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Sénégal

Macky Sall, entre rupture et continuité

Par Julien Wagner - Publié en mai 2017
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Le chef de l'État a engagé de nombreux chantiers, certains imaginés par son prédécesseur. Il s'agit de lancer les bases d'une croissance forte. Un plan ambitieux qui, pour réussir, doit s'accompagner de la création d'emplois.

Le béton se dispute au métal et au bois. Un vent marin puissant siffle et couvre les hommes de terre ocre. Depuis le 4e niveau d’un des trois bâtiments en construction du projet immobilier du groupe africain Teyliom, casque de chantier sur la tête, Ibrahima Diop, chef de projet, 30 ans à peine, contemple les dizaines d’ouvriers sénégalais qui s’affairent sous ses ordres. « On est dans les temps. D’ici six à huit mois, tout sera terminé », explique-t-il. Nous sommes à Diamniadio, à 30 km à l’est de Dakar. « Avant, ici, il n’y avait rien, reprend-il. C’était une zone maraîchère avec quelques villageois. » Au loin, on distingue des bâtiments en construction à l’est, d’autres encore à l’ouest, au nord… L’horizon est en chantier. Les trois bâtiments du projet supervisé par l’Agence de gestion du patrimoine et du bâti de l’état (AGPBE) ont déjà trouvé preneurs, ils abriteront des ministères.
 
« On ne sait pas encore lesquels, concède Ibrahima Diop, mais ils sont conçus pour être adaptés aussi bien aux uns qu’aux autres. » Sept ministères et près de 10 000 fonctionnaires devront bientôt venir travailler ici. « Dakar est macrocéphale », constate Serigne Mbacké Diop, secrétaire général de la Société nationale d’habitation à loyer modéré (SNHLM) qui participe au financement et à la construction de plusieurs projets de logements d’habitation à Diamniadio. « Aujourd’hui, la capitale compte 3,5 millions d’habitants… » D’ici vingt ans, elle pourrait en compter le double. Parmi les projets finis ou en cours, le Centre international de conférences Abdou-Diouf (inauguré en 2014), l’université Amadou-Mahtar-Mbow, un parc industriel, un hôtel cinq étoiles, des logements sociaux…
 
Cette ville nouvelle est devenue le symbole de la présidence Macky Sall. L’une des clés de voûte de « son » plan, le Plan Sénégal Émergent, lancé en 2014. Une série de projets et de réformes, destinés à faire du Sénégal un pays émergent à l’horizon 2035. Pourtant, cette ville qui naît littéralement sous nos yeux a été imaginée il y a presque vingt ans déjà. Et c’est à son prédécesseur, le président Abdoulaye Wade, que l’on en attribue le plus souvent la paternité. Mais l’ancien président était aussi impulsif que visionnaire. Du jour au lendemain, il remisera le projet au placard. Premier ministre d’Abdoulaye Wade de 2004 à 2008, Macky Sall connaît bien le projet et en a toujours été un fervent partisan. Dès son élection en 2012, il en fera le socle de sa politique d’infrastructures.

Mais il ne va pas s’arrêter là. Le PSE est pensé comme un « plan de rupture ». Sur les cinq premières années, il prévoit un investissement de près de 9 700 milliards de francs CFA.

La ville nouvelle est intégrée à une vision plus grande d’un « triangle de prospérité » formé par les villes de Dakar, M’bour et Thiès. L’idée est de prolonger le projet en engageant les travaux pour connecter les trois villes aux niveaux routier, autoroutier, ferroviaire et aéroportuaire. Au cœur du triangle, le « croisement » de Diamniadio et l’Aéroport international Blaise- Diagne (AIBD), à 47 km au sud-est de Dakar, projet également initié par l’ancien président et qui, lui aussi, a quelque peu périclité : les travaux ont commencé il y a déjà dix ans et l’aéroport n’est toujours pas achevé. Mais cette fois-ci semble être la bonne. « Il sera inauguré en décembre 2017 », assure Mountaga Sy, le directeur général de l’Agence de promotion des investissements et grands travaux. Comme on dit ici, « Wade a lancé un certain nombre de projets, Macky Sall va les rentabiliser ».

 

LES INFRASTRUCTURES D'ABORD

Encore que cette vision soit quelque peu réductrice. Car le PSE comprend d’autres ambitions majeures, plus en rapport avec les attentes de la population. « Une sorte d’inversement des priorités a eu lieu depuis l’accession de Macky Sall à la présidence, confie un proche du président. Aujourd’hui, ce sont les infrastructures d’abord. Et en premier lieu celles qui ont un impact direct sur la population. L’éducation par exemple a été remisée derrière d’autres priorités comme l’accès à l’eau. » Depuis 2012 en effet, plus de 120 forages ont été effectués, soit davantage que les cinquante années précédentes.

D’ici deux ans, « chaque Sénégalais aura accès à l’eau potable », promet le gouvernement. Dans son Plan, Macky Sall a également laissé une place importante pour un « paquet social ». Outre la Couverture maladie universelle (CMU, voir pp. 70-71), véritable révolution, le gouvernement a revalorisé le minimum vieillesse de 10 % et instillé des mesures en faveur du pouvoir d’achat. Grâce aux nouvelles centrales dont la construction avait été lancée sous le président Wade et à celles décidées par le président Sall, l’accès à l’électricité sur l’ensemble du territoire national n’est plus un rêve (voir pp. 66-67). Même si son prix demeure élevé (il n’a quasiment pas cessé d’augmenter depuis 2005), les efforts engagés portent leurs fruits.

 

CRÉATIONS D'EMPLOIS INSUFFISANTES

Malgré ces succès, le malaise dans la population demeure perceptible. La région de Dakar, où vit plus du quart des Sénégalais, est une zone surpeuplée où à peine 30 % des actifs occupent un emploi salarié. Pendant sa campagne de 2012, Macky Sall avait promis la création de 500 000 emplois par an. On en est très loin. « Nous avions sous-estimé la structure de l’économie sénégalaise, peu diversifiée et peu performante, surtout en matière agricole », soupire un conseiller du président. Or, c’est bien la préoccupation principale des ménages (pour 26,8 %), et surtout des jeunes (41 %). Les réformes foncières, la maîtrise de l’eau, les investissements dans la pêche et la pisciculture n’ont pas encore permis de sortir les zones rurales (56 % des habitants) de l’ornière. L’exode vers la ville se poursuit, aggravant les problèmes liés à la surpopulation.

Ces revers constituent-ils une menace pour Macky Sall, à deux ans des prochaines élections ? Assurément, même si, d’ici là, on ne voit pas bien qui dans l’opposition pourrait constituer un adversaire crédible. Le plus sérieux est sans doute Khalifa Sall, maire de Dakar. Mais ce dernier est incarcéré depuis début mars pour une affaire de détournement de fonds publics – beaucoup y voient la main du Palais. Autre ombre qui plane au-dessus du président : celle d’Abdoulaye Wade, qui, malgré ses 90 ans, n’a semble-t-il pas renoncé à influer sur la vie politique. Indéniablement, Macky Sall, ingénieur géologue de formation, est un homme patient et réfléchi. Il a su capitaliser les acquis de la présidence Wade tout en réussissant à s’en démarquer pour donner un nouvel élan au pays. Mais il doit aussi se méfier. La jeunesse sénégalaise n’a pas sa patience.