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8e Sommet Africités à Marrakech

Développement durable :
S'inventer un autre avenir

Par Alexandra Fisch - Publié en novembre 2018
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Décentralisation, collectivités locales, urbanisation, écologie, migrations, démographie, rôle des femmes… Il est temps de changer nos perceptions. Rendez-vous à Marrakech pour le 8e sommet Africités.
 
Du 20 au 24 novembre prochains se tiendra à Marrakech le grand sommet Africités, coorganisé par les Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique (CGLUA) et l’Association marocaine des présidents des conseils communaux (AMPCC), sous le haut patronage de Sa Majesté le roi Mohammed VI. Pour la seconde fois, la ville ocre reçoit cet événement de taille, qui réunit plus de 5 000 participants, 2 500 élus, 150 exposants et accueille près de 15 000 visiteurs, tous concernés par les villes, les territoires, les régions. Africités, c’est avant tout un espace démocratique d’échanges, mais aussi un outil pour former, une aide pour comprendre et agir sur les grandes évolutions mondiales. La 8e édition promet d’être dense, avec sa thématique sur « La transition vers des villes et des territoires durables ». Une nouvelle occasion pour les collectivités territoriales de réaffirmer leur rôle essentiel et de poser les dimensions des mutations en cours et à venir sur le continent. Tour d’horizon des enjeux du sommet.
 
Faire face à l’urbanisation galopante
À l’horizon 2100, l’Afrique sera le premier foyer de population de la planète, représentant presque un habitant du monde sur deux. L’ampleur de cette donnée est vertigineuse quand on pense aux défis qui vont devoir l’accompagner, même si les chiffres actuels sont déjà bien présents dans les esprits. En effet, aujourd’hui, un Terrien de moins de 18 ans sur deux vit sur le continent. L’époque n’est pas si lointaine, en 1960, où l’Afrique comptait seulement deux villes de plus d’un million d’habitants avec Le Caire et Johannesbourg. Aujourd’hui, leur nombre a explosé, 79 villes ont plus d’un million d’habitants, 21 villes en comptent plus de 2 millions et 5 villes dépassent même les 8 millions. Ces géantes (Lagos, Le Caire, Johannesbourg-Gauteng, Kinshasa et Nairobi) se trouvent dans chacune des cinq sous-régions. Autant dire que la question de l’urbanisation galopante et de ses conséquences est continentale. L’importance des villes, les dirigeants la reconnaissent aussi parce qu’ils savent que la ville est l’une des solutions du développement. En effet, les centres urbains génèrent 80 % du PIB mondial selon les statistiques de la Banque mondiale. C’est le pari réussi pris par le Rwanda au début des années 2000. L’État a inscrit l’urbanisation du pays et le développement de la ville de Kigali au coeur de son plan Vision 2020 pour en faire un pays émergent à l’horizon 2020. Il a développé les infrastructures et les services de base autour de la capitale et de six villes secondaires – Muhanga, Rubavu, Nyagatare, Huye, Rusizi et Musange –, et a réduit la pauvreté entre 2002 et 2012 malgré une forte pression démographique.
 
Les villes secondaires au premier plan
L’enjeu du développement des villes secondaires est une question importante dans les débats. Elle vient heurter les intérêts de ces grandes villes globales qui abritent le pouvoir central et qui regroupent les institutions financières, les sièges sociaux des multinationales, les pôles culturels. Avec leurs régions, ces mégalopoles profitent en premier de l’augmentation de la valeur des biens et services. Et la décentralisation est un pas difficile à franchir pour les pouvoirs centraux. Mais c’est oublier la réalité et ignorer l’avenir : 70 % de la population urbaine réside dans les villes secondaires et c’est dans les communes de 200 000 à 500 000 habitants que la croissance urbaine devrait être la plus forte d’ici à 2050. D’où la nécessité de parler à l’échelon local, de donner de la force et des outils aux décideurs locaux.
 
Sortir de la « métropolisation »
Les pays africains ont en majorité hérité l’organisation de leur système économique de l’époque coloniale. Il était alors question d’exploiter et d’extraire des matières premières pour alimenter l’industrie et les marchés de la métropole. Ce schéma d’aménagement du territoire perdure et s’intègre aujourd’hui dans le marché mondial. L’Afrique reste le continent fournisseur des matières premières et garde de grandes disparités d’aménagement d’un pays et d’un territoire à l’autre. Ces déséquilibres se ressentent dans l’urbanisation du continent, surtout côtière. 80 % des citadins vivent dans des pays côtiers.
 
