Aller au contenu principal
Interview

Abigail Assor,
la relève

Par Astrid Krivian - Publié en février 2021
Share
img
F. MANTOVANI/EDITIONS GALLIMARD - DR

Après des études de sociologie et de philosophie à Londres, l’autrice née en 1990 à Casablanca a travaillé dans la communication culturelle et l’art contemporain, avant de se consacrer à l’écriture. Dans son premier roman, Aussi riche que le roi, elle livre un portrait sans concessions de la violence des rapports sociaux.

AM : Votre héroïne Sarah, étudiante au lycée français, s’escrime à sortir de la pauvreté par tous les moyens...
Abigail Assor:
Elle souffre de sas condition, mai fait aussi preuve d’insolence, de rébellion. Elle a envie de s’en sortir, elle refuse la réalité. Elle n’a pas de scrupules à faire l’amour avec des garçons et à se faire offrir un sandwich. Car selon elle, il n’y a pas d’autres choix, les mondes étant tellement cloisonnés. Je voulais illustrer ce sentiment d’étouffement, cette vaine tentative à faire évoluer les choses.

Provenant d’une famille de riches industriels, Driss semble pourtant moins libre qu’elle...
Tout le monde est enfermé au Maroc, même les plus chanceux. Driss porte le poids des traditions familiales qu’il ne doit pas trahir, des normes de son milieu, des chaînes de la masculinité toxique – réussir à faire de l’argent, être un homme. Il y a une grande inertie dans cette classe aisée : elle ne veut rien changer pour ne pas risquer de perdre ses privilèges. Driss n’accepte pas cet ordre social.

Est-ce que vous constatez ce mépris de classe ?
Au Maroc, les classes sociales vivent en parallèle. Elles se mélangent uniquement à travers une relation de dominant-dominé. C’est terrible, très triste. Ce mépris est un non-dit. Cette violence sourde et insidieuse n’est pas remise en question. Comme si c’était normal. « C’est comme ça » pourrait être une devise du pays.

img
Aussi riche que le roi, Gallimard, 208 pages, 18 €.

Vous décrivez Casablanca, entre quartiers huppés et bidonvilles...
Même la rue est cloisonnée : les privilégiés ne s’y aventurent que très peu. Je voulais rendre hommage au quartier de Hay Mohammadi, et particulièrement au bidonville des Carrières centrales, qui a été un berceau des luttes et des résistances à l’époque du protectorat français au Maroc. Il a été détruit en 2016, et ses habitants, délogés, n’ont toujours pas reçu les aides qui leur avaient été promises.

Pourquoi situez-vous l’histoire en 1994 ?
J’avais envie de restituer l’esthétique des années 1990, celles de mon enfance, de mes souvenirs les plus vifs, évocateurs. Et cette histoire trouve mieux sa place sous la pesanteur politique du règne d’Hassan II. En 2020, la grande opacité entre les classes sociales demeure. Mais la volonté d’irrévérence, la possibilité d’insolence, et la liberté de paroles sont plus fortes au sein de la jeunesse actuelle.

Vous établissez souvent des métaphores entre les personnages et la nature, la « chair » du Maroc...
Tous ces êtres sont constitués de la terre marocaine. Notre pays rassemble une diversité d’univers sociaux, de religions. Les uns vivent à côté des autres mais ne se rencontrent pas, voire se dénigrent. Pourtant, nous sommes tous marocains, nous sommes issus du même sol.

Comment êtes-vous tombée dans la marmite de l’écriture ?
Enfant, j’écrivais des poèmes, des chansons, des histoires. Je rêvais de devenir parolière. Après mon baccalauréat, j’ai quitté Casablanca pour suivre une prépa littéraire à Paris, au lycée Henri IV. Étudier en profondeur des auteurs classiques m’a inhibée pendant quelques années. Je me suis remise à l’écriture après mes études de sociologie et de philosophie à Londres. L’écriture n’est pas du tout un jaillissement pour moi, c’est parfois laborieux, et je me relis beaucoup.

Quels écrivains ont forgé votre goût de la lecture ?
À l’adolescence, j’ai lu Marguerite Duras, dont le travail m’a fascinée, comme beaucoup de jeunes filles. Mon goût pour la littérature s’est affirmé avec les auteurs et autrices français du XXe siècle, comme Camus, Gary, Beauvoir, Aragon, Breton... Récemment, j’ai vécu à Turin, et j’y ai découvert la littérature italienne contemporaine, comme Erri de Luca, Alessandro Baricco. Et je lis Abdellah Taïa et Tahar Ben Jelloun depuis toujours.