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Découverte / Côte d’Ivoire

Amadou Coulibaly
« Faire de la transformation digitale un levier de croissance»

Par Philippe Di Nacera - Publié en octobre 2023
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Amadou Coulibaly. CYRILLE BAH/ANADOLU AGENCY/ANADOLU AGENCY VIA AFP
Amadou Coulibaly. CYRILLE BAH/ANADOLU AGENCY/ANADOLU AGENCY VIA AFP

Le ministre de la Communication et de l’Économie numérique revient sur les accomplissements, les priorités et les objectifs à atteindre dans son secteur.

AM: Les nouvelles technologies sont une priorité du gouvernement. En quoi sont-elles un levier pour une «croissance verte» de la Côte d’Ivoire et une source de création d’emplois?

Amadou Coulibaly: Notre ambition est claire. Il s’agit de faire de la transformation digitale un levier de croissance économique verte de notre pays, en mettant en œuvre une feuille de route à partir de la vision «Côte d’Ivoire, zéro papier à l’horizon 2030». Une vision du chef de l’État dont la mise en place s’appuie sur une stratégie nationale de développement du numérique. La croissance verte est la capacité des États à se développer économiquement tout en préservant leurs ressources naturelles, leurs environnements naturels, qui constituent les conditions de survie et de mieux-être. En la matière, la Côte d’Ivoire fait des efforts et veut à terme être un exemple. Le pays est membre de l’Institut mondial pour la croissance verte depuis le 25 août 2020, après qu’il a ratifié le 27 mai de la même année l’accord d’établissement de cet institut. Il bénéficie ainsi d’une assistance technique dans l’identification des priorités d’investissements verts et la mobilisation des ressources financières pour la mise en œuvre de sa stratégie nationale de réduction des effets des changements climatiques. Notre nation s’est aussi engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 28% à l’horizon 2030 et a accueilli, en février 2020, la session technique de la Coalition des ministres des Finances pour l’action climatique. La Côte d’Ivoire, sous le leadership de son président, accueille depuis des années des événements internationaux majeurs en lien avec la thématique de la croissance verte, comme la 15e Conférence des parties (COP15) sur la lutte contre la désertification, qui s’est tenue à Abidjan en mai 2022. L’organisation de cette dernière est le signe de l’engagement et de la détermination du gouvernement à défendre la cause de l’environnement et à sensibiliser nos jeunes à adhérer à cette noble cause. Les nouvelles technologies offrent à ceux-ci de nombreuses opportunités de créations d’emplois et d’insertions socioprofessionnelles.

L’économie, du secteur privé au public, et dans tous les secteurs, sera-t-elle forcément «technologique» dans l’avenir? À quelle échéance?

C’est tout l’enjeu de la vision «Côte d’Ivoire, zéro papier à l’horizon 2030». La transformation structurelle de notre économie est en marche. L’objectif de la numérisation fixé à si brève échéance est le témoignage de l’engagement des pouvoirs publics. La place du numérique dans l’économie progresse rapidement, et l’État fait sa part en mettant en place le cadre législatif et réglementaire, et en définissant la vision, le secteur privé fait également la sienne. Mais il faut faire plus en matière d’investissement dans les infrastructures numériques et développer les compétences. Nous avons lancé plusieurs projets dont certains sont en voie d’achèvement, tels que la finalisation et l’opérationnalisation des 5000 km de fibre optique du réseau national haut débit (RNHD), l’interopérabilité des différentes applications informatiques de l’administration, l’amélioration de la qualité des services de télécommunication, la mise en place d’un data center central de l’État, ou encore l’implémentation de la 5G, pour ne citer que ces projets.

La Côte d’Ivoire a élaboré une stratégie nationale du numérique à l’horizon 2025. Que contient ce plan, et quels sont ses objectifs? Où en est-on de sa mise en œuvre?

Afin de faire de l’économie numérique le vecteur de la transformation structurelle et du développement d’une économie nationale compétitive, le gouvernement a adopté en décembre 2021 une stratégie nationale de développement du numérique 2021-2025, prenant en compte l’innovation technologique et la cybersécurité. Notre politique de développement du numérique se décline en sept points stratégiques, à savoir les infrastructures, les services, les services financiers, les compétences, l’environnement des affaires, l’innovation et la cybersécurité. Afin de créer une cohérence et une synergie dans la mise en œuvre de cette stratégie nationale, il a été créé, en septembre 2022, sous l’autorité du Premier ministre, chef du gouvernement, Patrick Achi, le Comité national de digitalisation, dénommé CNDigit. Celui-ci est chargé d’assurer la coordination et le suivi-évaluation des projets prioritaires de digitalisation de l’État.

Le PND 2021-2025 met notamment l’accent sur la digitalisation de l’administration publique. Un très gros chantier, sous l’égide du Comité national de digitalisation, et dans lequel vous êtes largement impliqué. Pourquoi ce processus est-il si important?

