DÉPÉNALISATION DE L'HOMOSEXUALITÉ EN AFRIQUE, PARLONS-EN !
Par Michel Togué. Avocat au barreau du Cameroun et consultant en droits de l'homme.
Travaux forcés, emprisonnement ou même peine de mort : sur le continent, 37 pays la répriment encore. Il est plus que temps que les mentalités - et les législations - évoluent...
La définition de l’homosexualité n’est pas aisée eu égard aux passions qu’il a déchaînées depuis l’existence de l’humanité. L’homosexualité est le désir, l’amour, l’attirance ou les relations sexuelles entre personnes de même sexe, selon une perspective comportementaliste ou empirique. C’est également un goût, une orientation sexuelle, selon une perspective psychologique ou sociologique. Par opposition à l’hétérosexualité, l’homosexualité est ainsi vue comme une appétence sexuelle anormale
Mais cette définition ne fédère pas toutes les tendances, en raison de l’existence des personnes pratiquant à la fois l’homosexualité et l’hétérosexualité. Aussi, le psychiatre américain Judd Marmor propose comme définition de la personne homosexuelle : « une personne qui, durant sa vie adulte, manifeste une préférence pour des personnes de son propre sexe, est sexuellement attirée par ces personnes et a habituellement, mais pas nécessairement, des relations sexuelles avec une ou plusieurs de ces personnes. »
L’histoire renseigne que l’homosexualité dans toutes ses formes a toujours été connue de l’Afrique, et ce, bien avant l’avènement des « missions civilisatrices ». Selon les cultures et les coutumes, elle est plus présente dans certaines régions que d’autres, ainsi que l’aborde le sociologue camerounais Charles Gueboguo. Celui-ci va au-delà de ces définitions et distingue deux sortes d’homosexualités à savoir : l’homosexualité identitaire et la pseudo-homosexualité ou encore homosexualité situationnelle. Pour cet auteur, l’homosexualité identitaire « désigne l’orientation sexuelle chez un individu ayant une attirance explicite ou non pour les personnes de son sexe et qui, après une série d’étapes psychosociologiques, parvient à la reconnaissance et l’acceptation de son identité en tant que homosexuel » alors que la pseudo-homosexualité ou encore homosexualité situationnelle « désigne une forme d’homosexualité basée sur l’activité sexuelle exclusivement, et qui imite le plus souvent les rapports hétérosexuels ».
Dans 77 États au monde, les personnes LGBTI (lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, intersexes) s’exposent à la prison, la torture ou aux travaux forcés. Dans dix pays, l’homosexualité est passible de la peine de mort. En Afrique, 37 pays pénalisent l’homosexualité. Seulement, l’implémentation de la loi est différente d’un pays à un autre, d’où l’observation des arrestations récurrentes des personnes LGBTI dans certains pays plus que dans d’autres – comme au Cameroun qui s’est illustré ces dernières années par la recrudescence des arrestations et la marginalisation de cette catégorie de citoyens.
Les fondements de cet engagement à la « chasse à l’homosexuel » restent divers et varient en fonction des tendances. La première, probablement la plus grande, estime qu’il faut respecter les croyances et les convictions d’un pays et de sa société et comprendre que tous les pays ne sont pas identiques. Au rang de ces croyances et convictions se trouveraient le code de la famille, la culture et la civilisation. Le respect de ces critères garantirait des valeurs propres, cette fois non seulement au pays, mais parfois à tout un continent – l’Afrique, en l’occurrence.
Les tenants de cette thèse exhibent une « africanité » pure se démarquant de la « perversion répandue des sociétés occidentales », qui essaient par le biais d’un certain néocolonialisme à imposer leur « goût » aux Africains, entravant pour ainsi dire leurs traditions et cultures. Ainsi, d’ailleurs, l’homosexualité serait venue de l’Occident et violerait les bonnes mœurs en Afrique.
Une analyse plus approfondie, toutefois, de la notion de « morale », renvoie au relativisme et non à l’universalisme. Autrement, réprimer un comportement social au prétexte qu’il est contraire aux bonnes mœurs semble plus difficile à soutenir qu’à éviter, d’où la fragilité de cette réflexion qui ignore que le pays où la société est un ensemble que composent plusieurs personnes ayant des choix personnels parfois différents, du point de vue de la religion, des habitudes alimentaires et donc aussi des choix de la sexualité.
Et puis, le monde étant devenu un village planétaire, il serait difficile de cerner les « prétendues valeurs propres » à un continent ou à un pays. Davantage l’adhésion à la civilisation de l’universel par l’adoption des textes et conventions internationaux par les pays du monde les prépare à une sorte de tolérance. Il existe dans les mêmes continents – dont l’Afrique – des pays dont les législations se sont affranchies de tels infractions. Et puis, comment peut-il y avoir des valeurs continentales protégées par les uns et ignorées des autres?
