ADO, une histoire ivoirienne
POUR MOI, C’EST PRESQUE UN PAYS D’ADOPTION... Je me rappelle mon premier voyage en Afrique, j’avais 16 ans, et c’était en Côte d’Ivoire. Nous étions à la fin des années 1970, avant que la crise vienne fracasser les ambitions africaines. Je me souviens d’Abidjan comme d’une cité lumineuse, brillante, éclectique, ouverte, cosmopolite. Je me souviens aussi de la patinoire de l’hôtel Ivoire, évidemment, d’Assinie et d’une jolie fille qui me tournait la tête. Je me rappelle, des années plus tard, une visite à l’hôtel de Masserand, à Paris, palais somptueux et silencieux de la Françafrique. Un dialogue en clair-obscur avec Félix Houphouët-Boigny, président déjà mourant d’une époque révolue. Je me rappelle aussi un cigare avec le Président Henri Konan Bédié, personnage insouciant, malhabile, inconscient des tempêtes qui se levaient. Je me rappelle un déjeuner surréaliste à Yamoussoukro dans la résidence du « Vieux », tapisseries d’Aubusson accrochées au mur. Dans ce décor houphouétien, celui qui se croyait héritier, le général Gueï, recevait et discourait, pendant que les militaires posaient la kalach sur la table, à côté des couverts en argent massif signé FHB... Je me souviens de quelques rares rencontres avec Laurent Gbagbo, opposant, puis chef, personnage tout en séduction, en cynisme, en violence, pour qui la fin (le pouvoir) justifie tous les moyens. Je me souviens enfin de mes multiples entretiens avec Alassane Ouattara, esprit brillant, moderne, synthétique, un des meilleurs de sa génération pour paraphraser Jacques Chirac. J’ai écrit plus d’une fois qu’il n’était peut-être pas assez « africain » pour son temps et son pays. J’ai écrit aussi, plus d’une fois, qu’il ne serait probablement jamais président...
Je me suis trompé. ADO est devenu président. Tant mieux. Pour la première fois depuis Houphouët, la Côte d’Ivoire a un homme d’État à sa tête. Qui reconstruit et qui construit au lieu de vider les caisses. Qui s’intéresse à l’économie. Qui a de bonnes relations avec ses voisins, avec les grandes puissances, qui a des connexions et des amis et qui n’est pas naïf sur le terrain international. En clair, un président qui représente une opportunité pour le pays. Tout n’est pas parfait. Je connais les critiques sur son « autoritarisme », sur la « dioulaisation » supposée, sur son côté « blanc » ou « burkinabè » selon les accusateurs. Mais soyons réalistes. Qui aujourd’hui à part lui, pourrait gouverner la Côte d’Ivoire, réintégrer le Nord dans la nation et maintenir le dialogue avec les autres composantes ivoiriennes? Et cet homme qui a failli être assassiné, avec sa femme, et qui est toujours menacé, qui a été ostracisé, dont on a insulté la mère et la famille, dont l’identité a été déniée, cet homme-là a la victoire relativement magnanime. Bien sûr, la réconciliation est lente, mais le principe est posé et ce n’était pas évident... Malgré les attaques désespérées de certains irréductibles, la Côte d’Ivoire reprend le chemin difficile de la paix. Et, si tout va bien, les Ivoiriens pourront en juger par eux-mêmes, en 2015, lors d’une élection qui pourrait marquer l’entrée de la Côte d’Ivoire dans le club restreint des démocraties émergentes...
Par Zyad LIMAM