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HAMED BAKAYOKO<br>MINISTRE IVOIRIEN DE L’INTÉRIEUR ET DE LA SÉCURITÉ

« AUCUN PAYS N’EST EN SÉCURITÉ S’IL NE SE PRÉOCCUPE QUE DE SES FRONTIÈRES »

Par zlimam - Publié en juillet 2016
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Le numéro deux du gouvernement revient sur les conséquences des attentats de Grand-Bassam, sur l’évolution des réponses étatiques et la nécessaire coordination transnationale. Et il évoque sans trop de fi gures de style son propre avenir politique.

C’est un « ancien de l’Hôtel du golf », l’un de ceux qui vécurent retranchés aux côtés d’Alassane Ouattara, lors de la crise post électorale de 2011. Un personnage clé de la scène politique nationale ivoirienne et du gouvernement. Un fidèle du président. Natif d’Abidjan, journaliste de formation (à l’origine du Patriote et de Radio Nostalgie) membre du RDR, il a fait partie de toutes les équipes gouvernementales du pays depuis 2003. Ministre de l’Intérieur depuis 2010, reconduit en 2012 puis à nouveau aux termes de la dernière élection présidentielle de 2015, il est au centre du dispositif sécuritaire. 
 
AM : Quelles leçons peut-on tirer des attentats de Grand-Bassam ?
Hamed Bakayoko : La leçon principale, c’est qu’aucun pays n’est à l’abri. Toutes les nations doivent prendre les dispositions sécuritaires pour traquer les terroristes au niveau national mais également par la coopération régionale et internationale. Le mode de vie de nos populations doit s’adapter à cette nouvelle menace. Il faut, aujourd’hui, accepter que des contrôles se fassent à tous les endroits et que la vigilance soit accrue. Nous devons dominer le sentiment de peur parce que c’est le but des terroristes, et renforcer le dialogue entre communautés afin de préserver l’unité de la nation. 
 
Certains ont jugé le dispositif en place avant les attentats de Grand-Bassam comme particulièrement « vulnérable », évoquant une forme de « surconfiance » de l’État. Avec le recul, auriez-vous pu faire les choses autrement ?
Il est facile a posteriori de déclarer qu’il aurait fallu faire autrement. Quinze ans après le 11-Septembre, les spécialistes américains débattent encore de ce qui aurait pu être fait pour éviter ces attentats. Notre pays a été attaqué comme l’ont été les plus grands pays occidentaux et africains. Nous faisons face à un nouveau type de menace où l’ennemi n’est pas aisément identifiable. L’attentat de Grand-Bassam nous a permis de tirer de nouveaux enseignements et d’améliorer encore notre capacité d’anticipation et de réaction. Depuis deux ans, notre pays a pris des dispositions en adoptant une loi contre le terrorisme et en dotant nos forces d’une capacité de réaction adéquate. Ces forces ont effectué de nombreux exercices grandeur nature et la dernière simulation de réponse à un attentat terroriste a eu lieu trois jours avant l’attaque de Bassam. Ce sont ces mesures qui ont permis une riposte rapide, appropriée, et une neutralisation des terroristes, sur une plage où il y avait des milliers de visiteurs.
 
La Côte d’Ivoire est-elle une cible particulière du jihadisme ?
Les terroristes sont prêts à frapper partout. Mais la Côte d’Ivoire n’est pas en soi un foyer de terroristes. Pour preuve, tous les auteurs de l’attaque sont venus de l’extérieur.
 
Le président Ouattara a annoncé la mise en oeuvre de ressources très importantes… Avez-vous réellement les moyens humains, financiers et technologiques d’une lutte efficace ?
Le chef de l’État avait déjà instruit le gouvernement pour la mise en oeuvre de mesures préventives. C’est ce qui a permis, encore une fois, une réaction rapide et efficace de nos forces à Bassam. Les complices impliqués dans l’attentat terroriste ont été arrêtés cinq jours après et les premières investigations ont permis d’identifier les auteurs et commanditaires. Nos moyens ont été accrus non seulement pour protéger nos populations mais aussi contre toute menace de nature à affecter la stabilité. La loi de programmation militaire et la loi de programmation des forces de sécurité intérieure ont été adoptées par le Parlement respectivement en décembre 2015 et janvier 2016 et ont permis de planifier toutes les dépenses de défense et de sécurité sur les quatre années à venir (2016-2020). Ces deux lois, d’un montant cumulé de 2 590 milliards de francs CFA (3,9 milliards d’euros), permettront de poursuivre la modernisation de nos services et d’aboutir à un ratio de 1 policier pour 400 habitants dans les zones urbaines, ce qui est le standard international. Enfin, en urgence, le président de la République a fait débloquer la somme de 80 milliards de francs CFA (121,9 millions d’euros) pour améliorer les formations et les équipements.
 
