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Découverte / Côte d’Ivoire

Cap sur l’industrialisation !

Par Philippe Di Nacera - Publié en octobre 2023
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Une usine de cacao à San-Pédro. NABIL ZORKOT
Une usine de cacao à San-Pédro. NABIL ZORKOT

Devenue une priorité, la production est au cœur des enjeux économiques du pays. Certaines ont eu l’intuition de puiser dans les matières premières locales pour les transformer, et sont aujourd’hui de vraies pionnières.

Stéphanie Rabé, 34 ans, et Christelle Essim Egue, 39 ans, n’ont pas attendu pour se lancer. La première, avec sa marque Madame Rabé, propose aux Ivoiriens un de leurs fruits préférés, en réalité celui qu’ils consomment le plus: le piment. Passionnée de cuisine depuis toujours, elle décline depuis 2020 le «condiment de tous les jours», roi de l’assiette ivoirienne, sous toutes ses formes: en sauces, purées et même confitures… La seconde, agricultrice de profession, est une cheffe d’entreprise avertie. C’est en 2017 que commence l’aventure de ses préparations en poudre à base de céréales (comme le blé, le mil, le riz) ou de banane plantain, prêtes à l’emploi pour faire des beignets traditionnels frits (gbofloto, gnomi, galettes dans le pays, ou puff-puff au Nigeria et au Ghana). Il suffit d’ajouter de l’eau à la poudre vendue en sachets hermétiques, et la pâte à frire est déjà prête. Le gain de temps et d’hygiène, pour des gourmandises que l’on fabrique traditionnellement au coin des rues, est considérable. L’entreprise Merveille de la nature, qui porte la marque Madame Rabé, transforme plusieurs fruits et légumes. «Mais nous sommes principalement axés sur le piment», souligne Stéphanie Rabé. En tout, 18 produits sont proposés aux consommateurs. «J’avais pour vocation de transformer la matière première locale, celle que nous cultivons en Côte d’Ivoire.» L’entrepreneure s’approvisionne via un réseau patiemment tissé de coopératives de femmes, disséminées sur tout le territoire. «Nous les avons encouragées à se tourner vers la culture du piment, parce qu’elle est rentable. Et notre soutien permet à ces femmes de se structurer et de sortir peu à peu de la pauvreté.» Stéphanie Rabé a construit son business pas à pas. Au départ, elle travaillait dans sa cuisine «avec son mixeur». Aujourd’hui, elle est à la tête d’une unité, encore de petite taille, qui produit 1500 pots par mois et emploie neuf journaliers pour la production, auxquels s’ajoutent trois permanents qui assurent l’administration et le commercial. On trouve déjà ses produits dans les magasins Super U et dans des épiceries fines de la ville. Mais la jeune femme dynamique discute avec d’autres chaînes de grande distribution. Son but? Augmenter ses commandes et sa production pour passer à un stade industriel d’ici à deux ans et, dans cinq ans, construire une usine capable de fournir toute la sous-région et l’Europe. Son chiffre d’affaires est passé de 2 millions de francs CFA en 2020 à 18 millions en 2022. Elle vise les 45 millions en 2025, le milliard dans dix ans, sans oublier le titre de «leader de la transformation en Côte d’Ivoire».

Stéphanie Rabé, fondatrice de la marque Madame Rabé. NABIL ZORKOT
Stéphanie Rabé, fondatrice de la marque Madame Rabé. NABIL ZORKOT

Du côté de Christelle Essim Egue, c’est tout un groupe d’activités qu’elle porte. «J’ai fait de mes passions des entreprises», explique-t-elle. C’est ainsi qu’au sein du groupe PAM, on trouve une société agricole, une usine de transformation agroalimentaire, une entreprise de construction et un cabinet de décoration d’intérieur. Ses farines prêtes à l’emploi portent un nom symbolique: Bassy. C’est le prénom de sa fille, qu’elle a hérité de sa grand-mère, «une femme conciliante qui, au village, réglait les problèmes et rassemblait les gens». Une image forte pour des produits qui rappellent à beaucoup les beignets de leur enfance dégustés sur le chemin de l’école. «C’est l’esprit, les gens aiment faire nos beignets en famille. Ce sont des produits qui rassemblent.» Grâce à son procédé, la pâte, qui normalement doit reposer toute une nuit, est prête «en moins de 30minutes, et elle est si légère qu’elle absorbe beaucoup moins d’huile lors de la friture».

 

Elle a lancé ses recherches, développé cette idée en partenariat avec un centre de formation spécialisé en transformation, et attaqué le marché en septembre 2017 avec ses poudres à gâteaux. Depuis, ses préparations en sachets sont distribuées partout dans le pays à travers les supermarchés Prosuma, Carrefour et des boutiques artisanales, mais aussi au Burkina Faso, au Sénégal… Et en France, où les expatriés africains retrouvent avec Bassy un goût de leur pays d’origine. «Il n’est pas aisé de respecter toutes les normes exigées pour exporter notre produit, mais nous avançons grâce au soutien de la GIZ, une coopération allemande, qui nous a accompagnés dans notre processus de certification», dit-elle. En cinq ans, la marque s’est imposée. Elle s’appuie sur une unité de production semi-industrielle à Bingerville, qui produit 60 paquets par minute (5000 par jour) et emploie 13 personnes. Christelle Essim Egue travaille sur la création d’une unité d’huilerie afin de transformer la noix de palme en huile rouge de qualité. Dans dix ans, l’entrepreneure se voit à la tête d’une usine de 100 personnes, à explorer de nombreux autres secteurs d’activité.

 
Christelle Essim Egue, à la tête de l’entreprise Bassy. NABIL ZORKOT
Christelle Essim Egue, à la tête de l’entreprise Bassy. NABIL ZORKOT

Les deux femmes ont conscience de s’inscrire aujourd’hui dans la vision du gouvernement ivoirien. Christelle confie: «Mon produit, les préparations en poudre, a obtenu le Prix industrie 2018 de la Business Plan Academy de la CGECI [le patronat ivoirien, ndlr], dont le thème était “Cap sur l’industrialisation!” J’ai alors pensé que nous étions sur la bonne voie.» Elles ont fait stand commun début septembre au Village international de la gastronomie 2023, à Paris, où elles représentaient, parmi d’autres, le pays. Un événement qui, chaque année, rassemble des chefs cuisiniers, artisans et industriels venus du monde entier pour proposer, pendant trois jours, leurs savoir-faire culinaires aux dizaines de milliers de «visiteurs-goûteurs».