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Editos

Dans l'obscurité

Par Zyad Limam - Publié en mai 2024
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DRR
Vue nocturne de la ville de Nairobi, capitale du Kenya. Antony Trivet Photography 

On parle souvent d’émergence, de futur, de croissance... Malgré ce flot de bonnes paroles et d’espérances (légitimes), quelques vérités devraient pourtant s’imposer comme un préalable. Exemple: l’Afrique est un continent sans énergie. Au sens propre comme au sens figuré. Nous consommons autour de 5% de l’énergie primaire mondiale, alors que nous représentons 20% de la population. Aujourd’hui, malgré les rattrapages et les investissements, près de 60% du continent n’ont pas accès à l’électricité, soit plus de 600 millions de personnes, dont la très, très grande majorité en Afrique subsaharienne. Les trois quarts des Africains n’ont toujours pas accès à des moyens de cuisson propres. La puissance globale installée est aux alentours de 200 GW, 131,5 GW pour l’Afrique subsaharienne et 68,25 GW si l’on ne prend pas en compte l’Afrique du Sud. La France, à elle seule, représente 150 GW. L’Inde, dont la population est quasi équivalente à celle de l’Afrique et où la situation énergétique reste fragile, produit près de 430 GW. On mesure notre immense retard.

Cette obscurité permanente pèse dramatiquement sur le développement, la croissance, la qualité de vie des gens, en particulier des plus démunis. Les coupures de courant, qui durent parfois plusieurs jours, sont une réalité dans la plupart des grandes villes, perturbant les commerces, les usines, les hôpitaux, toute la chaîne d’activités. On pense avec tristesse à ces images d’enfants se regroupant avec leurs livres et cahiers sous les lampadaires publics (pour ceux qui sont allumés...). Comment industrialiser, comment investir, comment produire plus et mieux si l’énergie est absente ou si elle est l’une des plus chères au monde ? Comment favoriser le développement des nouvelles technologies, des data centers, de l’intelligence artificielle, particulièrement gourmands en énergie?

Nous sommes comme un géant sans force, dévitalisé. La population d’ici 2040 devrait atteindre 2,1 milliards de personnes, tandis que l’exode rural et l’évolution conduiraient un demi-milliard d’habitants à s’installer en zones urbaines. La demande énergétique et électrique va croître d’au moins 60% d’ici 2030. Et il faudrait près de 30 milliards de dollars d’investissements chaque année dans la production, les réseaux, les solutions hors réseau pour réduire drastiquement la précarité énergétique. Le défi est phénoménal.

Nous ne sommes pas sans solutions. Comme dans d’autres secteurs, l’Afrique est potentiellement riche. Riche d’au moins 125 milliards de barils de réserves de pétrole et 18 trillions de mètres cubes de gaz naturel. On connaît le débat actuel sur la question des combustibles fossiles et l’impact sur le change- ment climatique. Il est légitime. Mais il doit être adapté à nos réalités et à nos urgences. Nous produisons peu de gaz à effet de serre, et nous sommes déjà les premières victimes de phénomènes générés par d’autres (Américains, Chinois, Canadiens, Européens...). On ne peut pas empêcher un continent entier de s’appuyer, au moins transitoirement, sur ses ressources fossiles.

Les deux objectifs accroître l’accès à l’énergie, tout en atténuant les changements climatiques devraient être considérés comme complémentaires plutôt que contradictoires. Parce que l’Afrique est aussi propriétaire, à terme, d’une part conséquente du potentiel énergétique renouvelable mondial (10 TW de solaire, 35 GW d’hydroélectricité, 110 GW d’éolien et 15 GW de géothermie). Le continent pourrait produire 5000 mégatonnes d’hydrogène par an, selon l’AIE (Agence internationale de l’énergie). Nous sommes aussi propriétaire de 40% des minéraux stratégiques nécessaires à la décarbonation. Malgré nos limites, nous sommes déjà engagés sur ce chemin, et nous sommes engagés à quintupler notre production renouvelable d’ici 2030.

Les clés d’un tel changement systémique sont connues. L’Afrique a besoin de financements massifs et de transferts de technologies accélérés. Les pays riches et pollueurs doivent assumer totalement leurs responsabilités, au-delà des belles déclarations d’intention. Les États africains doivent assumer leurs obligations en planifiant et développant, dans la mesure de leurs moyens, leur puissance installée. En proposant des projets viables. En assurant la bonne gouvernance et la transparence.