Alassane Doumbia
«Le groupe s’engage à réduire son empreinte environnementale»
PCA du groupe SIFCA
Véritable pionnier agro-industriel, SIFCA participe activement au développement du secteur sur le territoire et porte des projets novateurs, à l’image de la centrale électrique à biomasse Biovéa, prévue pour 2025.
AM: Le groupe SIFCA, treize filiales, premier employeur privé de Côte d’Ivoire avec 33000 salariés, est présent dans cinq pays. Vous fêtez cette année soixante ans d’existence. Quel regard portez vous sur l’évolution du monde de l’agriculture dans votre pays depuis six décennies?
Alassane Doumbia: En soixante ans, l’agriculture en Côte d’Ivoire a connu des transformations majeures et encourageantes. Elle est jusqu’à ce jour le moteur de l’économie, avec des cultures de rente comme le cacao, l’hévéa, l’anacarde, le palmier à huile, le coton, etc. L’industrialisation accélérée et la modernisation des chaînes de production et de commercialisation ont permis non seulement d’accroître et de diversifier les produits mis sur le marché, mais également d’améliorer leur qualité, tout en soutenant la croissance économique du pays. Les innovations dans les techniques agricoles, l’accès à la formation et à la mécanisation, ainsi que les investissements dans les infrastructures ont profondément transformé le secteur. Ces dernières années, la digitalisation et l’appropriation progressive des NTIC ont permis aux agriculteurs de maximiser leurs performances et offrent des perspectives majeures de croissance. Aussi la place prépondérante du secteur privé et des organisations agricoles a-t-elle positivement impacté la structuration du secteur agricole. L’histoire de SIFCA, créée en 1964, se confond avec cette évolution et est un excellent modèle de transformation de l’agriculture ivoirienne. Au départ pionnier dans les secteurs clés du café et du cacao, le groupe est aujourd’hui présent sur toute la chaîne de valeur, depuis l’exploitation des plantations industrielles jusqu’à la transformation et la commercialisation de l’huile de palme, du caoutchouc naturel et du sucre de canne. Il a ainsi intégré, au fil de son évolution, des pratiques plus durables pour répondre aux exigences des marchés internationaux et aux attentes en matière de responsabilité environnementale et sociale. Le groupe SIFCA a fait le choix de mettre l’humain au cœur de sa stratégie depuis 1964. Un modèle de développement basé sur trois valeurs, à savoir la responsabilité, l’éthique et la qualité, et qui fait de notre groupe le leader de l’agro-industrie en Afrique de l’Ouest et le premier employeur– après l’État de Côte d’Ivoire–, avec 33000 employés, treize filiales, dont la dernière-née est Biokala, dédiée à la production d’énergie verte, et 21 usines. De nombreux défis persistent toutefois, notamment le financement durable du développement des exploitations agricoles, la sécurisation du foncier rural, l’impact du changement climatique, sans oublier la gestion durable des ressources naturelles.
Vous êtes spécialisés dans l’huile de palme, le caoutchouc et le sucre. Comment évoluent ces trois secteurs aujourd’hui?
