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Amérique : l'Empire est (peut-être) de retour

Par zlimam - Publié en février 2011
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Sa manière ultrarapide d’avoir pris la dimension du job. Sa capacité à devenir en si peu de temps l’hyperprésident (le « vrai », a souligné perfidement l’hebdo français Courrier international). Sa manière d’écouter, de sourire, de dire je me suis trompé. C’est énervant cette impossibilité de détester un président américain… On a du mal à le décrypter ce chef qui ne cède ni sur sa gauche ni sur sa droite. Ni colombe ni faucon, juste adepte d’un pragmatisme bluffant. On reste dubitatif devant l’ampleur des chantiers ouverts en si peu de temps : la réconciliation avec le reste du monde, les Sud-Américains, les Chinois, les Russes, les Arabes, les musulmans, la redistribution des cartes avec l’Iran, la dénucléarisation de la planète, la fin de la guerre en Irak et en Afghanistan. Entre-temps, ce jeune homme de 47 ans semble bien décidé à refonder (le mot à la mode) le capitalisme américain, tâche à elle seule gargantuesque, à réformer la sécurité sociale, sans parler du virage à 180° sur les questions écologiques (ratification, enfin, du protocole de Kyoto) et éthiques (recherche sur les cellules souches). Sans parler de la fermeture éventuelle de Guantánamo et la possibilité d’enquêtes et de poursuites sur la pratique de la torture… On reste assez stupéfait devant une telle ambition. Peut-être assistons-nous à une véritable révolution américaine. Un changement idéologique profond, un changement institutionnel aussi, avec une Maison Blanche capable de faire accepter son agenda par l’immense complexité de la machine du pouvoir (Congrès, lobbies, intérêts financiers, Wall Street…). Une évolution dont l’objectif final serait évidemment de rétablir la force de l’Amérique et donc d’inaugurer, avec un peu de retard, un nouveau siècle américain. Barack Obama peut également échouer, débordé par l’ampleur de ces chantiers, ou par la crise économique, ou par une défaite humiliante en Afghanistan. Ou tout simplement pour avoir provoqué un optimisme excessif chez ses concitoyens. Rien n’est joué pour cet homme et pour l’Amérique. Et nous, les petits du monde, on se demande bien quel serait le meilleur scénario… Amérique renaissante ou Amérique décadente ?

XXIe siècle : la grande crise… suite
Que s’est-il passé depuis ce fameux sommet du G20, censé « refonder » le capitalisme international ? Rien ou pas grand-chose. La révolution attendue s’est contentée de sauver les meubles en sauvant les banques et en faisant sauter les compteurs de la dette publique. On a fait aussi une jolie liste surréaliste des paradis fiscaux, (les paradis fiscaux, les vrais, en rigolent encore). Mais dans le fond, rien n’a changé. Les intérêts de la finance et de Wall Street sont globalement protégés. Le capitalisme est mort, vive le capitalisme ! Je cherche le chef d’État, le leader, qui parle d’une vraie régulation de la finance internationale. Je cherche l’homme politique qui parle d’économie réelle, d’industrie, d’agriculture. Je cherche celui qui nous parlera d’un nouveau modèle de croissance durable, où l’Asie pourra produire et consommer autant que l’Amérique et l’Europe, sans que la planète ne meure asphyxiée par les dioxydes de carbone. On cherche ceux qui nous parlent d’écologie, de protection des ressources naturelles, des réserves d’eau, des risques sanitaires, de croissance démographique anarchique. Ceux qui nous parleraient des grandes migrations humaines. On cherche ceux qui dessineraient un modèle de gouvernance mondiale. Ceux, enfin, qui parleraient des deux, trois milliards de pauvres de notre monde, de la misère de l’humanité. Ceux qui nous parleraient d’un nouveau codéveloppement, basé sur les promesses du futur et non pas sur la mendicité et la survie. Le monde change. On sent les plaques bouger. Nous sommes entrés dans une ère de rupture et de transformation. Le système est usé, le sol gronde, mais nos hommes d’État, nos élites capitalistes sont restés au ras du sol. Ils scrutent le court terme, le retour de la croissance pour 2010…

