5 avancées pour le futur
Le « TRÉSOR VERT » du pays cherche à s’adapter aux contraintes, aux changements, à se moderniser et à se diversifier.
Première puissance agricole de la région, la Côte d’Ivoire possède une tradition paysanne remontant à Félix Houphouët- Boigny, qui fut planteur avant de devenir président de la République. Le secteur, même si son poids dans le PIB national a diminué au fil des années, reste l’un des piliers de l’économie et un moteur de l’émergence. Plusieurs plans successifs de modernisation ont été mis en œuvre : le Programme national d’investissement agricole (PNIA) 1, de 2012 à 2016, et sa « phase 2 », de 2018 à 2025. À cette modernisation s’est ajouté l’impératif de la sécurité sanitaire, d’autant plus ressenti dans le contexte actuel marqué par la pandémie du nouveau coronavirus. C’est d’ailleurs dans cette perspective que le ministère de l’Agriculture a été doté le 20 novembre, d’une enveloppe de 136 milliards de francs CFA. Retour sur cinq points qui montrent comment l’agriculture évolue.
1 AIDER LES AGRICULTEURS À FAIRE FACE À LA CRISE DU COVID-19
Depuis mars 2020, plusieurs secteurs ont été touchés par la pandémie, et l’agriculture n’y a pas échappé. Si le pays a pu disposer de stocks d’urgence suffisants pour les bananes et les tubercules, il n’avait qu’un stock limité pour le mil, le maïs ainsi que le riz local. La fermeture des frontières a entraîné, quant à elle, un ralentissement de la circulation des cultures d’exportation. Une perte de près de 500 tonnes de noix de cola est à déplorer à cause d’une baisse de la demande et de problèmes logistiques (notamment dans les ports). Pour faire face à cette crise, le gouvernement a lancé un grand plan d’aide : le programme d’urgence du secteur de l’agriculture (Purga- Covid-19). C’est l’Agence nationale d’appui au développement rural (Anader) qui s’est vu confier la mise en œuvre du projet pour le volet de l’appui aux filières vivrières (maïs, manioc, banane plantain) et maraîchères. L’objectif étant de donner les moyens – avec des dons, notamment, de tracteurs, d’intrants, de tricycles, de bennes, etc. – aux agriculteurs afin de renforcer la sécurité alimentaire en Côte d’Ivoire. En tout, ce sont 1 700 milliards de francs CFA, destinés à plus de 100 000 producteurs, qui sont mobilisés pour riposter au coronavirus et pallier ses conséquences économiques et sociales.
2 AGIR POUR L’ENVIRONNEMENT
Au-delà de la crise sanitaire, la protection de l’environnement reste une priorité. Le gouvernement ne semble pas dévier de la voie qu’il a tracée vers une agriculture plus respectueuse de la nature et en accord avec un développement durable. En premier lieu, en accompagnant les producteurs de cacao. Dans la région de San Pedro, ceux-ci ont agi de concert avec l’ONG Impactum, le chocolatier Mondelez et son fournisseur de cacao Barry Callebaut pour sauvegarder la forêt décimée par les cultures cacaoyères. Dans le cadre du Projet de paiements pour services environnementaux (PSE) dans la sous-préfecture de Gabiadji, ces agriculteurs se sont engagés – en signant un contrat de trois ans – dans la reconstitution du couvert forestier par l’agroforesterie, le reboisement et la conservation des forêts naturelles résiduelles. Ce PSE est devenu un outil incontournable dans les politiques d’environnement et de développement et est utilisé dans d’autres pays, du Nord comme du Sud. Parmi les annonces, celle du directeur général du Conseil du cafécacao, Yves Brahima Koné, concernant la mise à disposition de 60 millions d’arbres sur quatre ans pour les acteurs de la filière. De quoi reconstituer sérieusement le couvert forestier et assurer un cacao durable.
3 SÉCURISER LE FONCIER RURAL
C’est une question épineuse – et pourtant essentielle – qui est revenue sur le devant de la scène, car elle figurait au programme présidentiel d’Alassane Ouattara : la sécurisation du foncier rural. Délimiter enfin les champs de chacun, mettre fin aux conflits de terre pour assainir le secteur agricole. Créée dans ce but en 2016, l’Agence foncière rurale (Afor) a mis en œuvre les textes de loi, modifiant celle du 23 décembre 1998, qui porte sur le foncier rural. Le 21 septembre dernier, son directeur, Bamba Cheick Daniel, a d’ailleurs sensibilisé les populations et les chefs traditionnels de Soubré à la question : « L’État a compris qu’il n’y a pas de terre sans propriétaire. Donc les droits coutumiers sont reconnus, d’où la création de comités de gestion rurale dans les villages. » Il a expliqué que le certificat foncier, délivré par le comité villageois, était accessible à tous et a invité ses interlocuteurs à réfléchir sur la signature de contrat avec les allogènes, car « on ne doit plus arracher la terre de quelqu’un par la force ».
