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Amérique : ce n'est pas parce qu'il est noir (uniquement)...

Par zlimam - Publié en février 2011
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Depuis la vieille Europe, j'ai la sensation que ça ne va pas très fort. Les États-Unis sont toujours la plus grande des puissances, mais la crise et les excès des vingt dernières années les ont durablement affaiblis. L'État et les citoyens sont surendettés. Le déficit annuel du budget atteindrait, cette année, 1 750 milliards de dollars, et le fameux billet vert, incarnation du poids financier de l'Oncle Sam, se démonétise... L'Amérique fait toujours peur, mais elle ne peut plus se battre sur deux terrains « tiers-mondisés » à la fois (Irak et l'Afghanistan). Son leadership est toujours aussi fort, mais cela n'empêche pas le monde de changer et d'échapper petit à petit à la tutelle de l'hyperpuissance. La Chine est là, elle inaugure ce qui sera un siècle asiatique. L'Inde est là. La Russie, le Brésil, l'Indonésie aussi. Le Japon a changé de majorité et changera sensiblement de politique extérieure... Limités par la crise, bousculés par l'émergence d'un monde nouveau, les Américains s'enlisent dans un débat surréaliste d'égoïsme sur la question de la réforme de la santé. Des « allumés » idéologiques estiment qu'assurer quarante millions de personnes dépourvues, ce serait sombrer dans la dictature et le socialisme. Et que l'État, en gros, c'est le mal absolu. Le modèle américain, qui a conquis le monde, celui de la statue de la Liberté, celui « d'une chance pour tous », s'enlise dans un triste « chacun pour soi ».
C'est pour cela que Barack Obama est un homme important. Pas parce qu'il est noir et éloquent. Mais parce qu'il représente une chance de tirer l'Amérique du bon côté. Il incarne un pays ouvert, moins paranoïaque, moins égoïste, plus équilibré avec lui-même. S'il échoue, on ne sera pas à l'abri d'un nouveau George W. Bush. Probablement pire que le précédent...

Nouveau Monde : cherche leader désespérément
L'UN DES PROBLÈMES DU MONDE pauvre, semi pauvre et émergent, c'est qu'il manque de leaders globaux, capables de porter la contradiction aux nations riches, aux super boss du business, capables d'interpeller positivement la planète média, de définir un « agenda du sud ». Capables d'incarner l'autre humanité. Pour simplifier, on cherche un Nelson Mandela plus jeune... On pourrait évidemment penser à Hu Jintao et à la Chine montante. Problème, les Chinois n'aiment guère communiquer (la langue n'aide pas), ils se cherchent une place et un rôle pour eux-mêmes, et sont essentiellement mobilisés par leurs propres intérêts. On pourrait penser à la flamboyance d'un Hugo Chavez, défenseur de la révolution bolivarienne internationale. Il faudrait, dans ce cas, oublier les échecs économiques du « chavezisme » et faire l'impasse sur l'autoritarisme grandissant de son régime. On peut évidemment se tourner vers Mouammar Kaddafi. Le Guide vise souvent juste dans ses paroles. Il exprime une opinion largement répandue (voir son discours aux Nations unies, le 23 septembre). Le problème, c'est que le fond est souvent dénaturé par la forme et l'attitude, que la provocation répétitive émousse le propos. Et puis la Libye, ce n'est pas un modèle de liberté et de modernisme. On cherche, et on finit par regarder vers le Brésil et le président Lula. Voilà un homme bien, avec une histoire personnelle fascinante, le leader d'une démocratie vibrante et d'un pays en pleine modernisation. Voilà un homme qui a de la voix, de l'humour et du caractère... Et qui pense « sud » sans penser forcément « révolution » ou « choc des mondes ». On dit, déjà, que certains pensent à lui pour devenir le prochain secrétaire général des Nations unies...

