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Faure Gnassingbé en reconquête

Par Emmanuelle Pontié - Publié en février 2020
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Face à des adversaires divisés, le président sortant, quinze ans de pouvoir, se projette déjà vers un nouveau mandat. Le Togo change, s’ouvre, s’engage petit à petit dans la croissance.Mais les défi s sont encore nombreux.

Les Togolais reprendont le chemin des urnes le 22 février. Pour un scrutin à deux tours, qui propose sept candidats à la présidentielle. La compagne se déroule depuis le 6 février, de Lomé à Dapaong, avec un « favori », le chef d’État sortant, Faure Essozimna Gnassingbé : 54 ans le 6 juin prochain, au pouvoir depuis mai 2005, il se présente pour un quatrième mandat. En quinze ans, ce pays longtemps qualifié de Quartier latin de l’Afrique pour la qualité de ses ressources humaines a évolué, et tourné le dos aux trente-cinq années de mandature Eyadéma, avec ses périodes sombres et un pouvoir cristallisé dans le Nord, dont était originaire le général. La capitale togolaise a changé de visage. Des immeubles neufs sont sortis de terre. Les visiteurs, pour le business ou le tourisme, y retrouvent une certaine douceur de vivre, entre les tables gastronomiques ou les maquis savoureux, où l’on déguste le gbékui national, et des enseignes hôtelières de qualité. Au nord de la ville, un quartier administratif s’est construit autour du Nouveau Palais présidentiel, où le président travaille autant que dans l’ancien Palais de la Marina. De nombreux groupes financiers internationaux ont installé leur siège au centreville, comme la Banque ouest-africaine de développement (Boad), Orabank ou Ecobank. Avec une belle ouverture sur l’océan et des infrastructures de qualité, Lomé s’est forgé une image de hub sécurisé ouvert aux grandes rencontres internationales. Inauguré fin 2016, en prélude à la célébration du 56e anniversaire de l’indépendance, le nouvel aéroport international Gnassingbé-Eyadéma, avec ses 21 000 m2 d’infrastructures modernes, peut aujourd’hui accueillir 13 avions simultanément. Le port autonome, véritable poumon économique d’un pays enchâssé entre les marchés frontaliers du Ghana et du Bénin, à moins de sept heures de route du géant nigérian, affiche des résultats en hausse, avec un trafic conteneurs qui vient de franchir la barre de 1,5 million d’EVP. Le taux de croissance, stabilisé entre 5 et 6 %, place le Togo parmi les bons élèves de la plupart des classements internationaux. Il a notamment fait un bond de 19 places dans le classement Doing Business 2019 de la Banque mondiale, grâce aux réformes entreprises et à la modernisation de la gestion des finances publiques.

TENIR LE PAYS À L’ABRI

BAUDOUIN MOUANDA. La capitale s’est dotée de nouvelles infrastructures pour accueillir touristes et hommes d’affaires.

