
Carlos G. Lopes
Le chanteur entre deux rives
Le chanteur Franco-Capverdien embrasse la richesse de sa double culture dans son dernier album. Avec son écriture poétique, il livre une critique sociale au rythme d’une musique nourrie des traditions de son archipel.

C’est une lumière, un ciel, la couleur de ses rêves, une géographie intérieure, l’azur de ses deux pays de cœur: son Cap-Vert natal, entouré par l’Atlantique, et la France, où il a grandi à Nice, en bord de Méditerranée. Avec son deuxième album, Azul («bleu»), le chanteur et compositeur explore la richesse de sa double culture, en créole et en français. Enracinée dans les expressions de sa terre natale, comme la douce mélancolie de la morna, l’énergie tellurique du batu que ou la fièvre dansante du funaná, sa musique déploie ses ailes pour se tisser à la pop, au rap, au jazz, à l’électro. Celui qui scande «La vie est belle / Quand la rime est créole» est l’héritier d’une tradition poétique, d’un art oratoire: enfant, il a été bercé par les métaphores et les formules de sagesse de son grand-père, poète du quotidien. Carlos G. Lopes sculpte ainsi son langage imagé, choisit ses mots pour alerter sur la dérive du monde gouverné par l’argent, ou confier sa sodade, sa nostalgie. «Je pense au Cap-Vert de mes origines, de mes aïeux. Je fantasme ce pays. C’est un mélange de tristesse et de joie. Par la musique, je photographie ces souvenirs, la vie nous filant entre les doigts.» Sur l’île de Santiago, il vit une enfance rurale et paysanne, où l’on se nourrit des récoltes – en priant le ciel pour que la pluie advienne –, où l’on apprend le respect de la nature, la patience. À 8 ans, alors que ses parents sont partis en France pour travailler, Carlos s’interroge: «Est-ce que ma mère voit les mêmes étoiles que moi ?» Il va vite trouver une consolation, et même une passion: la musique. Quand son oncle, émigré à Lisbonne, rentre au village avec des vinyles de Bob Marley sous le bras, c’est l’électrochoc: «Cette voix qui sortait de nulle part, ce disque qui tournait… Moi aussi, je voulais être écouté ainsi!» Après l’école, tandis qu’il ramasse la paille pour nourrir les bêtes, il fredonne les mélodies d’Alpha Blondy, Lucky Dube, Loketo, Pepe Kalle… À 10 ans, il rejoint ses parents à Nice. À la maison, la platine familiale diffuse les grandes voix africaines. Adolescent, il s’initie au clavier, prend des cours de chant, monte un groupe. Et enregistre une chanson dans une maison de la jeunesse et de la culture. À 20 ans, sa vocation artistique s’impose à lui: il quitte les bancs de la faculté de sociologie pour le conservatoire de musique, où il travaille d’arrache-pied. «J’ai compris l’importance de l’effort, de la rigueur, de l’assiduité pour progresser. Il ne s’agit pas juste de talent», observe l’artiste qui a aussi appris de ses parents : «Ils m’ont transmis la valeur du travail. Ma mère se levait à 5 heures du matin et rentrait à 19 heures. Mon père était en déplacement, rentrait le week-end. J’avais conscience qu’ils se démenaient pour nous; je devais assurer.» Jazz, musiques actuelles, puis chant lyrique… Sa voix se forge, se métamorphose. Et il poursuit ses études au conservatoire de Paris. En 2017, il enregistre un premier album, Kanta Pa Skece («chanter pour oublier»). Aujourd’hui, il a à cœur de transmettre son art à des enfants défavorisés au Cap-Vert, auxquels il manque l’accès à l’enseignement musical: «J’aimerais qu’ils découvrent la joie de s’exprimer en public.»