Abdoulaye Konaté :
« Il est primordial de présenter notre art sur le continent et de collaborer avec des galeries africaines »
Artiste plasticien de renommée mondiale, il est connu pour ses œuvres monumentales réalisées principalement en textile. La Galerie Farah Fakhri lui consacre jusqu’au 8 février 2025 une exposition. « La vie des signes » invite ainsi à explorer les symboles africains à travers ses dernières créations. Né en 1953 à Diré, au Mali, Konaté utilise les étoffes locales pour exprimer des messages engagés, alliant esthétique et réflexions sociopolitiques. Ses œuvres abordent des thèmes universels, tels que l’identité, la culture, les conflits et la préservation de l’environnement. En s’inspirant des traditions maliennes, il fusionne techniques artisanales et contemporaines, conférant ainsi une profondeur symbolique unique à ses œuvres. Il incarne une voix artistique puissante, faisant dialoguer le patrimoine africain et les enjeux mondiaux actuels.
AM: Votre travail est souvent associé à des thèmes sociaux et politiques. Qu’est-ce qui vous inspire le plus dans les défis contemporains que rencontre le continent africain ?
Abdoulaye Konaté : Les thèmes qui m’inspirent et me préoccupent ne se limitent pas au continent africain, mais concernent la souffrance humaine dans son ensemble, quelle que soit la couleur, la race ou l’origine. Cette souffrance est universelle. Et malheureusement, ces dernières années, elle s’intensifie à l’échelle planétaire. Je ressens une immense douleur face à l’indifférence des responsables de cette détresse, qui semblent insensibles au malheur des autres. Au-delà des enjeux politiques, c’est l’économie et la quête incessante de profit qui priment sur l’humain, ce qui rend la situation encore plus préoccupante. Mon travail vise à sensibiliser le public à ces réalités et à remettre l’humain au centre des priorités.
Quelles sont les inspirations qui ont façonné votre corpus d’œuvres pour cette exposition en Côte d’Ivoire, à la Galerie Farah Fakhri ?
Pour ma première exposition individuelle en Côte d’Ivoire, à la Galerie Farah Fakhri, j’ai voulu rendre hommage au riche héritage des signes et symboles africains. Intitulée « La vie des signes », cette exposition met en lumière les recherches et traditions artistiques autour des motifs textiles. Mon corpus d’œuvres, principalement réalisé à base de bazin, intègre des motifs et lignes caractéristiques de diverses cultures africaines, y compris des éléments propres à la Côte d’Ivoire. Les figures représentées transcendent les identités ethniques pour refléter l’unité du peuple ivoirien dans son ensemble. J’ai également exploré la singularité de l’art ivoirien, notamment dans l’usage régulier du trait, en contraste avec des motifs comme le losange, plus fréquents chez les peuples sahéliens. Enfin, les couleurs riches et variées demeurent pour moi une source infinie d’inspiration et un puissant moyen d’expression.
Comment décrivez-vous votre approche du processus artistique ?
Elle repose sur une démarche proche de la recherche. Lorsqu’un thème m’interpelle, je commence par m’immerger dans ce sujet à travers une documentation approfondie. Cela inclut la littérature, la photographie et parfois la vidéographie, qui m’aident à enrichir ma compréhension et à nourrir mon inspiration. Il arrive également que des éléments visuels captés au hasard, comme une matière portée par une personne ou une forme, éveillent en moi une idée créative. Mon processus est donc un mélange d’analyse et d’intuition, où chaque élément observé peut devenir le point de départ d’une œuvre.
Vous avez représenté le Mali et l’Afrique à travers de nombreuses expositions internationales. Comment votre travail est-il perçu à l’échelle mondiale, et quel impact espérez-vous qu’il ait ?
Je ne cherche pas à être défini uniquement comme un artiste africain, mais plutôt à être reconnu pour la qualité intrinsèque de mes créations. À travers mes expositions internationales, j’ai constaté que l’art a cette capacité unique de transcender les frontières et de créer des ponts entre les cultures. Mes rencontres avec des artistes d’Asie, d’Europe et d’ailleurs m’ont fait comprendre que la diversité est une force, une source d’unité. C’est ce constat qui m’a conduit à approfondir mes recherches, en particulier dans le domaine du textile. Mon travail s’inspire des bandes tissées des Sénoufos, des tenues des chasseurs mandingues et d’autres traditions. Ces éléments, créés à des époques et dans des contextes différents, témoignent d’une réflexion universelle sur le textile et la matière, tout en mettant en valeur la richesse des styles et des compositions propres à chaque culture. Mon espoir est que cette richesse dialogique inspire une compréhension mutuelle et un respect profond entre les peuples.
Comment partagez-vous votre héritage artistique et culturel avec les jeunes artistes africains pour les accompagner dans l’exploration de leurs talents ?
J’ai eu la chance de diriger pendant plusieurs années l’Institut national des arts de Bamako, qui s’est ouvert à tous, bien que l’institution fût originellement destinée au privé. Cette école rassemblait diverses disciplines, de la danse aux arts plastiques, en passant par le design, offrant ainsi une plate-forme complète pour la formation artistique. Aujourd’hui, je suis fier de voir de nombreux anciens étudiants évoluer sur la scène internationale. Ce que je souhaite transmettre aux jeunes artistes africains, c’est l’importance de croire en leurs rêves, de persévérer malgré les difficultés et de ne jamais désespérer. Il est vrai que les défis sont nombreux pour la jeunesse, mais avec de la détermination et de l’endurance, il est possible de surmonter les obstacles. Pour soutenir davantage cette génération, mes collègues et moi avons créé le Fonds africain pour la culture (ACF), destiné à financer des artistes africains et à promouvoir leurs œuvres sur la scène internationale. Mon ambition est de continuer à partager mon expérience et à ouvrir des portes aux talents prometteurs.
Exposer vos œuvres en Côte d’Ivoire semble avoir une importance particulière à vos yeux.
Cela a une signification très particulière pour moi. Il est primordial de présenter notre art sur le continent, mais ce qui l’est encore plus, c’est de collaborer avec des galeries africaines. Cela permet d’éduquer et d’informer le public sur la richesse artistique et la diversité des créations qui naissent en Afrique. En exposant nos œuvres chez nous, nous offrons aux jeunes artistes, ancrés à la fois dans la tradition et ouverts sur le monde, la possibilité de faire évoluer leurs idées et de rester en Afrique. Cela leur permet également de vivre de leur art tout en étant présents sur la scène internationale. C’est en soutenant ces initiatives locales que nous pouvons véritablement contribuer au changement, en faisant rayonner nos talents et en renforçant la portée de l’art africain sur le plan mondial.