Les secteurs de l’huile de palme, du caoutchouc et du sucre connaissent chacun des dynamiques spécifiques, influencées par les tendances économiques mondiales, les régulations de l’écosystème et les attentes des consommateurs. En ce qui concerne l’huile de palme, le secteur reste porteur, en raison de la demande croissante de produits alimentaires, cosmétiques et biocarburants. Selon les projections, la consommation mondiale devrait atteindre environ 85 à 90 millions de tonnes d’ici 2030, soit une augmentation d’environ 30% par rapport aux niveaux actuels. La Côte d’Ivoire, avec un climat favorable et une expertise acquise par ses acteurs, dispose d’atouts majeurs pour contribuer significativement à répondre à cette demande. Cependant, la pression foncière et les exigences pour une production durable incitent SIFCA et ses filiales à adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement et à obtenir des certifications internationales pour garantir un impact moindre sur les forêts et la biodiversité. La production d’huile de palme en Côte d’Ivoire est largement supérieure à la consommation nationale; néanmoins, la souveraineté alimentaire reste un enjeu majeur en Afrique. Nos défis sont donc orientés vers l’accroissement continu des productions locales pour répondre en partie au déficit d’oléagineux en Afrique de l’Ouest, estimé à environ 2,5 millions de tonnes par an. Pour le caoutchouc, le secteur est également en pleine croissance, avec une demande soutenue de l’industrie automobile et de diverses industries manufacturières. La Côte d’Ivoire est devenue un acteur majeur de la production de caoutchouc dans le monde, avec plus de 1,7 million de tonnes en 2023, et est le troisième producteur mondial derrière la Thaïlande et l’Indonésie. Des efforts ont été faits pour moderniser les pratiques agricoles et améliorer la qualité du latex, en vue d’accroître sa compétitivité. De plus, avec une interprofession dynamique et tournée vers des objectifs communs, une traçabilité sur toute la chaîne de valeur et l’installation d’une capacité industrielle performante de première transformation, la Côte d’Ivoire dispose d’atouts clés pour la croissance soutenue de ce secteur. Cependant, ce dernier est sensible aux fluctuations des prix mondiaux, ce qui nécessite une gestion prudente et une diversification pour limiter les impacts des baisses de prix. Et enfin, en ce qui concerne le sucre, l’une des priorités des industries sucrières en Côte d’Ivoire est d’assurer l’approvisionnement régulier du marché domestique par un produit d’une qualité irréprochable et à un prix accessible. Dans ce cadre, et conformément aux engagements pris avec les pouvoirs publics, des investissements importants ont été mis en œuvre pour améliorer l’outil de production et les performances industrielles afin de tenir cet objectif. Ce secteur dispose d’un potentiel intéressant pour répondre à la demande régionale croissante en Afrique de l’Ouest. Toutefois, il fait face à des défis de coûts de production et à l’efficacité de la régulation pour garantir la croissance durable des investissements nécessaires pour atteindre la taille critique permettant de faire face à la concurrence des importations. La stratégie de SIFCA dans ce secteur implique des investissements pour moderniser les plantations de canne à sucre et optimiser les procédés de production.
Comment se répartit votre chiffre d’affaires entre le marché local et l’exportation?
En considérant que le marché local concerne tous les pays d’Afrique de l’Ouest dans lesquels le groupe SIFCA est implanté, 100% du chiffre d’affaires du secteur du caoutchouc est réalisé à l’export. Ce qui représente environ 55%du chiffre d’affaires consolidé. La part du chiffre d’affaires du secteur oléagineux et du secteur sucre est quasi exclusivement réalisée localement, en y incluant les ventes d’oléagineux réalisées en Afrique de l’Ouest.
On parle souvent de la guerre des prix, pour les planteurs, pour l’export. Comment vous positionnez-vous par rapport à ces questions?
La guerre des prix est un sujet central pour les agriculteurs dans le monde, et spécifique pour les agriculteurs africains. Elle impacte à la fois les producteurs locaux, en ce qui concerne leurs revenus, mais aussi la compétitivité des industriels de transformation que nous sommes. Dans un contexte de volatilité des prix– notamment pour l’huile de palme, le caoutchouc et le sucre en ce qui concerne les importations–, l’optimisation des coûts, l’innovation et la diversification sont des stratégies indispensables pour faire face aux fluctuations des prix des produits agricoles, dont les cours varient sous l’influence de facteurs globaux comme l’offre et la demande, les coûts de production et la concurrence.
Selon vous, comment la politique agricole du pays pourrait-elle être améliorée?
