Chez le roi-dieu
Le pays bamiléké, qui couvre une centaine de microroyaumes, est dirigé par le fô. Un homme aux pouvoirs étendus.
Surtout, ne jamais les regarder dans les yeux et éviter tout contact physique avec eux. Eux, ce sont les Kougang, une confrérie mystique du pays bamiléké, dans l’Ouest. Ils sont craints pour leurs redoutables pouvoirs et ne sortent qu’à de rares occasions : grandes parades royales, funérailles d’un des leurs. L’appartenance à ce groupe est secrète : lors de leurs apparitions, ils portent de longues tuniques qui arrivent aux chevilles et des masques sculptés ou tissés qui couvrent leur tête. Chargée de protéger les villages contre les mystiques malfaisants, la confrérie organise des séances impromptues d’exorcisme pour débusquer les sorciers. Une sorte de police secrète, pourrait-on dire, à la différence de la confrérie Mendjon, chargée de livrer la guerre aux ennemis extérieurs.
Au pays bamiléké, ces confréries sont les garantes des pouvoirs et de la stabilité du fô – le chef traditionnel, souvent considéré comme un roi. Ce dernier peut créer plusieurs confréries chez les notables les plus influents, à condition que ceux-ci soient issus d’ascendants initiés. Dans chaque communauté existent plusieurs sociétés secrètes, dont le fonctionnement a pu rester inconnu jusqu’à ce jour – les membres ont l’interdiction absolue d’évoquer la vie interne des confréries. Le fô dispose de pouvoirs spirituels et mystiques reconnus par les populations. Juge suprême dont les décisions sont exécutoires, il est néanmoins tenu de veiller au bien-être de la communauté, faute de quoi il pourrait payer de sa vie : les ancêtres chargés de la bonne marche du royaume peuvent le « punir ». Lors de ses rares apparitions publiques, les courtisans, dans un état proche de la transe, se lancent dans de longs dithyrambes, dansent et chantent la gloire de « l’animal féroce que même le chasseur intrépide n’ose pas attaquer ». C’est aussi à ce moment que les notables de la contrée viennent s’incliner devant lui, le couvrir de louanges en tapant des mains pour implorer son attention, tandis qu’il reste impassible. Un simple hochement de tête du fô à la cadence des tambours déclenche l’hystérie : le roi a dansé.
FORMATION ACCÉLÉRÉE
Si le chef peut écouter à sa convenance les conseils de divers notables qu’il désigne pendant son règne, il est, dans sa gouvernance quotidienne, entouré d’un collège de neuf autorités inamovibles qui joue le rôle de gouvernement, tient lieu de contre-pouvoir et de gardien des lois. Un second groupe de sept personnes joue un rôle essentiellement mystique. Seul le collège peut contredire le chef lors des délibérations secrètes. Ses neuf membres sont réputés avoir des pouvoirs mystiques dans leur domaine, qu’il s’agisse de défense, de justice ou de diplomatie. Ce sont eux qui procèdent à l’arrestation publique du nouveau chef choisi par le défunt dans sa descendance, qui l’initient pendant le laakam (retraite de neuf semaines où le futur chef est formé aux mystères du royaume avant son investiture) et qui, à sa mort, l’enterrent avec une précipitation dont les fondements restent mystérieux. C’est la raison pour laquelle personne n’aurait jamais vu le cadavre d’un fô.
Le laakam est une véritable formation accélérée à la gestion du pouvoir. On verra un jeune homme ordinaire en ressortir métamorphosé, rayonnant d’autorité et de puissance, prêt à diriger les sociétés secrètes les plus redoutées. Jusqu’à son arrestation par le collège des neuf, le futur chef ne se doute généralement de rien. Il est arrivé, depuis la période coloniale, que des chefs peu soumis à l’administration soient démis et remplacés par des collatéraux conciliants. Ces changements n’ont aujourd’hui plus cours, mais dans bien des cas, quand vient l’heure de la succession à ces chefs imposés, la querelle de légitimité renaît.
OMNIPRÉSENCE DES ANCÊTRES
Une autre communauté de cette région du Cameroun s’est distinguée par l’originalité de sa culture politique. Il s’agit du royaume bamoun, dirigé par un sultan. Ce territoire, dont la capitale est Foumban, a été fondé en 1394 par un prince tikar nommé Nsharé Yen. L’organisation de la cour est en plusieurs points semblable à celle des Bamilékés, avec des notables influents et dotés de réels contre-pouvoirs. Lors du Nguon, festival biennal du peuple bamoun célébré depuis la fondation du pays, le souverain est temporairement déposé et son action, jugée sans complaisance. Il recouvre son trône par la suite, non sans avoir pris bonne note des critiques et des exigences du peuple. Au cours de son histoire, cette population s’est surtout fait connaître par la créativité de ses artisans, qui réalisent des objets en bois, en bronze ou en cuivre dont la grande qualité est appréciée jusqu’à l’étranger. Les sultans, eux, ont développé un art de la guerre qui leur a permis de conserver et de sécuriser ce territoire fertile pendant près d’un millénaire. Le plus connu est Ibrahim Njoya, qui a régné de 1887 à 1933 et a inventé, à la fin du XIXe siècle, un alphabet, une langue (shü-mom), une religion (nwet-kwete) et un moulin à maïs.
Sur le plan religieux, les Bamilékés sont monothéistes et s’adressent à Dieu par le biais de leurs ancêtres, dont ils gardent précieusement des ossements, en général un crâne. Chaque famille qui en a la possibilité construit une case sacrée où les reliques de ses ascendants sont conservées sous une légère couche de terre. Il est ainsi aisé de remonter la généalogie des familles, mais aussi de tenir des cérémonies religieuses, notamment le dépôt d’offrandes sur l’emplacement des restes d’un ancêtre précis. Les défunts demeurent donc présents dans la vie quotidienne des populations afin d’aider… ou de sévir.