Amérique : ce n'est pas parce qu'il est noir (uniquement)...
Depuis la vieille Europe, j'ai la sensation que ça ne va pas très  fort. Les États-Unis sont toujours la plus grande des puissances, mais  la crise et les excès des vingt dernières années les ont durablement  affaiblis. L'État et les citoyens sont surendettés. Le déficit annuel du  budget atteindrait, cette année, 1 750 milliards de dollars, et le  fameux billet vert, incarnation du poids financier de l'Oncle Sam, se  démonétise... L'Amérique fait toujours peur, mais elle ne peut plus se  battre sur deux terrains « tiers-mondisés » à la fois (Irak et  l'Afghanistan). Son leadership est toujours aussi fort, mais cela  n'empêche pas le monde de changer et d'échapper petit à petit à la  tutelle de l'hyperpuissance. La Chine est là, elle inaugure ce qui sera  un siècle asiatique. L'Inde est là. La Russie, le Brésil, l'Indonésie  aussi. Le Japon a changé de majorité et changera sensiblement de  politique extérieure... Limités par la crise, bousculés par l'émergence  d'un monde nouveau, les Américains s'enlisent dans un débat surréaliste  d'égoïsme sur la question de la réforme de la santé. Des « allumés »  idéologiques estiment qu'assurer quarante millions de personnes  dépourvues, ce serait sombrer dans la dictature et le socialisme. Et que  l'État, en gros, c'est le mal absolu. Le modèle américain, qui a  conquis le monde, celui de la statue de la Liberté, celui « d'une chance  pour tous », s'enlise dans un triste « chacun pour soi ».
C'est pour  cela que Barack Obama est un homme important. Pas parce qu'il est noir  et éloquent. Mais parce qu'il représente une chance de tirer l'Amérique  du bon côté. Il incarne un pays ouvert, moins paranoïaque, moins  égoïste, plus équilibré avec lui-même. S'il échoue, on ne sera pas à  l'abri d'un nouveau George W. Bush. Probablement pire que le  précédent...
Nouveau Monde : cherche leader désespérément
L'UN  DES PROBLÈMES DU MONDE pauvre, semi pauvre et émergent, c'est qu'il  manque de leaders globaux, capables de porter la contradiction aux  nations riches, aux super boss du business, capables d'interpeller  positivement la planète média, de définir un « agenda du sud ». Capables  d'incarner l'autre humanité. Pour simplifier, on cherche un Nelson  Mandela plus jeune... On pourrait évidemment penser à Hu Jintao et à la  Chine montante. Problème, les Chinois n'aiment guère communiquer (la  langue n'aide pas), ils se cherchent une place et un rôle pour  eux-mêmes, et sont essentiellement mobilisés par leurs propres intérêts.  On pourrait penser à la flamboyance d'un Hugo Chavez, défenseur de la  révolution bolivarienne internationale. Il faudrait, dans ce cas,  oublier les échecs économiques du « chavezisme » et faire l'impasse sur  l'autoritarisme grandissant de son régime. On peut évidemment se tourner  vers Mouammar Kaddafi. Le Guide vise souvent juste dans ses paroles. Il  exprime une opinion largement répandue (voir son discours aux Nations  unies, le 23 septembre). Le problème, c'est que le fond est souvent  dénaturé par la forme et l'attitude, que la provocation répétitive  émousse le propos. Et puis la Libye, ce n'est pas un modèle de liberté  et de modernisme. On cherche, et on finit par regarder vers le Brésil et  le président Lula. Voilà un homme bien, avec une histoire personnelle  fascinante, le leader d'une démocratie vibrante et d'un pays en pleine  modernisation. Voilà un homme qui a de la voix, de l'humour et du  caractère... Et qui pense « sud » sans penser forcément « révolution »  ou « choc des mondes ». On dit, déjà, que certains pensent à lui pour  devenir le prochain secrétaire général des Nations unies...
