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Djibouti

Aboubaker Omar Hadi
« L’avenir est au transbordement »

Par - Publié en décembre 2020
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Contentieux avec DP World, sécurité des installations, évolution des marchés, projets… Tour d’horizon du secteur clé de l’économie nationale.

Enfant de Dikhil, ville de l’hinterland, Aboubaker Omar Hadi est né loin de l’océan et rien ne le prédestinait à la fonction qu’il occupe. Nommé en 2011 par le chef de l’État à la présidence de l’Autorité des ports et zones franches pour remplacer Abdourahmane Boreh, qui avait fait défection après un scandale financier, il est devenu, une décennie plus tard, un personnage central de la vie économique de son pays. À 63 ans, celui qui pilote les principaux leviers de croissance de Djibouti évoque avec optimisme les investissements, l’adaptation aux contingences du marché et la volonté de ne pas dépendre d’un client unique.

AM : Pouvez-vous faire le point sur la situation entre Djibouti et le groupe émirati DP World ?

Aboubaker Omar Hadi : J’aimerais tout d’abord donner deux précisions. La première est que le contentieux avec DP World est né après la résiliation d’un contrat de concession accordé au DCT [le terminal à conteneurs de Doraleh, ndlr], compagnie dont le capital est réparti entre l’Autorité des ports de Djibouti, à hauteur de 66,7 %, et DP World, pour les 33,3 % restants. La seconde précision est tout aussi importante. La compagnie DCT avait achevé le remboursement total de l’emprunt qui a servi au financement de la construction du terminal, en juin 2017. En janvier 2018, le gouvernement de Djibouti nous a fait savoir qu’il entendait renégocier certains articles du contrat de concession, notamment l’exclusivité des droits sur la totalité du littoral djiboutien ainsi que la durée de la concession, arrêtée à cinquante ans. En tant qu’actionnaire majoritaire, nous n’étions pas opposés à renégocier ces deux points. Nous avons donc proposé à la direction de DP World une réunion de concertation, qui a eu lieu le 28 janvier 2018 à Dubai, pour qu’elle accepte la renégociation. Le PDG de DP World, Sultan Ahmed Bin Sulayem a refusé tout net. Il m’a dit : « Je quitte le pacte d’actionnaires et revendique une indemnité de 1 milliard de dollars. » Je lui ai répondu que s’il nous donnait 2 milliards de dollars, nous lui laisserions la totalité du capital et le terminal. Il a refusé ma contre-proposition. J’ai tenté de le convaincre de revenir sur sa décision : « Le terminal est déjà amorti, c’est du profit pur qui t’attend. » Quand j’ai compris que c’était le contrôle de la côte djiboutienne qui l’intéressait, et non le profit, j’en ai conclu que le problème relevait plus de la politique que du business. La suite, vous la connaissez : résiliation du contrat de concession et nationalisation de DCT. Ayant recouru à l’arbitrage international, DP World devra négocier son indemnité avec le gouvernement. Nous, nous sommes déjà passés à autre chose…

Trois ans après son inauguration, le port minéralier du Ghoubet n’est toujours pas fonctionnel, en raison, semble-t-il, d’une défaillance du concessionnaire chinois. Redoutez-vous un scénario à la DP World ?

Les situations sont totalement différentes. Le port appartient à 100 % à Great Horn [holding propriétaire de la DPFZA, ndlr]. Quant au concessionnaire chinois, il s’agit d’un exploitant de sel de la banquise du lac Assal qui a signé un contrat avec le ministère de l’Énergie et des Mines. Il affirme avoir du mal à trouver des clients pour le sel, et préfère le transformer en bromure de sodium, bien plus facile à écouler sur le marché international et plus rentable à la vente. Le problème, c’est que l’exportation de bromure de sodium plafonne à 80 000 tonnes annuelles et que le port du Ghoubet a été réalisé avec une capacité de 5 millions de tonnes par an.

