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Aux racines d’une nation

Par Alexandra Fisch - Publié en février 2017
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Du Paléolithique à nos jours, en passant par l’époque des grands royaumes, la Côte d’Ivoire a toujours été un important carrefour de populations et de migrations. Le début d’une histoire riche et complexe.

« Il était une fois une terre cosmopolite sur laquelle des peuples se sont retrouvés », chante Tiken Jah Fakoly dans le titre « Nationalité ». La Côte d’Ivoire est connue pour sa diversité, plus d’une soixantaine d’ethnies s’y sont « retrouvées » au fil des siècles. Et elle rassemble encore aujourd’hui bon nombre de ses voisins, Burkinabè, Maliens, Ghanéens, Guinéens, attirés par son dynamisme économique. Quelle est la genèse d’une telle nation ? Pour le savoir, il faut remonter les millénaires et fouiller le sol.
 
 
LES PREMIERS HOMMES
 
C’est l’éternelle question, celle de ses origines. La terre n’a pas révélé tous ses secrets et les archéologues ne donnent qu’une vision partielle de la vie il y a plusieurs millions d’années dans ce qui n’était pas encore la Côte d’Ivoire. Les sites témoignent d’une occupation vieille du Paléolithique, entre 120 000 ans et 40 000 avant J.-C. Il y a ceux d’Anyama et d’Attinguié, dans la région d’Abidjan. Les fragments d’armes (pointes de flèches, piques) mis au jour racontent une vie passée, celle des chasseurs-cueilleurs. Ce sont des nomades qui se déplacent dans la forêt à la recherche d’animaux et de baies, et qui ont aussi laissé des outils comme des grattoirs, des racloirs…
 
Les restes du Néolithique, avec ses haches en pierre polie et des poteries, sont plus nombreux. Il y a également ces mystérieux amas de coquillages sur les rivages de la lagune Ébrié et dans le pays éotilé. Ils contiennent des outils de pierre, des fragments de poteries, des ossements d’animaux. Leur signification reste mystérieuse. Les scientifiques pensent à des sépultures, à moins qu’il ne s’agisse des « poubelles » de ces « mangeurs de coquillage » ? Nul ne le sait. Seule certitude : il y a eu une présence humaine très ancienne sur le littoral, bien avant l’âge des métaux.
 
 
LES PEUPLES ANCIENS
 
Les sources écrites disponibles sont minimes, elles ne permettent pas de retracer le passé. La transmission se fait surtout par la parole, comme dans le reste de l’Afrique. Et les « traditions orales » expliquent l’origine des maîtres de la terre grâce aux mythes fondateurs. Lesquels font souvent appel à une divinité pour expliquer la présence des hommes. Comme chez les Agoua, installés dans la région d’Aboisso par un dieu suprême nommé Nynmian Kpili. Ou le mythe des Krobou, qui vivaient au ciel sous le joug d’un roi cruel, Adje Mangbou, et sauvés par un dieu bienveillant qui les a fait descendre par une longue chaîne dans la région de l’actuelle Agboville.
 
Chez les Dida, les sousgroupes les plus vieux sont les Ofontounhoué et les Guéhou de Divo. D’ailleurs, certains se désignent comme des « gogognoan » ou « anciens hommes ». Selon les récits, les ancêtres des Bété seraient, eux, un peuple de la forêt, les Magwé. Sur les rives de la lagune, des traces très anciennes de peuplement ont été trouvées. Les Brékégonin sont considérés comme les « aïeux » du pays ébrié. Les Pèpèhiri ont précédé les Alladian et les Ahizi. Et une histoire raconte que les Éotilé auraient émergé de la lagune.
 
Impossible de dire quel est le peuple originel. Une constante demeure cependant dans les mythes transmis de génération en génération : ce sont les Pygmées. Ils fascinent par leur origine inconnue, leur aura un peu magique. Ils sont reconnus par les autres comme les premiers habitants. Dans les récits des anciens, c’est ceux qu’on rencontre en arrivant. Un homme nomade, de petite taille, avec un teint plus clair et des cheveux roux ou bruns. Ils ne cultivent pas la terre, ils vivent en osmose avec la forêt dont ils tirent leur nourriture, leurs abris, leur médecine. Contrairement aux Pygmées de l’Afrique centrale, encore présents en communautés, ceux de l’Afrique de l’Ouest se sont fondus avec les autres peuples. Avec leur culture forestière, les Gagou s’en disent d’ailleurs les descendants.
 