G20 : beaucoup de bruit pour rien
ON  EN A FAIT UN VRAI PLAT, de cette révolution que serait la naissance du  G20*, symbolisé par le sommet de Pittsburgh fin septembre. C'est sûr que  pour les puissants de ce monde, le G20 clarifie les choses. En gros,  c'est le G7, les gens qui comptent vraiment, plus la Russie et la Chine,  sans qui rien ne peut se faire, surtout la Chine, et quelques  puissances émergentes qu'il vaut mieux consulter de temps à autre. À la  fin, on retrouve autour de la table 80 % de l'économie mondiale, ce qui  est tout de même logique. Et qui permet de gérer le business de  l'économie globale entre initiés. Évidemment, les losers, on s'en fiche  un peu. Le G20 ne concerne pas les pauvres. Les quatre milliards et  quelques d'individus qui représentent la moitié de la population de la  planète... et 20 % de l'économie globale. Le G20, c'est vingt pays sur  les cent soixante-dix que comptent les Nations unies. Dans ce nouvel  ordre mondial tant attendu, les Africains (900 millions d'individus) et  les autres (tous ceux qui vivent avec un dollar par jour...) compteront  pour du beurre. Rien, nada, oualou, nothing... Au FMI, on a donné un  strapontin aux nouveaux membres du club. Et beaucoup de promesses pour  tous les autres, ceux qui peuvent représenter la réalité de la pauvreté  de masse au XXIe siècle. Et autour de la table du sommet, on aura  essentiellement évoqué le problème, tout à fait surréaliste, des bonus  et des rémunérations des traders. Et celui, tout à fait politique, de  l'Iran nucléaire (voir ci-dessous). Les problèmes de la moitié de  l'humanité n'étaient pas à l'ordre du jour... Comme d'habitude.
*  Le G20 rassemble les membres du G7 (États-Unis, Canada, Japon,  Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni), plus la Russie (G8), plus la  Chine, l'Inde, le Brésil, l'Argentine, l'Australie, la Corée du Sud,  l'Indonésie, le Mexique, la Turquie, l'Égypte, l'Arabie saoudite et  l'Union européenne.
Iran, trois questions nucléaires
ON  VA BEAUCOUP ENTENDRE parler de l'Iran et de prolifération nucléaire  dans les semaines et les mois à venir. D'abord, à cause de la situation  interne (la bataille pour le coeur de l'Iran n'est pas finie...). On en  entendra aussi, et surtout, parler, à cause du dossier nucléaire. Un ami  m'explique que la bombe iranienne est inacceptable, parce que les  dictatures ne peuvent pas avoir la bombe. Donc la Russie, la Chine et le  Pakistan ne sont pas des dictatures ou des régimes particulièrement  autoritaires... Un autre m'explique que l'Iran ne peut pas avoir la  bombe, parce que les Iraniens se comportent de manière irrationnelle et  qu'ils ont menacé de rayer Israël de la carte. Je me dis, au contraire,  qu'ils ne sont pas des imbéciles, qu'ils ne s'appellent pas tous  Ahmadinejad, qu'ils veulent, peut-être, une capacité nucléaire, parce  que, justement, ils ont mesuré leur degré de fragilité stratégique dans  une région instable. Et que la carte nucléaire assure à celui qui la  détient une quasi assurance vie. Et à celui qui en est démuni un statut «  sous contrôle ». Je me dis aussi que l'argument israélien ne tient pas  la route. Les Iraniens, quels qu'ils soient, ne sont pas suicidaires. Le  lancement d'un seul projectile sur l'État hébreu signerait leur  destruction globale et immédiate... Je me dis enfin que, même si l'Iran  était une monarchie proche de l'Occident, on n'aimerait pas qu'il ait la  bombe quand même... Je crois que l'hypothétique bombe iranienne pose en  réalité trois vraies questions. Un, le monde occidental est-il prêt à  envisager une seconde bombe (après le Pakistan) perçue comme « islamique  » ? Deux, comment gérer l'émergence de la puissance iranienne dans un  Moyen-Orient dominé par les intérêts américains et israéliens ? Trois,  enfin, qui a le droit de décider de qui peut avoir la bombe ? Comment  expliquer à certains qu'ils n'ont pas le droit d'avoir une capacité  nucléaire, mais que d'autres, eux, ont tous les droits ? Que leur seul  choix, en quelque sorte, est de rester à portée de fusil...
Chronique [ L’air du Temps ] de Zyad Limam parue dans le numéro 289 (octobre 2009) d’Afrique magazine.