Le port minéralier de Tadjourah, conçu pour l’exportation de potasse produite en Éthiopie, tourne aussi au ralenti…

Détrompez-vous, le port de Tadjourah n’a pas été construit exclusivement pour l’exportation de la potasse éthiopienne. Ce n’est qu’une partie de sa vocation. D’ailleurs l’opération d’acqui sition du matériel pour le chargement de cette marchandise sur les navires a été gelée quand nous avons constaté que la préparation du partenaire éthiopien n’était pas au même niveau que la nôtre. Le port de Tadjourah n’est pas inactif pour autant. Le volume de marchandises traité par nos ports ayant sensiblement augmenté, il absorbe une partie du surplus, soulageant ainsi le port historique et le port polyvalent de Doraleh (DMP) en prenant en charge certains navires, notamment pour le charbon et l’acier destiné au marché éthiopien. Notre ambition est d’en faire une enceinte dédiée au transbordement.

Le président Ismaïl Omar Guelleh a lancé, en septembre 2020, les travaux de réalisation de la première phase du projet Damerjog. Le gazoduc Ogaden-Djibouti ainsi que la réalisation d’une usine de liquéfaction et de production de méthanol basée à Damerjog semblent en souffrance. Cela va-t-il avoir un impact sur votre agenda ?

Pas du tout. Le projet gazier du groupe hongkongais Poly-GCL et la première phase de Damerjog ne sont pas interdépendants. Notre seul lien avec cette opération est le terrain que nous leur avons loué. Nos projets avancent selon le calendrier prévu. Les travaux de la jetée du terminal pétrolier ont été entamés par le groupe marocain Somagec. Les Sud- Soudanais veulent exporter leur pétrole brut par pipeline entre leur site de production et Damerjog. Une partie de cette production sera traitée par la raffinerie qui sera réalisée au cours de cette première phase. Outre la pétrochimie, le pôle industriel – avec la sidérurgie, l’agroalimentaire et la cimenterie – est DR prévu pour les deux phases suivantes.

Ne redoutez-vous pas que tous ces projets soient surdimensionnés par rapport à un marché dont l’unique client est l’Éthiopie ?

Nous investissons justement dans toutes ces infrastructures pour ne pas être à la merci d’un client unique. À Tadjourah, à Damerjog et ailleurs, l’avenir est au transbordement ciblant des clients plus lointains. L’Éthiopie peut légitimement chercher à diversifier ses corridors et ses débouchés pour son commerce international. Nous avons, nous aussi, le devoir de chercher à diversifier nos partenaires. Contrairement aux idées reçues, le volume du marché éthiopien représente six fois celui de Djibouti pour une population cent fois plus importante que la nôtre.

L’explosion au port de Beyrouth, le 4 août, a changé la perception des enceintes portuaires partout dans le monde. Comment avez-vous vécu ce drame ?

Quelles dispositions ont été prises depuis ? Comme tout un chacun, je l’ai vécu comme une tragédie. Du nitrate d’ammonium, des silos de blé, et une ville de plusieurs millions d’habitants autour… J’ai d’abord pensé aux victimes, puis je me suis souvenu de l’une des premières recommandations du président Ismaïl Omar Guelleh quand il est arrivé aux affaires, en mai 1999 : « Il faut sortir le port de la ville ! » Feu Haroun Tazieff, grand volcanologue, visiteur régulier de notre pays, disait à chacun de ses passages dans notre capitale : « Mais que font ces cuves de pétrole au milieu de la cité ? » Il évoquait les cuves du terminal pétrolier du port. Nous avons donc commencé par évacuer les installations pétrolières et les avons transférées au terminal Horizon, en 2006. Deux années plus tard, l’activité container a été déplacée vers Doraleh et, en 2013, DMP a soulagé le port historique d’une grande partie de son activité. Cependant, les nouvelles structures portuaires sont en train d’être rattrapées par la ville. Jadis déserte, Doraleh l’est de moins en moins et nous constatons l’apparition d’habitations à moins de 400 m des installations portuaires. Il s’agit de faire respecter le schéma de l’aménagement du territoire. Quant à la question de nouvelles dispositions après l’explosion de Beyrouth, nous n’avons pas eu à en prendre. Notre législation est claire. Un décret présidentiel consacre la réglementation internationale en matière d’homologation des activités portuaires, qui interdit le stockage dans nos ports de toute matière dangereuse, notamment le nitrate d’ammonium.