4 COUVRIR LES BESOINS EN RIZ
Après le cacao, place au riz ! Le gouvernement souhaite en effet atteindre l’autosuffisance en riz blanc en 2025 et être un grand exportateur en 2030. Cela fait plusieurs années que la stratégie gouvernementale est révisée, ce qui a repoussé les délais à plusieurs reprises, en 2016 et en 2020. Le souvenir de l’autosuffisance de 1976 semble aider à garder espoir dans ce contexte difficile, composé de la crise sanitaire, de la stagnation de la production (depuis plusieurs années, elle tourne autour de 1,3 million de tonnes) et de la concurrence asiatique. L’impor tation de la céréale, estimée en 2019-2020, à 1,5 million de tonnes, augmente chaque année. Si cette dernière est destinée pour une grande part à la consommation nationale, une partie est cependant exportée vers les voisins. De quoi alléger un peu la facture. Mais les besoins ne cessent de grandir – comme la population –, en Côte d’Ivoire comme ailleurs dans la région. C’est pourquoi les pays d’Afrique de l’Ouest visent tous l’autosuffisance. Le ministère de la Promotion de la riziculture semble bien déterminé à mettre en œuvre son nouveau plan : la Stratégie nationale de développement de la riziculture (SNDR 2020- 2030) en s’appuyant sur un partenariat public-privé. Parmi les entreprises partenaires sollicitées, on retrouve la société multinationale Solevo, à qui l’État a confié le développement de la riziculture selon le découpage du territoire qui a été fait ; AfricaRice, centre d’excellence panafricain de recherches spécialisé, pour des semences certifiées à haut rendement et de qualité ou encore le géant marocain des phosphates, OCP, pour ses engrais.
5 ENTRER DANS L’ÈRE NUMÉRIQUE
Pour atteindre ses objectifs d’autosuffisance, le ministère de la Promotion de la riziculture souhaite une plateforme numérique pour administrer et tracer la chaîne de valeur du riz. Il s’agirait de disposer d’outils pour informer et communiquer sur l’ensemble des activités des acteurs. Avec un accès à une veille électronique et aux informations météorologiques, l’outil devrait en plus permettre aux agriculteurs de gérer la comptabilité, les stocks, le personnel, les intrants, etc. Ce partenariat public-privé a été conclu avec le leader de téléphonie mobile sur le territoire national, l’opérateur Orange Côte d’Ivoire. Si la technologie ne va en effet pas transformer la façon de planter une graine, elle reste cependant indispensable pour réaliser un bond de productivité, optimiser les chaînes d’approvisionnement et accéder plus facilement et plus largement aux marchés. Le programme présidentiel d’Alassane Ouattara l’a d’ailleurs intégré, avec la construction de laboratoires de recherche et de contrôle qualité (cacao, café, palmier à huile), la création d’une e-agriculture et la digitalisation de la chaîne de valeur agricole. Les partenariats public-privé sont fortement encouragés, le gouvernement ayant conscience que les bonnes idées fleurissent chez ses jeunes entrepreneurs. Ces dernières années, les start-up ont multiplié les innovations, à l’image de la très remarquée BioSave qui a conçu une application numérique donnant la possibilité aux agriculteurs de fabriquer leur engrais bio en fonction de leur terrain et de leurs cultures. Ou d’AgriTech, qui a pensé un dispositif à même d’évaluer les besoins en fertilisants des plantes à partir d’un système de capteurs. Ou de Lono, entreprise qui a inventé le KubeKo, un bac qui fonctionne à l’énergie solaire et qui a le mérite de transformer les déchets en engrais, compost et gaz domestique. De quoi apporter des solutions durables et abordables aux agriculteurs.
Douce année pour le coton et le cacao
Pour diversifier le secteur agricole, le gouvernement avait notamment misé sur la relance de la filière coton, la Côte d’Ivoire étant le troisième producteur du continent. L’Association professionnelle des sociétés cotonnières (Aprocot-CI) a annoncé que la production devrait atteindre 520 000 tonnes pour 2020-2021, contre 510 000 tonnes l’année précédente. Ce record s’explique par une météo clémente et le prix garanti aux 117 000 producteurs (300 francs CFA/kilo), qui les a encouragés à accroître leur superficie de culture de 9 %.
L’autre pari gagné est celui de la hausse du prix du cacao « bord champ » à 1 000 francs CFA le kilo. Alliée au Ghana, la Côte d’Ivoire avait négocié avec les multinationales une plus juste rémunération des producteurs, cette augmentation se rapportant au « différentiel de revenu décent » (DRD). Une bonne nouvelle annoncée à l’occasion de la Journée mondiale du café et du cacao, le 1er octobre, date à laquelle le DRD a été appliqué à toutes les ventes de cacao dans les deux pays. De quoi améliorer un peu les revenus des 5 à 6 millions d’Ivoiriens que l’« or brun » fait vivre. Mais Accra et Abidjan restent en alerte : fin novembre, le Conseil du café cacao de Côte d’Ivoire et le Ghana Cocoa Board ont reproché à deux géants américains, Mars et Hershey, de ne pas payer le DRD. Les programmes de certification de Hershey ont d’ailleurs été suspendus. Une action inédite de la part de ces deux pays, qui se battent plus que jamais pour défendre leurs planteurs et affirmer le label « durable ».