La politique agricole en Côte d’Ivoire a fait des progrès significatifs, mais bien entendu, elle pourrait être optimisée pour mieux soutenir les agriculteurs, renforcer la durabilité et maximiser la compétitivité des filières agricoles sur les marchés internationaux. On peut évoquer, parmi les priorités, l’amélioration de l’accès aux financements et aux ressources pour les petits producteurs et le renforcement des infrastructures rurales et logistiques. Des mécanismes de financement plus accessibles et adaptés aux réalités locales sont nécessaires pour que les petits producteurs puissent moderniser leurs pratiques, respecter les exigences des itinéraires techniques agricoles, et ainsi améliorer de manière significative leurs rendements. L’amélioration des accès routiers, des installations de stockage et des unités de transformation permettrait aux agriculteurs d’écouler leurs produits plus efficacement et de réduire les pertes. Enfin, la mise en œuvre d’une véritable politique d’accompagnement et de soutien aux champions nationaux pourrait permettre d’envisager progressivement une approche durable de la contribution du secteur privé national à l’essor du secteur agricole.
Parlez-nous du projet de la centrale électrique à biomasse, porté par SIFCA en partenariat avec les français EDF et MERIDIAM, qui devrait sortir de terre en 2025?
La centrale à biomasse est un modèle d’économie circulaire avec des retombées sociales fortes. Ce projet, dont les travaux de construction sont en cours, est situé dans la commune d’Aboisso, à environ 100 km à l’est d’Abidjan. C’est une centrale dotée d’une puissance de 46 MW, qui sera alimentée par environ 520000 tonnes de déchets de palmiers, fournis par Palmci, filiale du groupe SIFCA. Elle s’inscrit dans le cadre du Plan d’action national des énergies renouvelables 2014-2030 de la Côte d’Ivoire, qui a l’ambition d’atteindre 45% de son mix énergétique issus d’énergies renouvelables à l’horizon 2030, et va répondre aux besoins en électricité de l’équivalent de 1,7 million de personnes par an. Cette centrale, dont la mise en service est prévue fin 2025, va générer au moins 500 emplois locaux. En revanche, pendant toute la période d’exploitation, ce sont plus de 1000 équivalents temps plein locaux qui seront créés directement, avec à la clé des retombées économiques importantes et la création de nombreux emplois indirects stables. L’achat de la biomasse nécessaire au fonctionnement de cette centrale générera des revenus additionnels à près de 12000 planteurs de la région pendant vingt-cinq ans, contribuant ainsi à l’amélioration des conditions de vie des populations rurales. Véritable innovation technologique et industrielle, Biovéa permettra ainsi d’éviter 4,5 millions de tonnes de CO2 sur les vingt-cinq ans d’exploitation et de fiabiliser le système électrique ivoirien. Le consortium ambitionne déjà de la dupliquer dans d’autres bassins agricoles de la Côte d’Ivoire.
La Fondation SIFCA,qui fête son dixième anniversaire cette année, a inauguré le Centre de nutrition en cancérologie Dominique Ouattara cette année. Pouvez-vous nous parler de cette réalisation? Et quels autres projets pour la Fondation?
C’est l’aboutissement d’un partenariat entre le groupe SIFCA et le CNRAO via la Fondation SIFCA, qui remonte à 2022. Il est marqué par une série de conventions et d’activités, notamment la convention pour la prise en charge des employés et de leurs ayants droit, ainsi que les communautés environnantes de nos sites, la subvention de prise en charge des femmes rurales atteintes de cancers, l’organisation de journées de sensibilisation et de dépistage avec le personnel du groupe et des femmes rurales, et la formation pour le renforcement des capacités du personnel médical de SIFCA. Entièrement financé par la Fondation SIFCA, le Centre de nutrition Dominique Ouattara a été réalisé sur une superficie de 250 m.Il est composé d’une salle de kinésithérapie pour la rééducation des malades du cancer, d’une cafétéria de 120 places pour les malades et leur famille, d’une cuisine aménagée et d’équipements modernes. D’un coût global de 200 millions de francs CFA, ce centre de nutrition a pour objectif d’offrir un espace de restauration et de rafraîchissement aux patients et à leur famille, d’apporter un espace complémentaire dédié à l’écoute et à l’accompagnement nutritionnel des patients. Peu avant ce centre de nutrition, la Fondation SIFCA avait déjà déroulé de grands projets dans divers domaines. Notamment son projet «1 cantine scolaire = 120 repas dans mon école», pour réduire l’abandon scolaire et contribuer à la santé, à l’éducation et au bien-être des élèves. En seulement dix ans d’existence, la Fondation SIFCA en est à sa quatorzième cantine. Lancée en décembre 2014, elle a réalisé au total 250 projets dans divers domaines: l’éducation (80 projets); l’autonomisation des femmes (25 projets); l’environnement (14 projets); la santé et le sport (59 projets); et 100 autres projets portés sur des activités culturelles et la distribution de vivres et de non-vivres.
