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Algérie : Le néo-boom

Par Akram.BELKAÏD - Publié en avril 2018
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Comme souvent dans l’histoire, la fi n de la guerre et le retour à une forme de paix durable ont provoqué une hausse de la natalité. Le palier de trois enfants par femme pourrait être atteint. Une nouvelle donne qui met l’État au défi en termes d’emplois, de logements, de création de richesse.

À la fin des années 80, de nombreux démographes et économistes algériens annoncent une grande nouvelle. Le taux de fécondité a beau être encore élevé, l’Algérie semble bel et bien engagée dans la transition démographique avec un taux de 4,5 en 1990 (il était de 4,8 alors que le pays s’apprête à fêter le vingtième anniversaire de son indépendance en 1982). Comme d’autres États du Sud, l’évolution démographique s’engage alors dans une tendance classique qui voit émerger une baisse conjuguée des naissances et des décès. Pour ces spécialistes, le spectre de la surpopulation contre lequel mettaient en garde nombre d’experts durant les années 70 s’éloigne. Dix ans plus tard, et alors que s’achève la « décennie noire » (1991-2000) et son lot de violences meurtrières, les statistiques confirment la tendance. L’indice de fécondité est tombé à 2,4 en 2000. Les démographes parlent alors « d’aubaine démographique ». En un mot, cela signifie que la population active est encore jeune et nombreuse et qu’elle profite – en théorie – d’un double avantage, celui d’avoir moins d’enfants à nourrir et moins de personnes âgées dont il faut s’occuper. Cela, à condition bien sûr, que l’économie suive et offre suffisamment d’emplois. Dans leur ouvrage Le Rendez-vous des civilisations (Seuil, 2007), les démographes Youssef Courbage et Emmanuel Todd, entérinent cette transformation, l’inscrivant dans une tendance mondiale « de convergence » où, dans l’ensemble du monde arabo-musulman, à quelquesexceptions près (Yémen, Gaza), la hausse du niveau d’alphabétisation des hommes et des femmes, l’érosion de l’endogamie et l’amélioration des conditions de vie se combinent avec la baisse de la fécondité.

De 7,68 en 1966, le nombre d’enfants par femme a baissé jusqu’en 2002 (2,4) avant de repartir à la hausse en 2004. Selon les estimations de la Banque mondiale, la population pourrait s’accroître de +37,5% d’ici l’année 2050.

 

Or, depuis quelques années, le discours est d’une tout autre nature et reprend des accents alarmistes. La courbe démographique est repartie à la hausse en Algérie et un chiffre à lui seul permet de prendre la mesure de ce nouveau changement. En 2017, les naissances devraient avoir dépassé le million de bébés contre moins de 500 000 en 2002. En 2015, selon l’Office national des statistiques (ONS) basé à Alger, le taux de fécondité atteignait 2,8 et devrait peut-être repasser la barre symbolique des trois enfants par femme dès 2018. Ces projections permettent ainsi d’envisager une population algérienne de l’ordre de 52 millions d’individus en 2030, cinq fois plus qu’à l’indépendance et 11 millions de plus qu’en 2017. Comment expliquer un tel retournement ? L’une des premières raisons avancées par certains experts est qu’eux-mêmes (ou leurs collègues) se sont lourdement trompés dans l’analyse du phénomène de baisse des naissances des années 90. Selon eux, la guerre civile en Algérie a simplement empêché de nombreux ménages de faire des enfants. Elle aurait aussi été un obstacle important aux mariages. Du coup, au lieu de se maintenir autour de la barre des trois enfants par femme, la fécondité aurait dramatiquement baissé en raison des circonstances politiques et sécuritaires. À cela s’ajouterait le fait que le pays a aussi connu à l’époque une grave crise économique (hausse du chômage,fermeture de nombreuses entreprises publiques, etc.). Le boom actuel serait à mettre sur le compte d’un « effet de rattrapage » postdécennie noire. Tout en reprenant cette hypothèse, du moins en partie, plusieurs démographes algériens avancent une autre explication principale. Selon eux, il faut interpréter la période ayant suivi la guerre civile comme, non pas un rattrapage, mais un « baby-boom » classique, comparable à ce que d’autres pays ont connu. Quand la paix revient, quand la violence terroriste s’éloigne et que l’État tient un discours optimiste, à l’instar de ce que fit le président Bouteflika après sa première élection en 1999, la démographie est stimulée. Et c’est d’autant plus vrai que les autorités algériennes ont beaucoup dépensé pour assurer le bien-être social. En construisant plusieurs centaines de milliers de logements depuis 2000, Alger a permis à autant de ménages de s’installer et d’avoir des enfants. La résorption, même incomplète, de la crise du logement – véritable fléau de l’Algérie indépendante – est l’une des explications du retour en force de la croissance démographique. Cela vaut aussi pour les largesses financières octroyées à la population, et notamment la jeunesse, après les révoltes arabes de 2011. Hausse des subventions, augmentations salariales massives et rétroactives, encouragements à la création d’entreprises sont autant de facteurs qui ont pesé dans la hausse de la fécondité. Reste enfin une dernière explication, le plus souvent avancée en Occident mais qui demande encore à être validée. Plusieurs experts voient dans le retour en force du conservatisme religieux, l’explication de la hausse de la natalité. Certes, la société algérienne est traversée par un regain de religiosité et de prégnance du discours moralisateur. Mais contrairement à d’autres religions, l’islam, y compris traditionaliste, est bien moins virulent à l’égard des programmes de Planning familial. Si la question des relations sexuelles hors du mariage demeure un tabou, la prescription de contraceptifs oraux pour les femmes mariées ne pose, à l’heure actuelle, aucun problème majeur. Dans les discours politiques tels que ceux que véhicule le salafisme, la nécessité pour un ménage de faire beaucoup d’enfants n’apparaît pas comme une urgence ou une priorité. Mais quelles que soient les raisons de ce « néoboom démographique », l’Algérie va devoir réagir avec vigueur pour encaisser le choc à venir. En 2030, les 20-35 ans constitueront 60 % de la population active. Cette jeunesse aura besoin d’emplois, de logements, d’hôpitaux, d’écoles pour ses enfants mais aussi et surtout, de quoi manger. Selon les estimations les plus courantes, il faudrait que le produit intérieur brut (PIB) algérien enregistre un taux de croissance annuelle de 8 % pour absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail à partir de 2020. Il faudrait aussi que l’Algérie résorbe sa dépendance alimentaire à l’égard de l’étranger (40 % des besoins sont actuellement importés) et qu’elle redéfinisse son modèle social en vue de répondre au défi démographique. Autant de chantiers cruciaux qui méritent d’alimenter le débat électoral en vue du scrutin présidentiel de 2019.