 
PAS DE FRONTIÈRES
 
Difficile de dire qui habitait le territoire ivoirien durant le premier millénaire, les sources, peu nombreuses, concernent surtout la Préhistoire et la période postcoloniale. Les informations que l’on peut avoir retracent les nombreux mouvements migratoires liés aux grands empires. En effet, beaucoup ont pris la route, souvent poussés par leur sens du commerce, comme les marchands et les orpailleurs mandé à la recherche d’or et de noix de cola. Ils partent de l’empire du Mali au XIVe siècle, alors en pleine apogée sous le règne de Kankan Moussa pour descendre vers le sud. Ils suivent le tracé de routes commerciales séculaires. D’autres vont suivre, en vagues régulières, on parle d’« expansion mandé ». Aux XVIe et XVIIe siècles, des querelles de succession entre les héritiers de l’empire font fuir une partie de la population qui veut éviter les affrontements. Ils traversent les savanes, montagnes, fleuves. Les frontières sont alors surtout minérales.
 
À la fin du XVIIe siècle, des groupes abron quittent le royaume akan d’Akwamu (dans l’actuel Ghana). Ils vont vers l’ouest et s’arrêtent à Zanzan où ils fondent avec leur roi Tan Date le royaume du Gyaman. Deux autres grands groupes akan se déplacent. Les Agni s’installent vers la fin du XVIIe siècle au sud de la lagune Aby. Puis les Baoulé au XVIIIe siècle migrent en deux branches : les Alanguira, originaires du Denkira, après leur défaite contre les Ashanti, et les Assabou, qui fuient la querelle de succession de la Confédération ashanti du Ghana. Cet exode est marqué par la légende de la reine Pokou qui sacrifie son fils pour permettre aux siens de traverser la Comoé (voir pages suivantes). De nouvelles dynasties s’ancrent, s’agrandissant ou se réduisant au gré des conquêtes ou des défaites. Surtout, les liens se tissent, ces peuples se mêlant aux autochtones.
 
 
UN PUZZLE CULTUREL
 
Ces migrations et ces fusions ont donné naissance à quatre aires culturelles : l’aire mandé au nord-ouest, l’aire gour au nord-est, l’aire akan au sud-est et l’aire krou au sudouest. Chacune forme comme une grande famille d’hommes et de femmes qui ont en commun des langues, des traditions orales, des rituels, un mode de vie, une organisation sociale… L’aire mandé se divise en deux « sous-groupes » : les Mandé du Nord ou Manding et les Mandé du Sud. Elle regroupe entre autres les Foula, les Bambara, les Maninka, les Malinke, les Dan, les Toura, les Wenmebo, les Gouro, les Gban… L’aire gour est principalement composée des Sénoufo, des Koulango et des Lobi.
 
Dans la partie méridionale, l’aire akan réunit les Agni, les Abron, les Baoulé, les Gbomi, les Krobou, les Ébrié, les Éotilé… Et enfin il y a l’aire krou qui Les principaux royaumes du territoire ivoirien, à la fin du XIXe siècle : une multitude de peuples vivent les uns à côté des autres. « Quand on refuse on dit non », le roman plaidoyer d’Ahmadou Kourouma pour la diversité nationale. rassemble les Guéré, les Bété, les Dida, les Wobé, les Krou, les Godié…
 
Les noms des ethnies, groupes ou sousgroupes, pourraient s’égrainer à l’infini. Quand on regarde le tracé de ces aires sur une carte, il faut se rendre à l’évidence : le pays est un carrefour. Et la nation, une riche mosaïque aux innombrables racines. Le « vivre ensemble » n’est donc pas un nouveau concept mais bien un héritage qu’il faut sans cesse faire évoluer. Quant à déterminer quels sont les « véritables » maîtres de cette terre, on peut réfléchir aux paroles de la belle Fanta, personnage du roman inachevé d’Ahmadou Kourouma, Quand on refuse on dit non : « Toutes les ethnies se sont trouvées ivoiriennes le même jour, en 1904, lorsque, dans le cadre de l’AOF [Afrique-Occidentale française, NDLR], le colonisateur européen a précisé les frontières de la Côte d’Ivoire. »