Et c’est sur son bilan que Faure Gnassingbé s’attend à être récompensé dans les urnes. Sans rien renier de l’héritage de son père dans les très rares interviews qu’il accorde, il a su imposer un style. Homme discret, réputé affable et élégant, il est peu disert dans les médias et reconnaît volontiers que la communication n’est pas son fort. Il n’affiche pas sa vie privée, s’offrant la liberté d’être à ce jour l’un des rares chefs d’État du continent encore officiellement célibataire. On le dit travailleur et lève-tôt, faisant une heure de marche le matin avant de se rendre au bureau. Il sait s’entourer de conseillers compétents, à l’intérieur comme à l’étranger. L’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, l’économiste français Dominique Strauss-Kahn ou l’ex-secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique Carlos Lopes font partie des habitués du Nouveau Palais, aux salons sobres et ordonnés. Bien loin du légendaire Lomé 2, où recevait le général-président, aux salles d’attente bondées de quémandeurs de tout poil entourés de militaires aux manières parfois très affranchies, qui monnayaient volontiers les visites. Fervent catholique, né d’un père du Nord et d’une mère du Sud, Sabine Mensah, il a su profiter de son bi-ethnisme pour rompre avec les années du parti du Rassemblement du peuple togolais (RPT), à forte coloration nordiste, changé en Union pour la République (Unir), un nom symbolique. Il a su aussi se forger des amitiés chez ses pairs, notamment malien et ivoirien, et tenir son pays à l’abri, à ce jour, des secousses terroristes récurrentes de la sous-région, malgré une frontière dangereuse au nord avec le Burkina Faso. Aujourd’hui, le Togo est en paix, un atout pour accueillir de grandes rencontres internationales, comme le Forum Togo-UE 2019, ou encore le sommet de chefs d’État contre le trafic de faux médicaments, mi-janvier dernier, qui a attiré sept présidents de la sousrégion.Faure Gnassingbé a d’ailleurs fait en sorte que son pays soit pionnier dans le domaine, durcissant son Code pénal sur ce trafic endémique dès 2015. Le côté mystérieux, voire secret de sa personnalité ne l’a pas empêché de donner un ton à sa gouvernance, de prendre des dossiers à bras-le-corps, de réformer, et d’afficher des ambitions claires pour le Togo.

UN PROGRAMME AMBITIEUX

FRANCOIS GUENET/DIVERGENCE. Le port autonome de Lomé affiche des résultats en hausse.
« Le président Faure est le meilleur candidat que nous puissions avoir. C’est un homme qui a engagé la transformation de notre pays sur plusieurs plans, notamment économique et social. Son ambition pour notre pays est réelle et une source d’inspiration pour la jeunesse togolaise », déclarait dès le 21 janvier Kanka-Malik Natchaba, ministre délégué, coordonnateur de la Cellule présidentielle d’exécution et de suivi des projets prioritaires. Ce dernier est aussi à la manoeuvre pour le bon déroulement du Plan national de développement (PND) 2018-2022, lancé le 4 mars 2019 en grande pompe à Lomé par le président devant un parterre de journalistes internationaux, doté d’une enveloppe de 4 622 milliards de francs CFA. Le PND, fer de lance du programme de Faure Gnassingbé et de sa vision pour le pays, trace le chemin vers l’émergence, à travers une batterie de projets de construction d’infrastructures routières, d’un port sec, d’un parc industriel, d’une agropole, ou encore plusieurs programmes massifs de formation agricole pour les jeunes. Le plan comporte aussi un volet social, dont les avancées en matière d’éducation et surtout de santé sont très attendues dans les quartiers. L’idée, louable, est de sortir le Togo de l’ornière, après sa mise au ban des institutions internationales au lendemain de 2005. Dès 2010, le jeune chef d’État parvient à renouer avec les financements et les prêts indispensables au développement d’un pays de 7 millions d’âmes, composé majoritairement de commerçants et de paysans. Entre 2015 et 2017, l’indice de pauvreté est passé de 55,1 % à 53,5 %, baissant de 1,6 point. Lentement, la courbe évolue dans le bon sens. Le PND et la mise en place de ses différents mécanismes devraient d’ici à 2022 accentuer la tendance. Car au-delà des infrastructures et des projets de développement urbain, la création d’emplois est au coeur du Plan national. Pour exemple, juste dans le domaine de l’agriculture, le Mécanisme incitatif de financement agricole (Mifa), qui a pour vocation d’augmenter l’investissement privé dans le secteur agricole, a déjà accompagné près de 80 000 acteurs de la filière en mobilisant 8 milliards de francs CFA de financement. Le projet de développement rural de la plaine de Djagblé a pu décoller, avec ses châteaux d’eau, ses bornes-fontaines, ses salles de classe, etc. Au total, 5 000 emplois directs y ont été créés en 2019. L’Aprodat, agence chargée de la mise en place des agropoles, multiplie les actions concrètes sur le terrain. Où encore 20 000 jeunes étaient en formation d’entrepreneuriat agricole, début février à Dapaong, dans le cadre du Camp du futur Togo 2020.

