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Édito

Des riches et des autres

Par Zyad Limam - Publié en décembre 2022
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En regardant la Coupe du monde au Qatar, la dichotomie des regards apparaît assez nettement. Schématiquement, d’un côté, au Nord, en Occident, des critiques sur la démesure, la climatisation des stades, le traitement des travailleurs, le rigorisme religieux, le non-respect des droits LGBT. Des vraies questions, évidemment, incontournables, mais aussi la sensation d’un jugement à charge, à sens unique, sans nuances. Et puis de l’autre, au Sud disons, un autre regard, nettement plus positif, sur la capacité d’un petit pays, même riche, à organiser sans trop de soucis le plus grand événement sportif du monde, à assurer une certaine bonhomie, la sécurité des fans, sans les débordements habituels. Du ressentiment aussi vis-à-vis du sombre tableau peint par les médias du « Nord ». Et sportivement, les petites nations du foot ont montré qu’elles pouvaient aspirer à rivaliser avec les grandes, comme le Maroc l’a prouvé… Comme un symbole de ce monde qui change.

Les pays dits riches, l’Occident, le G7 pour faire simple, les États-Unis, la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Italie, le Canada, le Japon, auxquels on pourrait rajouter l’Australie, et aussi la Corée du Sud représentent aux alentours de 800 millions de personnes. Sur 8 milliards d’êtres humains. Donc 10 % de l’humanité. Hier, ce que l’on appelait encore les pays en voie de développement ne pesait pas grand-chose. À l’orée des années 1970, le G7 représentait les deux tiers de l’économie mondiale. Et assurait une domination globale, malgré la présence de l’URSS et du bloc communiste. Aujourd’hui, ces pays développés, riches, ne représentent plus que 40 % de la richesse globale, ce qui reste encore le signe d’une profonde inégalité, mais aussi le marqueur fort d’un changement systémique. La domination des uns se dilue, la marge de manœuvre des autres augmente. Les États-Unis sont toujours l’hyper puissance militaire et économique, mais leur pouvoir atteint des limites. La Russie, en asthénie économique et démographique, peut se permettre pour le moment de mener une guerre, même si elle est quasi suicidaire…

Surtout, la Chine s’est imposée en quarante ans comme la première puissance économique (en volume). Une mutation révolutionnaire. Le pays de Xi Jinping est un géant autoritaire, affaibli par sa politique zéro Covid et par les contradictions de plus en plus criantes entre autoritarisme politique et libéralisme économique. Mais c’est un géant quand même, avec une ambition planétaire. L’Inde aussi est en marche, elle est déjà dans l’espace. Son voisin le Pakistan détient l’arme nucléaire. Le Brésil, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, le Mexique, la Turquie, la Thaïlande, le Vietnam, d’autres encore, prennent place dans l’échiquier mondial. Les pays du Golfe sont assis sur de gigantesques montagnes de dollars, qui leur donnent un pouvoir d’influence majeur.

Ces pays émergents sont fragiles, divisés, socialement instables, politiquement polarisés, mais ils pèsent plus lourd, à la fois en tant que puissances économiques, producteurs, consommateurs, acteurs diplomatiques. Ils changent l’équilibre.

L’Afrique n’a pas encore de géants. L’émergence reste pour nous un objectif. Le Nigeria, l’Égypte, l’Afrique du Sud, le Maroc, l’Algérie ou d’autres sont encore loin de ce statut. Mais l’Afrique n’est pas marginale, elle représente un enjeu planétaire central. Aujourd’hui, un être humain sur huit est africain. 60 % de la population du continent a moins de 25 ans. Selon les estimations, il devrait compter plus de 2 milliards d’habitants en 2050. Avec les plus grandes conurbations urbaines de la planète, dont celle qui devrait progressivement relier Abidjan à Lagos, en passant par Accra, Lomé, Cotonou…

Démographiquement incontournable, l’Afrique sera au centre du débat climatique. C’est ici que la bataille se jouera, au cœur par exemple des forêts du bassin du Congo. C’est ici qu’il faudra inventer un lien opérationnel, entre développement économique et développement durable. Comment pourra-t-on dire aux Africains qu’ils devront se serrer la ceinture, renoncer aux énergies fossiles, au gaz, alors qu’ils ne sont responsables que de 3 % à 4 % des émissions globales ?

Le monde est beaucoup plus complexe que ne le voudrait le récit occidental. Culturellement, sociétalement, religieusement, l’humanité est un immense melting-pot. Le meilleur moyen de défendre l’universalisme, c’est de prendre en compte la diversité des systèmes et des pensées, de prendre en compte les injustices économiques et climatiques, de prendre en compte les richesses tout autant que les résistances culturelles. Le chemin sera long.