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C’EST COMMENT ?

DÉGUERPIR ?

Par Emmanuelle Pontié - Publié en juin 2019
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« Déguerpissement » est un mot qui est entré dans la langue officielle de tous les pays africains, avec un sens détourné. Littéralement, « déguerpir » signifie prendre ses jambes à son cou. Mais dans nos capitales, il veut plutôt dire : abandonner son logement de force, construit sur un emplacement illégal. Finalement, l’expression est bien trouvée.
Libreville, Ouaga, Douala, Conakry… Absolument aucune grande ville du continent n’a échappé dans son histoire contemporaine à ces grandes vagues d’assainissement, décrétées subitement par un gouvernement qui doit lutter contre l’engorgement et l’insalubrité, élargir les routes, tenter de moderniser la cité, absorber une démographie galopante. Les bidonvilles et autres échoppes de fortune qui jalonnent les artères doivent disparaître. Sur le papier, les pauvres gens désargentés ou les bons gros filous qui ont profité du système archi-corrompu de l’attribution de parcelles sont relogés ou dédommagés. Dans la vraie vie, ils ne le sont généralement pas. Et doivent en effet littéralement déguerpir, baluchon sur le dos.
Certes, la plupart n’ont pas de titres fonciers et se sont installés à la sauvage sur des terrains qu’ils se sont d’office appropriés, en construisant dessus à la va-vite une masure ou une belle maison. Mais bon nombre d’entre eux l’ont fait au nez et à la barbe de tout le monde, sans se cacher, souvent en bord de route. Durant des années, on les a laissé prospérer en toute illégalité. Aussi, lorsque l’on vient brutalement inscrire une croix à la craie sur leur mur, en guise de mise en demeure avant démolition de leur « bien », il est normal que l’indignation les gagne. Que faire donc ? Détruire pour moderniser une capitale, au risque de mettre une cohorte d’habitants sur le trottoir, ou laisser faire en continuant à gérer les cités à la mode du Moyen Âge en plein XXIe siècle ?
La réponse est évidente : il faut avancer, assainir, et donc déguerpir. Mais il faut arrêter de se contenter de procéder aux expulsions pures et dures, sans se soucier de la mise en place effective de relogements. Et surtout, il faut veiller dans le même temps à mettre de l’ordre dans le cadastre, lutter contre la corruption passive ou active des fonctionnaires concernés, stopper les attributions fantaisistes de faux titres de propriété, et enrayer ainsi, dès le début, le phénomène des maisons champignons qui repoussent immédiatement quelques mois plus tard, un peu plus loin. Moderniser une capitale, c’est d’abord moderniser les mentalités. Penser une cité doit être un exercice global. Et les déguerpissements prendront alors tout leur sens.