La Côte d’Ivoire a-t-elle fait évoluer ses méthodes de renseignement ? De police ? Avec des « services dédiés » ?
Le renseignement s’adapte toujours aux enjeux du moment et aux évolutions technologiques. Nous progressons et nous travaillons en toute discrétion, évidemment.
 
Certains lieux de cultes ont été mis sous surveillance particulière. Comment lutter efficacement sans stigmatiser la communauté musulmane ?
En Côte d’Ivoire, celle-ci n’a jamais été mêlée à des actes de terrorisme. Malgré les attaques de Grand-Bassam, il n’y a eu aucune stigmatisation des uns ou des autres. Les terroristes se sont marginalisés eux-mêmes en créant leur propre idéologie de mort. Toutes les communautés religieuses ont cherché à se démarquer. Je le répète, les auteurs sont venus de l’extérieur.
 
Et sans effrayer investisseurs internationaux ?
Les 21 et 22 mars, soit quatre jours après les événements de Grand-Bassam, l’Africa CEO Forum a réuni à Abidjan des centaines de patrons des plus grandes entreprises d’Afrique et du monde. Des réunions importantes d’institutions internationales ont depuis été organisées. Mi-mai à Paris, dans le cadre du groupe consultatif de financement du Plan national de développement 2016-2020, notre gouvernement a mobilisé 15,4 milliards de dollars d’intentions de financement pour le secteur public et 19 milliards de dollars pour le privé. Les investisseurs ne font pas de projection sur des événements isolés et sporadiques. Ils apprécient la solidité d’un système sur le long terme. La confiance est forte parce que le système sécuritaire n’est pas en faillite et l’organisation des services est fiable. 
 
Une nouvelle directive impose des conditions d’entrée assez strictes aux ressortissants de l’UEMOA et de la Cedeao. La Côte d’Ivoire a-t-elle mis fin de facto à la libre circulation des personnes dans la zone ? Est-ce le début du retour des frontières en Afrique de l’Ouest ?
Il ne s’agit pas d’une nouvelle directive. Elle existe depuis plusieurs années. Ce que nous demandons, c’est la mise en oeuvre des mesures spécifiques liées aux documents d’identité biométriques et sécurisés. Les terroristes ont circulé avec de fausses pièces d’identité et de fausses cartes grises. Si nous avions disposé de données biométriques communes à la sous-région, nous aurions pu, peut-être, sauver la vie aux victimes de Bamako, d’Ouagadougou et de Grand-Bassam. C’est pour cette raison que nous avons multiplié les concertations au sein de l’Union du fleuve Mano (UFM, 13-14 mai 2016) et de l’UEMOA (27 mai 2016). Avant ces rencontres, les pays de la zone déjà victimes d’attaques terroristes s’étaient retrouvés à Abidjan (23-24 mars 2016).
 
La Côte d’Ivoire ne peut donc lutter seule ? Quels mécanismes de sécurité communautaires peut-on mettre en place ?
Aucun pays n’est en sécurité s’il ne se préoccupe que des problèmes à l’intérieur de ses frontières. La meilleure sécurité possible implique une gestion regionale et collective. Le terrorisme et la criminalité transfrontalière sont devenus des défis vitaux pour nos États. C’est pourquoi nous demandons une uniformisation des mesures relatives aux documents d’identité, de voyage et de circulation.
 
Pourquoi l’Afrique de l’Ouest est-elle devenue une cible du jihadisme ?
L’instabilité, le chaos en Libye et la présence de groupes armés au nord du Mali ont été des facteurs déterminants de la prolifération de cellules terroristes dans la région. Mais l’Afrique de l’Ouest n’est pas plus une cible que l’Afrique centrale, de l’Est ou le Maghreb, par exemple. Il faut reconnaître que la géographie spécifique de la zone, avec de vastes étendues désertiques, ne permet pas un contrôle facile.
 
Y a-t-il une spécificité du jihadisme en Afrique de l’Ouest ? Quelles sont les causes ?
La menace terroriste en Afrique de l’Ouest allie deux groupes que tout devrait opposer : les fondamentalistes religieux et les narcotrafiquants, qui ont fait converger leurs intérêts pour créer des nébuleuses qui menacent la stabilité de nos États.
 
Qui sont les assaillants de Bassam ? D’où viennent-ils ? Que « racontent » leurs parcours ?
Je tiens à féliciter nos services qui ont travaillé de façon efficace pour l’arrestation des auteurs et complices des attentats de Grand-Bassam. Nous avons une idée des commanditaires. Vingt personnes ont été arrêtées et traduites devant les tribunaux en Côte d’Ivoire et trois autres personnes ont été arrêtées au Mali. Ces individus sont tous venus de l’extérieur et se sont rencontrés au centre de réfugiés maliens de Mentao, au Burkina Faso, où ils ont été recrutés et radicalisés. Mais je ne veux pas en dire plus à ce stade de l’enquête.
 
