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Cinéma

L'adieu à Moufida

Par Frida Dahmani - Publié en février 2021
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DR

Diminuée par la maladie, Moufida Tlatli, qui a apposé son empreinte sur le cinéma tunisien et vivait depuis quelque temps en retrait des circuits cinématographiques, s’est éteinte à l’âge de 73 ans le 7 février 2021. « Elle manquait déjà », confie la productrice Dora Bouchoucha. Discrète, celle que toute la profession et ses amis surnommaient « Moufa » avait contracté, grâce à son professeur de philosophie et au ciné-club du dimanche, la passion du cinéma au lycée. C’est sur les bans de l’IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques), à Paris, qu’elle effectue sa formation. Avec Kalthoum Bornaz et Kahena Attia, qui ont suivi le même cursus, elles sont le trio des pionnières du cinéma tunisien. Après un passage à la télévision française, Moufida s’installe à Tunis, où elle travaille au montage de films majeurs d’un cinéma émergent. « Que seraient des films comme Fatma 75 de Selma Baccar, La Trace de Néjia Ben Mabrouk ou Layla, ma raison de Taïeb Louhichi, sans la touche aisément reconnaissable de Moufida Tlatli ? Que serait le fameux Halfaouine, l’enfant des terrasses de Férid Boughedir, sans le doigté et la précision du montage de Moufida Tlatli ? » cite de manière partielle un cinéphile en lui rendant hommage. Moufa était d’abord une fidèle compagne de la pellicule ; elle apportait aux œuvres une touche délicate, des nuances imperceptibles, qui donnent à un film une respiration qui le rend inoubliable, comme Omar Gatlato de Merzak Allouache. Dans les années quatre-vingt, elle est de toutes les aventures, travaille avec Nouri Bouzid, Nacer Khémir et Michel Khleifi. Mais la magicienne des rushes est aussi une professionnelle déterminée ; elle passe derrière la caméra et se lance dans la réalisation en 1994. Son premier essai est un coup de maître : Les Silences du palais, avec la jeune Hend Sabri, remporte de nombreux prix internationaux, dont le Tanit d’or des Journées cinématographiques de Carthage (JCC). Dans la même veine intimiste, La Saison des hommes, en 2000, recueille le Grand prix de l’Institut du monde arabe, tandis que son troisième opus, Nadia et Sarra, est accueilli plus discrètement en 2004.

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Hend Sabri et Sami Bouajila dans « Les silences du palais » (1994). PHOTO DR

Les paillettes et les honneurs n’auront rien changé à la tendre bienveillance de Moufida Tlatli, qui fut membre du jury du Festival de Cannes en 2001. Hasard de la vie et de la politique, au lendemain de la révolution de 2011, la cinéaste a également été, pendant dix jours, la première femme à occuper la fonction de ministre de la Culture, mais son maroquin lui a été retiré pour avoir signé une pétition de soutien à Ben Ali en 2010 (comme beaucoup d’autres dans un milieu artistique soumis à la pression du pouvoir). La chose publique n’était pas vraiment l’affaire de Moufida Tlatli, mais elle aurait pu encore faire beaucoup pour un cinéma tunisien désormais bouillonnant de créativité. Celle que la terre de Carthage a accueillie pour son dernier repos avait toujours un mot d’encouragement pour les jeunes. Elle serait fière de savoir que le héros des Silences du palais, Sami Bouajila, est nommé pour le César du meilleur acteur dans Un fils, de Mehdi Barsaoui, et que les Oscars ont retenu L'Homme qui a vendu sa peau de la jeune et talentueuse Kaouther Ben Hania. Moufida Tlatli doit sourire, la relève est là avec des héritiers dignes de leurs aînés.