VERS 2025 ?

Bien entendu, et davantage en période préélectorale, la lecture du bilan diffère et les impatiences s’aiguisent. Selon certains, les données macroéconomiques positives à mettre au crédit des quinze années Faure n’ont pas encore porté leurs fruits dans l’économie au quotidien. C’est le credo de l’opposition. Notamment du principal challenger du candidat Gnassingbé, Jean-Pierre Fabre, président de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), qui en sera cette année à sa troisième candidature à la magistrature suprême. Pour lui, trop de Togolais, après soixante ans d’indépendance, vivent encore sous le seuil de pauvreté. Il prône le changement, et d’abord l’alternance, après que la même famille aura présidé à la destinée du pays pendant plus d’un demi-siècle. La colère de l’opposition, qui s’était manifestée durablement fin 2017 et en 2018 dans les rues de Lomé, au lendemain de la modification de la Constitution et de la levée de la limitation des mandats présidentiels, s’est calmée. L’heure est aujourd’hui à l’épreuve du scrutin, que l’opposition s’apprête à affronter en rangs dispersés Selon son entourage, fin janvier, le président candidat avançait assez sereinement vers le scrutin… 2020, et peut-être 2025, puisque la Constitution lui permet depuis mai 2019 de faire encore deux mandats de cinq ans. Pour le chef d’État, l’avenir semble tracé, dans la stabilité et la continuité, avec le temps suffisant pour mettre le pays sur la voie de l’émergence. Et si le candidat du parti Unir remporte la bataille du 22 février, il faudra peut-être travailler dans les années qui viennent à une ouverture politique, dans un pays émaillé de rancoeurs sociales et encore recroquevillé, malgré tout, sur une bipolarisation Nord-Sud. Afin que le Togo, avec ses réels atouts, puisse prendre et consolider sa place dans la sous-région.



SEPT CANDIDATS EN LICE

STRINGER/REUTERS. L’opposition a durablement protesté contre la modification de la Constitution. Ici, son chef de file, Jean-Pierre Fabre, à Lomé, le 21 septembre 2017.
Six prétendants à la magistrature suprême feront face au candidat de l’Union pour la République (Unir) le 22 février. Opposant de poids, qui en est à sa troisième tentative de se faire reconnaître par les urnes, Jean-Pierre Fabre (Alliance nationale pour le changement, ANC), arrivé deuxième aux scrutins de 2005 et 2010, est un militant de la première heure pour l’alternance et le changement. Ce métis franco-togolais de 67 ans affiche constance et ténacité dans son combat, sans pour autant avoir réussi à fédérer les autres partis de l’opposition. Agbeyomé Kodjo, candidat malheureux en 2010 avec 0,9 % de voix, revient en 2020 sous la bannière du Mouvement patriotique pour la démocratie et le développement (MPDD). Tour à tour ministre, patron du port autonome, président de l’Assemblée nationale et Premier ministre, sous la présidence du général Eyadéma, âgé aujourd’hui de 65 ans, ce vieil habitué de la scène politique a été nommé candidat unique de l’opposition par un comité mis sur pied par l’archevêque de Lomé, qui a demandé aux cinq autres opposants qui affronteront Faure Gnassingbé de s’allier au MPDD. Sans succès à ce jour. En plus de Jean-Pierre Fabre, Aimé Thabouré Gogué (Alliance des démocrates pour le développement intégral, ADDI), Me Mouhamed Tchassona Traoré (Mouvement citoyen pour la démocratie et le développement, MCD), Komi Wolou (Pacte socialiste pour le renouveau, PSR) et le Dr Georges William Assiongbon Kuessan (Santé du peuple) devraient faire cavalier seul. Tout en étant crédités de scores assez faibles. Une opposition qui ira à l’élection en rangs dispersés, donc, ce qui favorisera sans nul doute le candidat de l’Unir. Et comme trop souvent sur le continent, seulement des hommes en lice. ■ E.P.