Afrique du Sud : de Nelson à Jacob
Ce fut l’un de mes premiers voyages de journaliste. Quelques mois après la libération de Nelson Mandela, l’icône de toute notre génération. Un voyage initiatique dans une Afrique du Sud libérée, après tant d’inhumanité, d’injustice, après plus de deux siècles d’oppression. Pour nous, la chute du régime de l’apartheid, c’était comme la promesse d’un nouveau monde. J’y suis retourné, évidemment, plusieurs fois, je suis allé dans les townships, de Soweto à Khayelitsha, je suis allé dans le luxe des nouvelles villes blanches, j’ai traversé le pays en voiture et j’ai « humé » la mer, tout au bout du continent, au cap de Bonne Espérance. J’ai rencontré Nelson Mandela et j’ai senti passer le vent de l’Histoire. J’ai vu la fin d’un monde blanc, le début d’un monde plus ou moins métis, hésitant, compliqué. J’ai vu un pays en progrès, où la pauvreté a reculé, qui s’est imposé comme la première puissance africaine. J’ai vu une Afrique du Sud qui a organisé quatre élections générales démocratiques, qui a sauvegardé ses institutions judiciaires, la liberté de la presse. Et je la vois aujourd’hui face à la première récession de son histoire de nation libre. Face aussi à l’organisation d’un événement planétaire, la Coupe du monde 2010 de football. Je lis les journaux et je vois le monde entier gloser sur la crise du modèle, sur la déception, et je trouve que tous ces gens ont la mémoire courte. Il n’y a pas si longtemps, les soldats blancs tiraient sur du nègre dans des cités de la misère absolue. On se méfie du nouveau président, Jacob Zuma, un peu trop « africain », un peu trop polygame, un peu trop populiste, ce « grand acteur pour qui la vie et la politique sont une grande pièce de théâtre », pour reprendre l’expression de l’écrivain André Brink. Ces jugements a priori teintés de condescendance bien pensante m’énervent. Laissons faire cet homme, qui milite depuis sa jeunesse, laissons faire son parti, l’ANC, qui a lutté pendant un siècle et qui gouverne le pays depuis seize ans. Ce qui me frappe, ce n’est pas Zuma et ses trois ou quatre femmes, ce qui me frappe, c’est la violence qui mine le pays. Cette criminalité endémique (l’Afrique du Sud est le pays le plus violent du monde, avec près de 20 000 meurtres par an) qui fauche les innocents, qui pousse les élites (noires et blanches) à l’exil, qui s’exerce plus aveuglément encore sur les pauvres. Une violence stupéfiante qu’avait tentée de m’expliquer un sociologue de Johannesburg : « L’apartheid a détruit la culture des peuples. Le struggle (“la lutte”) a poussé des millions de jeunes dans la rue face à la police, du milieu des années 1970 au début des années 1990… Ces gens n’ont pas été à l’école. Ils n’ont connu que la haine et la violence. Ils n’ont aucune chance de s’en sortir. Ils sont la génération perdue de ce pays. Et pour eux, la vie ou la mort, cela ne veut rien dire. Ils se vengent. Cette violence, c’est le prix que nous payons aujourd’hui pour tous nos péchés d’hier. »

Sanglant Orient : à Gaza, rien de nouveau…
C’était il y a un peu plus de trois mois. Le 18 janvier dernier. La fin de la « guerre » à Gaza. Ou plutôt la fin de l’expédition punitive géante israélienne destinée à casser le Hamas et dont le résultat essentiel fut de réduire la zone à l’état de ruine et poussière. Trois mois sont passés, et qui se souvient encore de Gaza ? Trois mois sont passés, et rien n’a changé. Gaza reste un territoire bouclé, hermétiquement clos. Une prison à ciel ouvert où vivent un million et demi de Palestiniens au milieu des gravats. Le monde entier avait promis son aide. On attend toujours, et de toute façon, l’aide ne passe pas. Sarkozy avait promis. Gordon Brown aussi, Angela Merkel aussi… On attendait un geste de Barack Obama, et rien de bien concret n’est venu. On attend la réconciliation des Palestiniens, entre Hamas et Fatah, et rien n’avance. Entre-temps, Israël a élu un gouvernement d’ultradroite, dont certains des ministres proposent de rejeter les Arabes de l’autre côté du Jourdain. Ici et là, dans les hautes sphères des grandes capitales, on s’émeut du bout des lèvres. Et dans le silence assourdissant de l’opinion publique mondiale, la descente aux enfers des Gazaouis continue…

Chronique [ L’air du Temps ] de Zyad Limam parue dans le numéro 284 (mai 2009) d'Afrique magazine.