Nous sommes effectivement à tous les niveaux d’implication du CNDigit, qui est composé de trois organes : un conseil stratégique, instance institutionnelle de concertation, d’orientation et de pilotage, un comité de coordination, organe de coordination technique et de suivi des activités, et les unités de pilotage des programmes (UPP), qui assurent la mise en œuvre des programmes prioritaires. Au niveau du conseil stratégique, nous assurons, aux côtés du Premier ministre, la vice-présidence et le secrétariat technique, via le bureau de la coordination des projets prioritaires du ministère. Pour comprendre l’importance du processus, il faut prendre en compte le fait que le CNDigit est directement placé sous l’autorité du chef du gouvernement. Cela implique, au-delà de notre département ministériel, l’ensemble du gouvernement et contribue à fédérer dans une stratégie commune l’ensemble des initiatives de digitalisation portées par les différents ministères. Grâce à ce travail collaboratif impulsé par le CNDigit, nous venons, avec ma collègue ministre de la Fonction publique, Anne Désirée Ouloto, de procéder, le 19 juin dernier, au lancement de la signature électronique des actes administratifs des fonctionnaires dans l’administration publique. La signature électronique de ces actes est une solution digitale, portée par le ministère de la Fonction publique, qui permet désormais un gain de temps et d’argent, une traçabilité, un allègement des tâches, une garantie de l’authenticité des documents administratifs délivrés…

Le secteur privé fait également partie de vos préoccupations. Le 31 mai dernier, vous avez fait adopter à l’unanimité par l’Assemblée nationale un projet de loi «portant promotion des start-up numériques». Que contient cette loi? Est-ce pour encourager la création des entreprises numériques?

Le 18 janvier, le Conseil des ministres a adopté ce projet de loi, qui a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée le 31 mai. Il reste l’étape du Sénat, la chambre haute du Parlement de la Côte d’Ivoire. Ce projet de loi met en place un dispositif incitatif constitué, notamment, d’avantages fiscaux et douaniers, ainsi que d’autres mesures administratives d’aide et de facilitation au bénéfice des start-up numériques nationales, depuis leur phase de création jusqu’à leur développement, quel que soit le secteur d’activité, et encourage la création d’entreprises numériques. Il va favoriser l’innovation des start-up et permettre à celles qui existent déjà d’être plus compétitives sur le marché international en vue de lever des fonds. Nous comptons une centaine de start-up, dont seulement une quinzaine est dynamique. Cela est insuffisant au regard de nos ambitions. Ce cadre légal va booster le développement des start-up numériques en phase de création ou de croissance précoce, en mettant en place un régime juridique adapté. Il prévoit également un mécanisme de labellisation, afin de bénéficier d’exonérations, de soutiens, de garanties et de mesures d’accompagnement de l’État. Mais créer une start-up est une chose, tandis que pouvoir assurer sa viabilité sur le long terme afin de rivaliser avec les géants de la tech aux niveaux africain et international en est une autre. Nous avons prévu un cadre spécifique d’appui et de gouvernance des start-up numériques de droit ivoirien pour consolider l’écosystème entrepreneurial, l’objectif étant d’accélérer la croissance socio-économique. Cela permettra d’accroître le nombre de start-up numériques, mais surtout de renforcer leur contribution à la transformation de l’économie nationale.

La télévision numérique terrestre (TNT) a été lancée en Côte d’Ivoire en 2017. Quel bilan faites-vous de cette opération de digitalisation de la diffusion des chaînes de télévision, combinée au processus de libéralisation de l’espace audiovisuel, qui a permis la création de quatre nouvelles chaînes privées?

Depuis octobre 2022, nous avons achevé le déploiement du réseau de TNT sur l’ensemble du territoire national, avec un taux de couverture de 94,6%. Le bilan est satisfaisant et consacre l’émergence d’un marché de l’audiovisuel libéralisé et dynamique, source d’opportunités d’emplois et de perspectives pour notre jeunesse. La mise en œuvre de la stratégie nationale de migration vers la TNT, démarrée en septembre 2012, a conduit à la réorganisation de l’espace audiovisuel. Notre espace médiatique s’est enrichi de nouvelles chaînes de télévision et de radio privées. Aujourd’hui, la TNT permet à chaque foyer de recevoir sept chaînes gratuitement, sans abonnement: il s’agit de RT1, RTI2, La 3, Life TV, A+ Ivoire (du groupe Canal+), 7 Info et NCI. L’avènement de la TNT a permis la séparation de l’exercice des fonctions d’éditeur de services de télévision et d’opérateur de diffusion, ainsi qu’une facilité d’acquisition des kits TNT pour les ménages par une subvention permettant le plafonnement du prix de l’antenne et du décodeur.

Il y a un sujet qui préoccupe les Ivoiriens: celui de la sécurité numérique, fondamentale pour le pays et pour son économie. Existe-t-il une stratégie de lutte contre la cybercriminalité?

J’ai déclaré plus haut que le pays s’est doté en décembre 2021 d’une stratégie nationale de développement du numérique, intégrant la promotion de l’innovation technologique et la lutte contre la cybercriminalité. C’est dire combien le sujet est une priorité dans l’action gouvernementale. Le 25 mai 2023, le Sénat a adopté le projet de loi modificatif de la loi relative à la lutte contre la cybercriminalité. Les amendements visent à renforcer le cadre répressif des actes de plus en plus nombreux de cybercriminalité. Le nouveau texte réajuste le quantum des peines et amendes, et permet ainsi à l’État d’assurer convenablement son devoir régalien de protection des populations.

La lutte contre la corruption est aussi une priorité dans une économie qui veut se développer. Comment les nouvelles technologies peuvent-elles y contribuer? 

Le gouvernement fait de la lutte contre la corruption l’une de ses priorités. Vous noterez comme moi l’existence d’un ministère en charge de la Promotion de la bonne gouvernance et de la Lutte contre la corruption. La digitalisation des procédures administratives réduit considérablement les risques de corruption. Un bon exemple de l’efficacité des nouvelles technologies dans la lutte contre la corruption est la plate-forme de dénonciation des actes de corruption et infractions assimilées, Spacia. De nombreuses autres initiatives existent au niveau des ministères sectoriels. Le ministère du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion des PME a également lancé la plate-forme numérique dénommée «Contrôle citoyen», qui permet de lutter contre la vie chère en dénonçant les infractions constatées sur le non-respect des prix des produits de grande consommation