Au pays
des bâtisseurs
Depuis l’indépendance, on construit et on élève avec enthousiasme. La stratégie actuelle vise à répondre aux besoins en infrastructures, tout en dopant la compétitivité et la modernisation de l’économie.
C’est véritablement devenu une tradition ivoirienne. Construire, bâtir, dessiner et redessiner la physionomie du pays, lancer des ponts et des routes, et monter des immeubles vers le ciel… Ici, en Côte d’Ivoire, l’ambition, c’est aussi de «transformer le terrain ». À l’indépendance, le pays est marqué par l’empreinte de l’économie coloniale, avec comme seules véritables infrastructures les comptoirs sur la côte, dont la ville de Grand-Bassam, et le fameux train Abidjan-Bobo-Dioulasso. Abidjan d’ailleurs existe à peine. On est loin de la future métropole de 5 millions d’habitants, qui deviendra l’une des portes de l’Afrique. L’ère du premier président, Félix Houphouët-Boigny, sera celle d’une véritable «construction » du pays, avec l’émergence du Plateau, ce quartier d’affaires emblématique, des premiers immeubles iconiques, comme l’hôtel Ivoire, ou des tours de la cité administrative.
Avec le développement de la culture du cacao, le pays s’enrichit, le « Vieux » se lance dans la «création » de Yamoussoukro comme capitale, avec la fameuse basilique, œuvre de l’architecte Pierre Fakhoury, né à Dabou, dont le travail tout au long des décennies à venir marquera lui aussi le territoire. Les années Houphouët sont celles de la naissance de la fameuse DCGTx (Direction et contrôle des grands travaux), dirigée par Antoine Cesareo, presque un personnage de roman. Les années Bédié seront celle du Bureau national d’études techniques et de développement (BNETD), dirigé un temps par Tidjane Thiam. Celles également de la naissance du concept de l’Éléphant, avec les 12 grands travaux, largement inachevés, mais dont un certain nombre seront repris par ses successeurs. Les années Gbagbo sont celles de la confusion et d’une quasi-guerre civile. L’arrivée du président Alassane Ouattara, en mai 2011, entraîne une vigoureuse relance de l’investissement dans les infrastructures. Il s’agit tout d’abord de réhabiliter un système à genoux, au lendemain de la grave crise électorale de novembre 2010, de remettre littéralement en marche l’eau et électricité. Puis de retrouver le niveau après vingt ans de stagnation, de doper la croissance par l’investissement public. Sur un plan stratégique, l’objectif d’ADO et de son équipe va être d’accentuer la compétitivité du pays, en le dotant d’un backbone, de « l’armature » nécessaire pour soutenir et induire l’activité. Les infrastructures et les grands travaux sont alors des éléments centraux de l’émergence. Et, dans un cercle vertueux, ils entraînent la création d’emplois. Réhabilitation du patrimoine immobilier de l’État, relance de la production d’énergie, relance d’un grand programme autoroutier vers le nord et vers l’est, construction du barrage de Soubré, construction du troisième pont d’Abidjan, lancement de nouveaux projets… À l’orée du second mandat, les travaux s’enchaînent et l’on doit saluer ici la mémoire d’Amadou Gon Coulibaly, secrétaire général de la présidence, puis Premier ministre, qui fut le principal coordinateur de ce programme présidentiel très ambitieux.
Locomotive de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), avec un produit intérieur brut (PIB) de 69,76 milliards de dollars en 2021, la Côte d’Ivoire aspire à devenir une économie à revenu intermédiaire d’ici à 2030. Pour atteindre l’objectif, les pouvoirs publics structurent l’effort via des plans stratégiques qui orientent l’investissement, en particulier dans le domaine des grands travaux et des infrastructures. Le premier Plan national de développement (PND) 2012-2015 avait prévu un montant d’investissements publics et privés de 11 000 milliards de francs CFA, et le PND 2016-2020 une enveloppe de 30 000 milliards de FCFA. Les deux premiers plans ont permis au pays de réaliser une croissance moyenne de plus de 8 % sur la période de 2012 à 2019. L’impact de la pandémie de Covid-19 aura fortement ralenti le processus en 2020 (2 %), mais le pays aura aussi su prouver sa résilience aux chocs. Le PND 2021-2025 renoue avec une voie haute en matière d’ambition, avec un montant estimé de 59 000 milliards de FCFA.