Cette année, l’As de la palme a été remporté pour la première fois par une femme. Face à un monde agricole plutôt masculin, vous dites vouloir mener une politique du genre. C’est-à-dire?
Contrairement à ce que l’on croit, le genre n’est pas forcément tourné vers l’homme et la femme. Il implique tout ce qui est lié au comportement, tout ce que l’on a en commun en matière de culture, de tradition, de coutume. Disons que les femmes constituent un genre, les hommes aussi. Les enfants, les personnes handicapées et les seniors également. Tout le monde est concerné. Et tout cela renvoie à l’égalité des chances. Au sein du groupe SIFCA, nous avons décidé de prendre le taureau par les cornes et de briser cette barrière, en luttant contre toutes formes d’inégalités. Objectif: permettre aux femmes, censées être la couche la plus vulnérable, de développer leur pleine potentialité. Aujourd’hui, les résultats sont là, et Mme Ehouman Assoma Marie a remporté le prix de l’As de la palme 2024. La culture du palmier à huile, généralement réservée, à tort ou à raison, aux hommes, change désormais d’a priori. C’est une grande première dans l’histoire de l’As de la palme, mené depuis 2016 par le groupe SIFCA, à travers Palmci, pour célébrer et récompenser les meilleurs acteurs et planteurs liés à la filiale. C’est surtout le résultat des efforts combinés de Mme Ehouman, qui a su appliquer à la lettre les consignes de durabilité en matière de production agricole, et de l’engagement du groupe SIFCA de contribuer à la fois à la promotion du genre, à la mise en œuvre effective de nos bonnes pratiques agricoles et au respect des exigences environnementales et sociales.
Enfin, quels sont les projets à court et moyen termes de votre entreprise?
SIFCA a pour ambition de consolider sa position de leader dans ses secteurs d’activité, tout en poursuivant des initiatives visant à renforcer sa durabilité, son innovation, et son impact social. Nous continuerons à investir pour l’expansion, la modernisation des capacités de production et l’amélioration des chaînes de transformation, notamment en Côte d’Ivoire, au Liberia et au Ghana. La durabilité est une priorité pour nous. Le groupe s’engage dans des initiatives visant à obtenir des certifications internationales et à réduire son empreinte environnementale. Un accent majeur sera mis sur l’innovation et la transformation digitale, afin de renforcer la numérisation des processus agricoles et industriels pour améliorer la traçabilité, la gestion de la chaîne d’approvisionnement et la transparence. Le groupe entend poursuivre, chaque fois que cela est possible, l’exploration de nouvelles opportunités pour étendre son activité dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest et renforcer sa présence sur les marchés régionaux. L’objectif étant de réduire les risques liés aux fluctuations des prix mondiaux, aux changements climatiques, et bien entendu de continuer à contribuer de manière significative à la souveraineté alimentaire en Afrique de l’Ouest. Enfin, toujours au centre de nos priorités, l’amélioration des conditions de travail et du développement communautaire par notre engagement ferme à toujours investir dans le bien-être des employés, ainsi que dans les communautés locales environnantes de nos sites d’implantation. Des projets en matière de formation, de santé, et d’éducation sont en cours pour renforcer l’impact social du groupe. Enfin, SIFCA déploie également des programmes avec des agriculteurs locaux pour les aider à améliorer leurs pratiques et leurs revenus.