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Découverte / Djibouti

Au cœur des enjeux
stratégiques

Par Alexis Georges - Publié en juin 2023
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À l’international, que ce soit avec la Chine, la France ou les États-Unis, le président Guelleh maintient des liens diplomatiques forts. Ici, sur une base aérienne dans le Maryland.MANDEL NGAN/AFP
À l’international, que ce soit avec la Chine, la France ou les États-Unis, le président Guelleh maintient des liens diplomatiques forts. Ici, sur une base aérienne dans le Maryland.MANDEL NGAN/AFP

Sécurisation de la mer Rouge et du détroit de Bab el-Mandeb, immigration, plate-forme de sécurité, équilibrisme diplomatique... La république assume ses responsabilités dans une région essentielle et instable.

​​​​​​​Djibouti est déjà habitué aux exercices militaires des forces armées présentes sur son sol. Mais cette fois-ci, c’est un ballet aérien d’appareils militaires A400M et C-130 qui s’est déroulé dans son ciel entre le 22 et le 26 avril. Dans une guerre, une vraie.

Alors qu’au Soudan, de sanglants combats faisaient rage entre armée et paramilitaires, le pays a ouvert le tarmac de son aéroport international Ambouli aux opérations de plusieurs pays «amis»: France, États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, Italie, Canada, Corée du Sud, Japon... Objectif: évacuer d’urgence les centaines de ressortissants et personnels bloqués depuis une semaine à Khartoum, sans eau ni électricité. En août 2021, lors du retour au pouvoir des talibans à Kaboul, les États-Unis et leurs alliés avaient déjà exfiltré 120000 civils dans un exercice du même type.

Au Soudan, l’opération d’envergure a été qualifiée de particulièrement périlleuse par les états-majors mêmes, en raison des tirs croisés et de la rupture des liaisons radio sur l’aéroport de Khartoum, mais s’est conclue par un très grand soulagement pour les civils, une fois les pieds posés sur le territoire djiboutien. Là, les 530 personnes exfiltrées par les forces françaises, parmi lesquelles 200 Français et plus de 40 autres nationalités, ont pu par exemple dormir sous les tentes et dans les hangars de la base française, et recevoir un appui médical, sanitaire et psychologique, et bien sûr de la nourriture. Quelques jours avant l’escalade du conflit soudanais, le Pentagone avait quant à lui renforcé la présence militaire américaine par l’envoi de nouvelles troupes. Des personnels gouvernementaux américains ont également pu être hélitreuillés de Khartoum jusqu’à Djibouti.

L’ouverture de ce corridor aérien et la mise à disposition d’installations au sol ont souligné une fois encore l’importance stratégique de Djibouti, zone de sécurité dans la Corne de l’Afrique, une région à la fois essentielle et instable. La situation permet de dialoguer avec les grandes puissances à équidistance, dans un monde qui se polarise de plus en plus, autant avec les Chinois qu’avec les Américains, les Russes ou les Ukrainiens. Intermédiaire reconnu dans les crises régionales, le pays envoie déjà quelques contingents dans des opérations de maintien de la paix, sous mandat de l’ONU ou de l’Union africaine.

Dans une région en butte à de nombreuses secousses politiques, sécuritaires et climatiques, la nation, qui fêtera cette année ses quarante-six ans d’indépendance, fait déjà fructifier son emplacement géographique privilégié en mer Rouge. Les loyers des bases assurent une contribution non négligeable à son budget national, autour de 10%, soit près de 170 millions d’euros. La France, présente avec 1500 soldats, négocie actuellement les conditions de renouvellement de son loyer, et notamment son emplacement au Plateau du Héron. La Chine continue de miser beaucoup sur sa première base militaire étrangère, ouverte en 2017, qui comptera bientôt plus de 5000 soldats. La coopération avec Pékin pourrait d’ailleurs donner lieu à l’ouverture d’une base de lancement spatial. Quant aux États-Unis, présents depuis vingt ans avec 4000 hommes, ils pilotent depuis l’État-confetti leurs actions dans toute la région. Enfin, Djibouti sert toujours de point d’appui à l’opération Atalante de l’Union européenne, servant à lutter contre les pirates maritimes.

Un échange de bons procédés qui offre au pays la sécurité et lui permet d’exister face aux ambitions des grands voisins à sa porte, comme l’Éthiopie et la Somalie, qui, par l’imbrication et le cousinage des groupes ethniques, d’un côté comme de l’autre des frontières, pourraient menacer sa propre unité. On imagine en outre les pressions politiques de l’Éthiopie sur sa seule porte d’entrée maritime, alors que les alternatives érythréennes et somalilandaises ne sont pas près d’émerger.

le Plateau du Héron est un lieu hautement central pour l’armée française, historiquement présente sur le territoire.PATRICK ROBERT
le Plateau du Héron est un lieu hautement central pour l’armée française, historiquement présente sur le territoire.PATRICK ROBERT

UN REFUGE AU SEIN D’UNE ZONE AGITÉE

Mais si les grandes puissances mondiales peuvent compter sur Djibouti, c’est aussi et surtout pour sécuriser leurs approvisionnements et les flux de marchandises qui passent par le détroit de Bab el-Mandeb: 15% du trafic mondial. On se rappelle la manière dont la fermeture du canal de Suez entre 1967 et 1975 avait pénalisé le commerce maritime des Occidentaux, obligés de contourner le continent. Le 19 mai dernier, lors du 32e sommet de la Ligue arabe à Djeddah, le chef de l’État le soulignait encore: «Sur le sujet de la sécurisation de la mer Rouge, notre pays est investi également d’une mission centrale de coordination et de coopération avec les grandes puissances pour protéger la navigation maritime, combattre le terrorisme, et faire face aux défis de sécurité qui affectent la région et le monde.»