L’objectif de l’équipe du Premier ministre, Patrick Achi, est de poser de véritables jalons dans la perspective de 2030. La population du pays avoisinera alors 34 millions d’habitants (au lieu de 28 millions aujourd’hui), avec une grande majorité de jeunes de moins de 30 ans. Abidjan comptera aux alentours de 8 millions de résidents, s’imposant plus encore comme l’une des cités majeures du continent. En 2030, si tout se passe comme prévu, la richesse du pays aura de nouveau doublé (par rapport à la décennie 2011-2020), pour atteindre un PIB au-dessus de 90 milliards de dollars Des chiffres nécessaires pour diviser par deux la pauvreté et pour créer des emplois.
Outre son potentiel intérieur, cette « plate-forme » Côte d’Ivoire s’adresse et s’adressera à un double marché : l’UEMOA, qui compte plus de 130 millions d’habitants avec une monnaie unique et stable, et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), avec plus de 400 millions d’habitants.
Pour atteindre ces objectifs, favoriser le développement du secteur privé national et les investissements privés internationaux, les infrastructures restent un paramètre clé. Aujourd’hui comme hier, la Côte d’Ivoire est en chantier. La capitale économique vit au rythme des pelleteuses et des grues (et des embouteillages). Les accès à l’eau potable, à l’électricité, à l’énergie, à Internet restent des priorités. Les 4e et 5e ponts, au-dessus des lagunes, avancent à grands pas. Deux grands projets emblématiques sont en cours. Celui de la tour F, la dernière de la cité administrative, qui sera la plus haute d’Afrique, au cœur du Plateau. Et celui du métro d’Abidjan, dont les travaux ont commencé et qui sera, malgré les obstacles et les retards, une formidable aventure humaine et urbaine. L’agrandissement du Port autonome d’Abidjan (PAA) est en marche. Poumon économique de la Côte d’Ivoire, il assure 90 % des échanges extérieurs. Il s’est doté d’un second terminal à conteneurs. Et des travaux d’extension sont en cours. Concernant le transport aérien, Air Côte d’Ivoire, qui génère 72 % du trafic global sur la plate-forme aéroportuaire ivoirienne, a ouvert récemment deux nouvelles dessertes (Johannesbourg et Bissau). Le programme autoroutier avance vers le nord, au-delà de Bouaké, et vers l’est, au-delà de Grand-Bassam. La rénovation, urgente, de la fameuse « côtière », la nationale qui relie Abidjan à San Pedro, a démarré de chaque côté.
La formation et les ressources humaines sont au cœur de la compétitivité. D’où la création d’universités, en particulier à l’intérieur du pays. Daloa, Man, San Pedro et Korhogo comptent désormais des établissements supérieurs. D’autres sont en cours de construction, notamment à Bondoukou et Odienné.
Enfin, le pays se prépare aussi à accueillir de grands événements. Cela après avoir reçu la conférence des parties de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (COP 15), du 9 au 20 mai. Un événement qui a réuni plus de 7 000 participants venus de plus de 150 pays. Au cours de cet événement, la Côte d’Ivoire a présenté l’Initiative d’Abidjan, ou Abidjan Legacy Program, qui vise à restaurer les écosystèmes forestiers dégradés et à promouvoir une agriculture nouvelle, une gestion durable des sols.
Dans ce contexte, un parc d’exposition pouvant recevoir plus de 5 000 personnes est en cours de réalisation près de l’aéroport d’Abidjan. Et enfin, le pays travaille d’arrache-pied pour accueillir la prochaine Coupe d’Afrique des nations (CAN) de football, en janvier 2024, avec la réalisation de six stades flambant neufs dans cinq villes.
Le chemin parcouru depuis 2011 est assez impressionnant. Mais les défis demeurent. La dernière saison des pluies aura montré le besoin de repenser le système d’assainissement et d’évacuation des eaux, en soulignant l’urgence d’une gestion de l’urbanisme. Plus structurellement, les bases de la croissance doivent se diversifier et le secteur privé doit monter en gamme pour participer à sa mesure à l’investissement, y compris dans les infrastructures. La croissance doit aussi se «délocaliser », sortir du périmètre du grand Abidjan pour entraîner les hinterlands, les villes secondaires et les campagnes.
En attendant, que la visite commence.