Aller au contenu principal

Claudia Cardinale, initiales C.C.

Par Michael.AYORINDE - Publié en février 2011
Share

Il est vrai que, sur le plan professionnel, le destin lui a réservé le meilleur : la petite Tunisienne devenue icône du 7e art italien, a tourné sous la direction de Visconti, Fellini, Bolognini, Comencini ou Sergio Leone. Le cinéma français l’a courtisée, Hollywood aussi. Elle a eu pour partenaires Marcello Mastroianni, Vittorio Gassman, Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Henry Fonda, Omar Sharif. Au total, une centaine de films. Pas un festival qui ne la réclame pour lui rendre hommage, ce qui ne l’empêche pas de poursuivre une carrière qui la ramène, cette année, de l’autre côté de la Méditerranée, au Maghreb. Après Le Fil, de Mehdi Ben Attia, un film sur l’homosexualité, tourné en Tunisie il y a quelques semaines, elle rejoindra bientôt Nicole Garcia qui va réaliser Un balcon sur la mer, à Agadir, avec Jean Dujardin, avant de commencer les prises de vue du Premier homme, de Gianni Amelio, d’après Albert Camus, en Algérie. Finalement, elle n’a qu’une seule nationalité : le cinéma. Pourtant, tout la ramène vers les jasmins de cette Tunisie qu’elle n’a jamais quittée, ce qu'elle raconte avec douceur et nostalgie dans un livre de souvenirs publié récemment, Ma Tunisie. On n’échappe pas à son enfance…

AM : Pourquoi ce livre sur la Tunisie ?
CLAUDIA CARDINALE : J’ai toujours dit que mes racines étaient en Tunisie. Je n’en suis jamais partie. C’est là que je suis née, même si je suis de nationalité italienne. Ma famille est d’origine sicilienne, du côté de Palerme. Mon grand-père avait quitté son pays en barque pour construire des bateaux à La Goulette. À l’époque, on disait la Petite Sicile, car il y avait beaucoup de Siciliens. Mais il y avait aussi des Russes, venus après la révolution, des Autrichiens, des Maltais. C’était un endroit multiculturel. En revanche, la Tunisie étant encore un protectorat français, on parlait la langue de Molière, y compris à la maison. On ne revendiquait pas nos racines. Moins de dix ans après la fin de la guerre, l’Italie restait pour beaucoup de Français un pays fasciste qui avait pris le parti de l’Allemagne. On faisait profil bas...

Où êtes-vous née ?
À Tunis même. En plein centre. Mes parents habitaient avenue Jules-Ferry (avenue Bourguiba). Nous habitions au Foyer des combattants, là où il y avait tous les militaires, mon père avait ses bureaux en face. On est ensuite allé du côté de l’aéroport, où nous avions une maison sur la plage. Puis, on s’est établi au 20, rue de Marseille.

Quel genre d’éducation avez-vous connue ?
Assez stricte. Quand on sortait avec ma soeur, nos petits frères, Bruno et Adrien, se cachaient derrière les arbres pour savoir si on allait bien là où l’on devait aller. Ils jouaient les surveillants. J’ai toujours pensé qu’ils étaient missionnés par nos parents, même s'ils ne l’ont jamais avoué.

À l’époque, vous étiez plutôt un garçon manqué.
Je n’étais jamais avec les filles, je détestais leurs simagrées. Les bagarres ne me faisaient pas peur, je lançais mon cartable sur les mecs ; du coup, mon père m’avait fabriqué un cartable en bois ! D’ailleurs, je porte un prénom androgyne : Claude. C’est quand je suis arrivée en Italie que l’on a commencé à m’appeler Claudia.

Qui était alors votre modèle ?
Brigitte Bardot. Pour moi, c’était la déesse. On l’imitait toutes. On se coiffait comme elle, avec des mèches. On s’habillait comme elle : je teignais mes jupes en noir en cachette de mes parents. Une jeune fille habillée en veuve, cela suffisait pour provoquer le scandale. Je faisais en sorte de voir tous ses films, même si papa ne voulait pas trop qu’on aille au cinéma. Ce qui est magnifique, c’est que trente ans après on a joué ensemble dans Les Pétroleuses. Un moment magique. Tous les paparazzis étaient venus sur le tournage, en Espagne : ils pensaient que « BB » et « CC » allaient se déchirer. Ils en ont été pour leurs frais, on n’a pas arrêté de rigoler.

Pour vous, tout a commencé par le concours de la plus belle Italienne de Tunis.
Une toute petite fête de bienfaisance, organisée par le consulat italien, à la Tour blanche, à Gammarth, au nord de Tunis. Un tas de jeunes filles s’étaient présentées, j’étais venu accompagner ma mère, je devais l’aider à vendre ses enveloppes de tombola, on m’a poussée sur la scène malgré moi et j’ai été élue. Sans m’être présentée ! En récompense, on m’a offert un séjour à Venise, pour la Mostra. J’y suis allée, avec ma mère, habillée à l’africaine avec une djellabah et un burnous mais, l’après-midi, sur la plage de l’Excelsior, là où se retrouvaient les gens de cinéma, j’avais un bikini, ce qui n’existait pas encore en Italie. Tous les paparazzis se sont rués sur moi ! Je suis rentrée à Tunis, et tous les producteurs ont commencé à harceler mon père de télégrammes pour me faire signer des contrats. Mais j’ai refusé pendant très longtemps.