À cette tendance se greffe une autre, presque similaire, mais motivée par la religion. Appelons cette tendance « les puritains » qui considèrent que l’homosexualité serait un péché à la loi de Dieu. Inspirées des anciennes justifications de l’impureté et du rejet de l’homosexualité comme un péché, nombre d’églises sont à la base de la poussée homophobique en société. Mais on demandera en vain à ces dernières le mandat reçu du Divin pour poursuivre et réprimer les « infractions » à la loi divine, ou bien le pouvoir de vouloir imposer même aux athées la loi de Dieu !
Plus « légaliste », une troisième tendance indique que l’homosexualité est un délit et qu’enfreindre la loi conduira à coup sûr à la rupture de l’équilibre social, appelant de facto et de tous leurs vœux, le procureur de la République – avocat de la société – à faire cesser le trouble à l’ordre social .
Cette tendance, comme la première, coince sur la matérialisation de l’infraction. En effet, la loi punit généralement un comportement et non une attitude. Le code pénal du Cameroun par exemple punit en son article 347 bis le fait d’avoir des rapports sexuels avec une personne de son genre. Autrement dit,il s’agit plus de punir celui qui commet un acte d’homosexualité que celui qui est homosexuel.
D’où la grande difficulté à réunir les éléments constitutifs de l’infraction qui intègrent non seulement les éléments légaux et moraux, mais bien plus l’élément matériel (le fait d’avoir des rapports de sexe avec le même genre).
D’ailleurs, dans plusieurs affaires dites d’homosexualité, il semble plus difficile pour le procureur de la République, accusateur universel, de démontrer que les personnes ont été prises en flagrant délit, c’est-à-dire sur le fait. Les examens anaux constituent l’indice phare relevé régulièrement par les forces de l’ordre chargées de l’enquête préliminaire, pour retenir les suspects dans les liens de la commission de l’infraction d’homosexualité.
En effet, à l’arrestation des suspects, une réquisition à médecin est prise et permet ainsi à ce professionnel de la santé de scruter l’anus des personnes pour indiquer en tant qu’expert, le degré d’activité à laquelle est livrée cette partie du corps humain. Mais l’on peut s’interroger sur la valeur scientifique véritable de ces examens, en ce sens que la forme de l’anus ne constitue pas une preuve déterminante ni suffisante d’homosexualité. Selon les médecins légistes, seule la présence de sperme dans ces parties peut prouver l’acte sexuel ; or cela suppose une pénétration non protégée.
Dans les faits, les médecins se contentent de prendre des photos de l’anus, ce qui rend leur expertise d’une incertitude totale, tout en constituant une atteinte aussi inutile qu’immorale. L’expertise du médecin sert donc en fin de compte principalement à intimider le suspect et à l’amener à avouer qu’à déterminer son homosexualité, ne permet en aucun cas de déterminer la pratique du coït anal consensuel.
Le caractère intrusif de cet examen peut refléter une intention de punir et/ou d’humilier la personne examinée, équivalant à un traitement cruel et inhumain, ce qui constitue une violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que de la Convention contre la corture toute chose mettant en péril la dignité d’être humain.
Aussi, s’il faut absolument parvenir à prouver l’homosexualité d’une ou de plusieurs personnes, il faudrait s’introduire dans leur domicile privé ou ce qui en tient lieu, ceci en violation d’autres textes de lois qui protègent la vie privée et le domicile.
Et puis, à quoi servirait de maintenir dans son arsenal juridique, une infraction qui non seulement remet en cause le droit de punir, ne protège en réalité aucune victime et crée même des victimes parmi les citoyens ?
Par la sanction, chaque société devait pouvoir se prémunir contre les justices personnelles, afin d’éviter que ne se propage le poison social de la vengeance. La priorité a donc souvent été de neutraliser le criminel, de l’écarter de la société et de ses victimes. Puis, d’utiliser cette sanction comme un outil de prévention pour que celui qui a commis un crime ne le commette plus ; pour que tous ceux qui souhaiteraient le commettre en soient dissuadés. Enfin, et au-delà du criminel, c’est aux victimes que les sociétés s’adressent en condamnant leurs bourreaux, pour ainsi apaiser leur désir naturel de vengeance.
Autrement dit, il faut punir celui qui a péché, afin qu’il ne pèche plus. Appliquée à l’homosexualité, cette théorie de la peine perd son sens et son contenu, en ce que le séjour dans un pénitencier d’une personne ayant une orientation sexuelle différente influencerait moins son orientation sexuelle, quelle que soit la durée de ce séjour. L’expérience commande d’ailleurs de réaliser que l’effet contraire peut être facilement obtenu.
Dans les procès en homosexualité, les parties civiles sont presque inexistantes, en raison de ce que personne ne souffre de l’orientation sexuelle de son voisin, de son parent, de son ami ou simplement de son concitoyen .
Pourquoi faut il dépénaliser l’homosexualité?
Pour protéger tous ces citoyens indépendamment de leur orientation sexuelle.
Car c’est un droit considéré comme un droit humain élémentaire par beaucoup d’instances internationales.
Pour éviter l’instauration d’une société homophobe.
Afin de protéger le droit à la santé des personnes LGBTI.
Et pour orienter les forces vives vers les enjeux de développement…