La consécration, enfin, pour les plasticiens du continent ? « Vous plaisantez ? Il y a déjà 5 créateurs africains pour un Français dans les expositions et les biennales ! Et la cote d’une bonne dizaine d’entre eux tels que le Ghanéen El Anatsui, les Sud-Africains William Kentridge ou Marlene Dumas ou les Britanniques d’origine nigériane Yinka Shonibare et Chris Ofili n’a rien à envier à celle des grands noms occidentaux. C’est curieux, c’est toujours ce même regard nostalgique porté sur l’Afrique ! À croire qu’on a besoin de plus démuni que soi pour se sentir mieux. » Ultime contrepied…

Par Jean-Michel Denis