Alors que l’Éthiopie sort douloureusement de la guerre civile dans le Tigré, que la Somalie affronte toujours difficilement les assauts des shebab, que le Yémen sort ravagé par la guerre, que l’État non reconnu du Somaliland, jusqu’ici préservé, commence à connaître une certaine instabilité, qu’une sécheresse aiguë ronge la Corne de l’Afrique, le pays du président Ismaïl Omar Guelleh apparaît désormais comme le seul de la zone à être stable et en paix. Aussi, tout le monde a intérêt à le protéger, en particulier de la menace shebab. Car en 2021, les islamistes radicaux, qui y avaient déjà commis un attentat en 2014, avaient menacé de s’en prendre aux intérêts français et américains.

Pour participer à l’opération d’évacuation de ressortissants étrangers bloqués au Soudan, la capitale a ouvert le tarmac de son aéroport international.DR
Pour participer à l’opération d’évacuation de ressortissants étrangers bloqués au Soudan, la capitale a ouvert le tarmac de son aéroport international.DR

À cette dimension géostratégique, s’ajoute celle d’une plate-forme humanitaire nécessaire. Les Nations unies en ont notamment fait une importante base d’opérations, avec le Programme alimentaire mondial (PAM), qui y a installé il y a dix ans sa base logistique dans la Corne. Ainsi, à la suite d’un accord signé par Kiev et Moscou, qui levait le blocus sur le transport de céréales, son port a accueilli en août dernier un navire du PAM transportant 23000 tonnes de blé en provenance d’Ukraine. La première cargaison céréalière sur le continent depuis le début du conflit en février 2022 était destinée à l’Éthiopie, où plus de 20 millions d’habitants ont faim à cause de la guerre au Tigré dans le nord et de la pire sécheresse de ces quarante dernières années dans le sud et le sud-ouest. Après quatre saisons des pluies défaillantes depuis 2020, 4 millions de têtes de bétail ont été tuées et des récoltes ont été détruites dans la région.

Il en résulte ainsi qu’avec des crises extérieures de cette envergure, le nombre de migrants entrés à Djibouti a doublé en 2022 par rapport à l’année précédente, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui lançait en février dernier un fonds de 84 millions d’euros pour aider plus d’un million de migrants empruntant la route vers le Yémen. En 2019, ils étaient déjà, selon l’OIM, 20000 migrants, en grande partie éthiopiens, souvent des enfants et des femmes seuls, confrontés à de nombreuses violences sur leur trajet, à traverser Djibouti pour rejoindre l’Arabie saoudite via le Yémen, espérant un avenir meilleur. Depuis 2015, ce sont aussi des milliers de Yéménites qui convergent près d’Obock, au camp de réfugiés de Markazi de l’ONU.

Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), en mars dernier, plus de 21340 réfugiés et 9249 demandeurs d’asile étaient accueillis sur le sol djiboutien, avec 13000 Somaliens, 12 600 Éthiopiens, 3 200 Yéménites, et un afflux de 1600 Érythréens arrivés depuis octobre 2022 – soit 30000 personnes, après un pic de 36000 personnes en début d’année. Les récentes inondations dans le centre de la Somalie, et les 200000 déplacés qu’elles occasionnent, font craindre de nouveaux mouvements et de nouvelles tensions dans ce territoire, qui affiche pourtant fièrement une culture de l’hospitalité envers les migrants, mais qui doit absolument se garder de toute forme de déstabilisation. Situé dans une zone volcanique, Djibouti aurait, comme ses partenaires, tout à craindre de nouvelles éruptions.

À l’international, que ce soit avec la Chine, la France ou les États-Unis, le président Guelleh maintient des liens diplomatiques forts. Ici, avec Xi Jinping.YAN YAN/XINHUA/REA
À l’international, que ce soit avec la Chine, la France ou les États-Unis, le président Guelleh maintient des liens diplomatiques forts. Ici, avec Xi Jinping.YAN YAN/XINHUA/REA 

 

À l’international, que ce soit avec la Chine, la France ou les États-Unis, le président Guelleh maintient des liens diplomatiques forts. Ici, avec Emmanuel Macron.NICOLAS MESSYASZ/HANS LUCAS
À l’international, que ce soit avec la Chine, la France ou les États-Unis, le président Guelleh maintient des liens diplomatiques forts. Ici, avec Emmanuel Macron.NICOLAS MESSYASZ/HANS LUCAS