G20 : beaucoup de bruit pour rien
ON EN A FAIT UN VRAI PLAT, de cette révolution que serait la naissance du G20*, symbolisé par le sommet de Pittsburgh fin septembre. C'est sûr que pour les puissants de ce monde, le G20 clarifie les choses. En gros, c'est le G7, les gens qui comptent vraiment, plus la Russie et la Chine, sans qui rien ne peut se faire, surtout la Chine, et quelques puissances émergentes qu'il vaut mieux consulter de temps à autre. À la fin, on retrouve autour de la table 80 % de l'économie mondiale, ce qui est tout de même logique. Et qui permet de gérer le business de l'économie globale entre initiés. Évidemment, les losers, on s'en fiche un peu. Le G20 ne concerne pas les pauvres. Les quatre milliards et quelques d'individus qui représentent la moitié de la population de la planète... et 20 % de l'économie globale. Le G20, c'est vingt pays sur les cent soixante-dix que comptent les Nations unies. Dans ce nouvel ordre mondial tant attendu, les Africains (900 millions d'individus) et les autres (tous ceux qui vivent avec un dollar par jour...) compteront pour du beurre. Rien, nada, oualou, nothing... Au FMI, on a donné un strapontin aux nouveaux membres du club. Et beaucoup de promesses pour tous les autres, ceux qui peuvent représenter la réalité de la pauvreté de masse au XXIe siècle. Et autour de la table du sommet, on aura essentiellement évoqué le problème, tout à fait surréaliste, des bonus et des rémunérations des traders. Et celui, tout à fait politique, de l'Iran nucléaire (voir ci-dessous). Les problèmes de la moitié de l'humanité n'étaient pas à l'ordre du jour... Comme d'habitude.
* Le G20 rassemble les membres du G7 (États-Unis, Canada, Japon, Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni), plus la Russie (G8), plus la Chine, l'Inde, le Brésil, l'Argentine, l'Australie, la Corée du Sud, l'Indonésie, le Mexique, la Turquie, l'Égypte, l'Arabie saoudite et l'Union européenne.

Iran, trois questions nucléaires
ON VA BEAUCOUP ENTENDRE parler de l'Iran et de prolifération nucléaire dans les semaines et les mois à venir. D'abord, à cause de la situation interne (la bataille pour le coeur de l'Iran n'est pas finie...). On en entendra aussi, et surtout, parler, à cause du dossier nucléaire. Un ami m'explique que la bombe iranienne est inacceptable, parce que les dictatures ne peuvent pas avoir la bombe. Donc la Russie, la Chine et le Pakistan ne sont pas des dictatures ou des régimes particulièrement autoritaires... Un autre m'explique que l'Iran ne peut pas avoir la bombe, parce que les Iraniens se comportent de manière irrationnelle et qu'ils ont menacé de rayer Israël de la carte. Je me dis, au contraire, qu'ils ne sont pas des imbéciles, qu'ils ne s'appellent pas tous Ahmadinejad, qu'ils veulent, peut-être, une capacité nucléaire, parce que, justement, ils ont mesuré leur degré de fragilité stratégique dans une région instable. Et que la carte nucléaire assure à celui qui la détient une quasi assurance vie. Et à celui qui en est démuni un statut « sous contrôle ». Je me dis aussi que l'argument israélien ne tient pas la route. Les Iraniens, quels qu'ils soient, ne sont pas suicidaires. Le lancement d'un seul projectile sur l'État hébreu signerait leur destruction globale et immédiate... Je me dis enfin que, même si l'Iran était une monarchie proche de l'Occident, on n'aimerait pas qu'il ait la bombe quand même... Je crois que l'hypothétique bombe iranienne pose en réalité trois vraies questions. Un, le monde occidental est-il prêt à envisager une seconde bombe (après le Pakistan) perçue comme « islamique » ? Deux, comment gérer l'émergence de la puissance iranienne dans un Moyen-Orient dominé par les intérêts américains et israéliens ? Trois, enfin, qui a le droit de décider de qui peut avoir la bombe ? Comment expliquer à certains qu'ils n'ont pas le droit d'avoir une capacité nucléaire, mais que d'autres, eux, ont tous les droits ? Que leur seul choix, en quelque sorte, est de rester à portée de fusil...

Chronique [ L’air du Temps ] de Zyad Limam parue dans le numéro 289 (octobre 2009) d’Afrique magazine.