Babimania
Mode, musique, argot… Tous les yeux sont rivés sur la capitale économique pour savoir quelle sera la prochaine tendance à adopter. Car Babi a définitivement la cote!
Ce qui est fascinant avec la Côte d’Ivoire, c’est de constater à quel point son développement fulgurant en moins de quinze ans a rendu le pays incontournable pour toute l’Afrique de l’Ouest, voire au-delà.
Pas seulement pour son attraction et les visiteurs business, happy few, et autres artistes qui s’y bousculent pour faire des affaires et la fête dans les centaines de restaurants, bars et hôtels – qui ont poussé à Babi comme des champignons.
Mais parce que l’ivoir’touch s’exporte, essaime, fait des petits aux alentours, tous domaines confondus. Babi est devenue la référence, le chic absolu. Et la Babimania atteint tout le monde – riches, pauvres, middle class. Dans l’ensemble de la sous-région, il faut faire comme à Abidjan pour être dans le vent, pour être un grand quelqu’un.
Dans la mode, déjà. C’est clairement là-bas que l’on donne le ton, pour le motif pagne et ses déclinaisons découpées sur les baskets, les escarpins, les chemises, les sacs à main. Pour les boubous sculptés, colorés et en matières fluides. Pour les coupes de cheveux et postiches travaillés, ou le retour de la coupe afro qui revendique fièrement l’africanité.
Dans la musique aussi, évidemment. En boîtes de nuit, à Ouaga ou à Bamako, on se déhanche sur du coupé-décalé ou encore sur les derniers flows de rap ivoire signés Didi B, Suspect 95, ou plus récemment Himra et ses paroles en mode nouchi hardcore.
Dans la parole, encore, évidemment: le fameux nouchi, ou parler de la rue, est incroyablement créatif, mêlant des anglicismes et des mots tirés de langues locales ou du français. Partout en Afrique, on frime en sortant des expressions comme «y’a pas drap» ou «je vais enjailler le coin». Preuve du rayonnement incroyable de cette langue, comme chacun le sait, la plupart de ses mots sont entrés au panthéon du Petit Robert de la langue française. Une «go», par exemple, pour désigner une fille, est un vocable tellement passé dans le langage courant, de Cotonou à Kinshasa, en passant par Yaoundé, que l’on se souvient à peine qu’il est né à Abidjan. Idem pour les «gros taux», autrement dit les gars fortunés que recherchent les «go». Ou encore, les «gaous», ceux qui se font avoir, un peu neuneus, immortalisés par le tube planétaire «Premier gaou» du groupe Magic System – sorti en 2000, mais toujours d’actualité côté influence: aucune cérémonie, mariage ou anniversaire ne se termine sans lui!
Et enfin, l’ivoir’touch, c’est aussi un style de vie, populaire, qui s’est répandu dans la plupart des pays qui entourent la Côte d’Ivoire: la tradition maquis. C’est le restobar en plein air où l’on se retrouve entre potes le soir pour refaire le monde. Souvent, il s’agit d’un bar où l’on commande une caisse de bières, avant de choisir un poulet ou un poisson sur l’étal d’une «braiseuse» placé utilement juste devant. La formule «deux en un» se retrouve aujourd’hui un peu partout ailleurs, à Douala ou à Lomé. Et plus largement, l’habitude de manger un plat au maquis avant de rentrer s’est exportée dans des contrées où l’on sortait boire un verre, mais pas forcément assorti d’un braisé-attiéké ou d’un riz sauce gombo. Même la petite marinade tomates oignons du poulet bicyclette made in Côte d’Ivoire a fait école au-delà des frontières. Et les fameux allocos, d’ailleurs, qui se souvient qu’ils ont été inventés en Côte d’Ivoire, parmi ceux qui les dégustent à Brazzaville, en accompagnement d’un saka saka? Bref, la Babimania s’est emparée de l’Afrique tout entière. Moi, je vous le dis! Lentement mais sûrement. Et c’est ça, le vrai soft power!