Que peuvent apporter les puissances occidentales, la France, les États-Unis, dans cette lutte ?
Certains pays africains et occidentaux qui ont connu des attaques terroristes de grande ampleur ont développé une expertise cruciale dont nous avons besoin aujourd’hui. D’ailleurs, leur apport dans l’enquête sur l’attentat de Bassam a été déterminant.
 
En Europe et aux États-Unis, le débat sur sécurité et libertés publiques est particulièrement vif. Est-ce le cas en Côte d’Ivoire ?
Je vous rappelle la situation sécuritaire particulièrement dégradée dans laquelle se trouvait la Côte d’Ivoire au sortir de la crise post-électorale. Et pourtant, nous avons dès le debut posé comme principe fondamental la nécessité d’assurer la sécurité des populations tout en garantissant les droits et libertés, seuls capables de porter notre développement. Le terrorisme, bien que susceptible de modifier notre mode de vie, n’érodera pas nos principes démocratiques. Ils sont désormais ancrés dans notre pratique politique.
 
Vous êtes ministre de l’Intérieur. Avez-vous été politiquement fragilisé par les attentats ?
Les conséquences d’un acte terroriste sont gravissimes. Ce sont des citoyens qui sont meurtris, des innocents qui sont massacrés, un peuple qui est visé dans son ensemble. Ces drames qui touchent l’ensemble de notre communauté nationale ne doivent pas être le prétexte à des manipulations en vue de positionnements politiques. 
 
La Côte d’Ivoire a connu d’autres incident sérieux depuis le début de l’année : émeutes à Bouna, accrochages dans l’Est, résurgence des tensions dans les campus à Abidjan, etc. Peut-on parler d’un retour des tensions politiques dans le pays ?
Ce sont des événements tous distincts les uns des autres. Dans le cas de Bouna, le plus sérieux, la crise a été traitée. Il s’est agi d’un vieux conflit entre cultivateurs et éleveurs récurrent sur le continent. Le gouvernement a décidé de la création d’une agence de gestion foncière et d’une autre pour l’encadrement des éleveurs. Un dialogue intercommunautaire a été institué pour que ce type de différend soit plus efficacement géré et anticipé par le dialogue. Les comités de veille ont été réactivés afin de sensibiliser les populations et pour qu’elles ne fassent pas justice elles-mêmes.
 
La Côte d’Ivoire connaît une période de forte croissance économique, de reconstruction. Cela provoque-t-il des tensions sociales, de nouvelles inégalités ?
Au contraire. Une forte croissance permet la réduction de la pauvreté et une meilleure redistribution des richesses, un point central de la politique d’Alassane Ouattara. L’école gratuite pour tous, la couverture maladie universelle, les logements sociaux, la création d’emplois sont autant d’acquis réalisés en seulement cinq années de gestion du pouvoir d’État. Il y a des difficultés évidemment, mais le président de la République et son gouvernement travaillent d’arrache-pied à l’amélioration des conditions de vie de nos populations.
 
Les Nations unies ont voté fin avril la résolution 2282, qui annonce la fin des sanctions et reconnaît les importants progrès en termes de stabilisation. Pensez-vous que la Côte d’Ivoire s’est durablement éloignée des risques de fractures internes ?
Les Ivoiriens, comme ils aiment à le dire, « sont devant », c’est-à-dire qu’ils veulent avancer, se réaliser et vivre heureux. Les tensions et les conflits sont derrière. Le pays a institué un dialogue politique permanent entre tous ses acteurs politiques et entre tous ses fils. Nous continuerons sur cette voie afin de renforcer la cohésion nationale. La résolution 2282 en elle-même est la confirmation de tout ce que je viens de dire sur l’amélioration de la sécurité et de la stabilité.
 
Vous êtes un homme politique essentiel dans le dispositif gouvernemental. Certains disent que vous avez des ambitions élevées. D’autres soulignent que vous êtes déjà un « apparatchik », ministre presque sans discontinuer depuis… 2003. Et que vous devriez, vous aussi, laisser la place aux « jeunes ».
Ah, la question de la « retraite» ! Comme tout le monde, je n’y échapperai pas. La retraite est un moment positif où l’on peut se consacrer à ses proches. La force d’une nation tient dans la fait que toutes les générations ont des contributions à apporter. Cette chaîne intergénérationnelle est un gage de stabilité.
 
Que dites-vous à ceux qui spéculent (déjà) sur l’élection présidentielle de 2020 ?
Les spéculateurs, comme vous dites, vivent dans une bulle. La question ne se pose pas. Le président Ouattara a été très largement réélu pour un second mandat qui commence. Des grands projets politiques et économiques sont en cours. Il m’a fait confiance en me déléguant des charges importantes. Je travaille chaque jour pour mériter sa confiance et l’accompagner dans sa noble mission, celle du développement du pays et de la paix.