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Parcours

Amin Sidi-Boumédiène

Par Astrid Krivian - Publié en juillet 2020
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Avec son premier film, abou leila, le cinéaste algérien questionne les mécanismes de la violence. Après trois courts-métrages, il nous plonge dans la décennie noire avec cette œuvre puissante et singulière, telle une catharsis.

Né en 1982, Amin Sidi-Boumédiène grandit à Alger. Si les salles de cinéma font défaut, il est un cinéphile en herbe grâce aux cassettes VHS louées au vidéoclub ou prêtées par son grand frère. Et découvre sur Canal+ des films d’auteur du monde entier. Son premier choc : Shining, de Stanley Kubrick. Après son bac, il suit des études de chimie en France à Paris, en 2000. « Des années d’apprentissage. Je vivais enfin la jeunesse que la décennie noire en Algérie nous avait volée », confie-t-il. Licence en poche, décidé à suivre sa propre voie, il s’inscrit au Conservatoire libre du cinéma français. Et renforce sa culture cinématographique. « Plus je regardais des films, plus j’avais envie d’en faire. » Esprit critique mais ouvert, il est notamment marqué par le surréalisme de Buñuel, les cinémas européens, américains, japonais des années 1960 et 1970, les films coréens contemporains. Lui qui écrit depuis l’enfance s’abreuve aussi de littérature allemande ou sud-américaine. « Comme beaucoup d’Algériens, le réalisme magique, l’irruption du fantastique dans le réel me touchent. » Il apprend rigoureusement chaque étape de fabrication d’un film, fait des stages en régie sur les plateaux, devient assistant : « Connaître les différents aspects m’a permis d’effectuer en toute conscience mes choix de mise en scène. » Son inspiration jaillit à son retour au pays natal, après avoir obtenu son diplôme en 2005. « Beaucoup de cinéastes de ma génération réalisaient des courts-métrages, on sentait une émulation. On voulait participer à la renaissance du cinéma algérien, alors que le système ne le permettait pas vraiment. » Après trois courts-métrages, dont L’Île, Prix du meilleur film au Festival d’Abu Dhabi, il signe son premier long, Abou Leila, puisant dans son adolescence assombrie par la guerre civile. En 1994, alors que les assassinats s’intensifient dans le pays, deux hommes traversent le désert pour traquer un terroriste. Le film ne s’attache pas aux faits mais aux sentiments liés à ces événements. « La situation était trop confuse pour se résumer en une chronique sociale ou politique de deux heures. » Il explore l’intériorité des personnages, leurs pulsions et hallucinations. Une immersion mentale, inspirée des angoisses et cauchemars du cinéaste, qui questionne les mécanismes de la violence, contaminant chaque être, même innocent. Ce film baroque convoque les genres et les déjoue, « proche du rock progressif, passant d’un style à l’autre en gardant sa personnalité ». Le réel et le rêve se confondent. « Pendant cette décennie, on ne savait plus si l’on baignait dans un cauchemar ou la réalité. On ne comprenait pas les tenants et les aboutissants. » Le langage sonore traduit un hors-champ oppressant, le danger invisible qui rôde. Le réalisateur emploie des symboles, images archétypales issues de la mythologie, de la religion, enfouies dans la mémoire et l’inconscient collectifs. Telle la notion de sacrifice. « Les victimes du terrorisme, civils innocents, sont aussi des sacrifiés. » Abou Leila fut pour lui une catharsis : « Nous, artistes de ma génération, sommes obsédés par cette période. Il y a encore tant à dire. La pluralité des points de vue permettrait aussi de la regarder en face, de soigner les traumatismes et laes dépasser. »