Pourquoi ?
Parce que je voulais être institutrice ! Et puis, je voulais rester en Tunisie. J’avais envie de vivre dans le désert. Ils ont tellement insisté que j’ai fini par suivre les cours du Centre expérimental du cinéma, à Cinecitta. Mais j’en ai vite eu assez. Mais l’un des plus grands journalistes italiens, qui m’avait rencontrée au Centre, a fait, sur moi, la couverture d’Epoca, qui était l’équivalent italien de Paris Match, sous le titre : « La fille qui refuse de faire du cinéma ».

Comment le cinéma vous a-t-il rattrapée ?
J’ai continué à refuser pendant très longtemps. Mon père, réticent au début, se laissait fléchir. D’ailleurs, qu’allions-nous devenir dans la Tunisie indépendante ? En fait, j’avais de gros problèmes personnels à ce moment-là. Je n’avais goût à rien, j’étais au fond d’un gouffre (Claudia Cardinale a été violée à 16 ans, comme elle l’a révélé dans Moi, Claudia, toi, Claudia, Grasset, 1995, ndlr).

Qu’est-ce qui vous a fait accepter ?
Le fait de tomber enceinte. J’avais besoin d’être indépendante. Je voulais assumer mes responsabilités. J’ai arrêté mes études au collège Paul-Cambon et je suis partie en Italie. Je l’ai vraiment fait pour mon fils Patrick ! Maman m’a accompagnée...

Le cinéma a donc été une fuite ?
Une bouée de sauvetage : j’étais devenue introvertie, le cinéma m’a permis de m’exprimer. J’ai signé un contrat d’exclusivité, à l’américaine, avec la plus grande société de production italienne, et j’ai tourné Le Pigeon, de Pietro Germi, avec Mastroianni, Gassman, Toto, etc. J’avais un tout petit rôle, mais le film a fait le tour du monde...

Vous aviez appris l’italien, entre-temps ?
Je le parlais très mal. Quand j’étais arrivée en Italie, j’avais l’impression que tout le monde se disputait, tellement les gens parlaient fort et gesticulaient avec leurs mains. C'est pourquoi j’étais doublée. Cela ne gênait pas les metteurs en scène : à l’époque, en Italie, les films étaient tous post-synchronisés. Le son direct n’existait pas, ce qui fait que je n’avais pas la même voix d’un film à l’autre. C’est Fellini qui m’a rendu ma vraie voix dans 8 1/2. J’avais d’ailleurs un accent français épouvantable...

Dans les années 1960, vous retourniez régulièrement en Tunisie ?
Mon père, mes frères et ma sœur sont venus s’installer en Italie au moment de l’indépendance. Bourguiba a été un homme exceptionnel : il a donné aux femmes leur liberté. Il leur a enlevé le voile. Je retournais régulièrement en Tunisie avec ma mère. Mon père ne nous accompagnait pas : il n’est jamais retourné en Tunisie après l’indépendance. Il était trop triste d’avoir dû quitter son pays.

À un moment, vous êtes partie pour Hollywood...
Paul Newman m’avait loué sa maison, j’avais beaucoup d’amis là-bas, à commencer par Rock Hudson. Mais je trouvais la vie un peu rigide : chauffeur, etc. On ne pouvait pas aller à pied. Je voulais bien y aller pour travailler, mais je ne voulais pas y vivre. Mais j’ai fait de beaux films là-bas, comme Les Professionnels, de Richard Brooks.

Depuis quand vivez-vous à Paris ?
Une vingtaine d’années. Ma culture est française. Je me suis installée à Paris avec mon compagnon, Pascuale Squitieri, quand ma fille avait deux ans. Il voulait qu’elle ait une éducation internationale. Pascuale vit désormais à Rome, car il a beaucoup de travail là-bas (il est réalisateur et metteur en scène de théâtre, ndlr). On s’appelle tout le temps, mais on ne se voit pas souvent. On est très indépendants...

Vous vous sentez tunisienne ? italienne ? française ?
Les trois. Mais mes racines sont à Tunis. Il n’y a pas un premier de l’an où l’on ne mange pas le couscous...

Vous avez une certaine nostalgie ?
Je ne suis pas nostalgique, je ne regarde pas derrière moi, je vis le moment présent, mais j’adore les bougainvillées sur les maisons blanches aux volets bleus de Sidi Bou Saïd...

Vous n’avez pas de maison là-bas...
Non, mais j’y pense ! Le problème, c’est que je ne prends presque jamais de vacances. J’ai toujours quelque chose à faire.

Propos recueillis par Bertrand Tessier.