Une transition économique vers le marché local et régional
Le défi pour renverser cette tendance est immense. La valorisation d’une grande partie des territoires avec le développement de marchés locaux reste à faire. Et on comprend mieux le mot d’ordre pour ce sommet Africités : la transition. Une transition assumée par les collectivités locales. Il s’agirait d’aménager, de moderniser et de dynamiser économiquement les territoires en partant des demandes locales, en prenant en compte les demandes du citoyen, plutôt que de chercher à appliquer une vision globalisée. M. Elong-Mbassi, secrétaire général de CGLUA, le confirme : « Les études que CGLU Afrique a conduites dans une cinquantaine de villes des pays d’Afrique de l’Ouest ont montré que les marchés locaux et régionaux offrent aux paysans un potentiel de marché pour leurs produits quatre fois supérieur à celui qu’offre le marché mondial », et de préciser qu’« en d’autres termes les villes intermédiaires et les petites villes et centres ruraux ont un rôle essentiel à jouer pour structurer les marchés locaux et régionaux et organiser l’interpénétration des économies rurales et urbaines. Ceci pour dire que sans les entités locales qui jouent leur rôle dans le développement des marchés locaux et régionaux, il n’y a point d’économie, ni nationale ni mondiale ». Pour financer ces transitions, CGLUA a d’ailleurs mis en place le Fonds de développement des villes africaines (FODEVA). Ce nouvel outil de financement coopératif doit permettre de mobiliser des ressources sur les marchés financiers pour les orienter vers les investissements des villes et territoires du continent. 
 
Une inévitable transition écologique
La transition n’est pas seulement économique, elle est aussi démographique, sociale, écologique, politique, culturelle. Ces nombreuses facettes interagissent. Les leaders des collectivités locales africaines vont en débattre. Quelles stratégies, quelles politiques locales adopter pour relever ces défis ? La transition écologique reste mondiale et incontournable. L’Afrique ne peut pas y échapper. La question n’est pas de chercher à réduire les émissions de CO2 (le continent est celui qui en émet le moins) mais de savoir comment construire des villes et des territoires durables. D’écouter les demandes des citoyens pour améliorer le cadre de vie. Les trophées Initiatives Climat décernés lors du sommet sont l’occasion de s’inspirer des actions positives du voisin. Il y a trois catégories de prix, selon la taille des collectivités locales : celle de moins de 20 000 habitants, celle de 20 000 à 100 000 habitants, et celle de plus de 100 000 habitants. L’impératif dans ces transitions est aussi d’adapter les politiques pour donner des réponses à des problèmes immédiats qui s’inscrivent aussi dans une stratégie à long terme. L’ONUHabitat estime que 80 % des Africains vivent dans des logements informels et près de 60 % dans des bidonvilles. Et dans les vingt ou trente prochaines années, on estime qu’il faudra construire dans les pays pauvres autant d’infrastructures qu’il en a été édifié jusqu’à maintenant. La transition va être un travail de longue haleine. D’autant qu’il est parfois difficile d’articuler échelon local et impératifs des multiples agendas : l’Agenda 2063, l’Agenda 2030 pour les objectifs de développement durable (ODD), l’accord de Paris, le protocole de Sendai sur la gestion des catastrophes, le programme d’action d’Addis-Abeba sur le financement du développement, le Nouvel Agenda urbain adopté à Quito (Équateur)… Africités donne, grâce à des sessions de formation, des clés de compréhension en les vulgarisant auprès des élus locaux et régionaux. Le sommet est aussi l’occasion de présenter de nouveaux outils comme Africapolis. Cette base de données géolocalisée sur les villes et les dynamiques d’urbanisation aborde aussi les thèmes liés à la transition démographique. La mise à jour 2018 (la dernière date de 2015) sera présentée, avec des données de l’ensemble du continent africain. Et puisque l’avenir de l’Afrique va nécessairement passer par sa jeunesse, Africités lance cette année le Forum des jeunes.
 

Une place essentielle pour les femmes

L’implication des femmes dans la mise en oeuvre des politiques et des stratégies publiques s’affirme année après année. Lors du sommet tenu à Marrakech en 2009, le Réseau des femmes élues locales d’Afrique (REFELA) avait été mis en place. Depuis, il met en oeuvre à chaque édition des campagnes aux thématiques fortes. Cette année, il s’agit de penser des villes sans violences faites aux femmes, des villes favorables à l’émancipation économique des femmes (cela fait écho à l’Union africaine qui déclarait l’année 2015 « année de l’autonomisation des femmes »), et aussi des villes sans enfants des rues (session présidée par SAR la Princesse Lalla Meryem). L’occasion indirectement de rappeler la force de travail et la créativité de 51 % de la population africaine !

La princesse Lalla Meryem du Maroc. DENIS/RÉA
Africités : 20 ans déjà !
Le premier sommet Africités qui se tient à Abidjan en 1998 est un pari fou doublé d’une volonté sans faille. Pour la première fois, des élus locaux d’Afrique se réunissent sans considération de leur région d’appartenance ou de leur langue officielle. Sont présents les élus originaires des pays anglophones de l’African Union of Local Authorities (AULA) dont le siège était à Harare au Zimbabwe ; les élus des pays de langue portugaise de l’União das Cidades Capitais Luso-Afro-Américo-Asiáticas (UCCLA) basée à Maputo au Mozambique ; et les élus des pays francophones de l’Union des villes africaines (UVA) dont le siège était à Rabat au Maroc. Au fil des sommets, Africités se structure, créant en 2003, à Yaoundé, Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique (CGLUA). Depuis, tous les trois ans, c’est avec la même effervescence que les élus locaux bâtissent l’Afrique de demain…