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Devenir la perle de l’Afrique de l’Ouest

Par Coralie Pierret - Publié en juin 2017
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De l’eau, un potentiel agricole et écologique immense, un sous-sol riche. Les RESSOURCES sont là. Pourtant, le train du développement reste difficile à attraper. Après un demi-siècle « perdu », l’urgence est désormais de s’inscrire dans une perspective de stabilité et de croissance durable.
 
«J’ai hérité d’un pays sans État », déclarait Alpha Condé en 2012, un an et demi après son arrivée à la présidence de la République. « Un État imparfait, mais qui se rénove », répète depuis six ans l’équipe gouvernementale à tour de bras, dans les conférences de presse, devant les bailleurs internationaux ou les investisseurs. La Guinée reste le onzième pays le plus pauvre au monde, selon le Fonds monétaire international (FMI). Son développement a été entravé par des années de déstabilisation et de gouvernance répressive, de l’indépendance en 1958 à 2010. Héritier de ces décennies de violence, Alpha l’opposant politique est élu à la tête de son pays. La tentative d’assassinat contre sa personne en 2011 et les manifestations meurtrières de 2013 en prélude des élections législatives déstabilisent les premières années.
 
Aujourd’hui, les bases sont installées et le « Professeur » (titre honorifique attribué à Alpha Condé) se plaît à occuper plusieurs fauteuils internationaux. Il vient de céder sa place au Sénégalais Macky Sall, le 17 mai dernier, à la tête de l’Organisation panafricaine pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS), qui a trois projets de barrage en Guinée, dont le plus important est celui de Koukoutamba.
 
Devenu promptement artisan de la lutte contre le changement climatique, soutenu par Ségolène Royal, ministre française de l’Environnement jusqu’au mois dernier, et son ami intime Bernard Kouchner, ancien ministre des Affaires étrangères, Alpha le panafricain plaide, avec l’énergie et la fermeté qu’on lui connaît, la cause du continent à la COP21. Naît à Paris l’Initiative africaine pour les énergies renouvelables (AREI), dont il est aussitôt nommé responsable, en raison des 1 200 cours d’eau guinéens et de leur capacité quasi inexploitée de 6 000 mégawatts, soufflet- on dans les couloirs d’un grand hôtel de Conakry, lors de la première réunion en février. Quelques semaines auparavant, le numéro 1 du « Château d’eau de l’Afrique de l’Ouest » avait déjà obtenu une consécration, élu par ses pairs pour succéder au tchadien Idriss Déby à la présidence de l’Union africaine.
 
Cette notoriété internationale fait s’emballer les tambours du troisième mandat. À la radio au petit-déjeuner, sur les bancs des gargotes autour d’un riz gras à midi, ou le soir dans les ruelles des quartiers, c’est l’un des sujets de débat favori. Quelques fidèles lieutenants soutiennent et réclament publiquement Alpha Condé en 2020. « Est-ce que les exemples voisins vous inspirent ? Après les deux mandatures, comptez-vous quitter le pouvoir ? », questionnait un journaliste il y a un an au palais présidentiel. « Chacun est libre de faire sa politique, je n’ai pas à porter de jugement. Personne ne me dira ce qu’il faut faire. Seul le peuple me le dira », répondait avec autorité le chef de l’État.
 
Depuis sa réélection en octobre 2015, il entretient le flou sur une possible candidature. Est-ce une réelle ambition ou une façon de faire taire les velléités présidentielles dans son camp ou dans celui de ses adversaires politiques ? Cellou Dalein Diallo, chef de file de l’opposition et candidat malheureux aux présidentielles de 2010 et de 2015, s’y oppose strictement. Il a d’ailleurs lancé un front anti-troisième mandat. « L’objectif est de demander au président de la République de réitérer ses engagements de se conformer à la Constitution et de ne pas la tripatouiller », précise-t-il. Selon l’article 154, le nombre et la durée de la mission suprême ne peuvent faire l’objet d’une révision. « Ce principe est inviolable et verrouillé. Ni l’Assemblée nationale ni le peuple par référendum ne peuvent le faire sauter », explique le juriste Mohamed Camara.
 
SE RELEVER D’EBOLA
 
Mais l’homme tumultueux de Conakry n’a que faire des débats politiciens. Il y a urgence à sortir le pays de la convalescence après le ravageur virus Ebola, qui a causé la mort de 2 500 Guinéens en deux ans. La maladie a mis en lumière les défaillances du système de santé, encore basé sur la médecine traditionnelle.
 
Avec l’appui de la communauté internationale, une Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSS) a été créée. Mais les délais de réponse aux fréquentes épidémies comme la méningite, la rougeole ou le choléra restent trop longs, et les centres de prise en charge sont encore insuffisants. Seulement 1 médecin guinéen est formé pour 10 000 habitants, 34 fois moins qu’en France, selon les chiffres du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Pendant l’épidémie, de 2014 à 2016, les affaires tournaient au ralenti, et les entrepreneurs, forts d’une confiance nouvelle depuis l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir, ont déserté. La Banque mondiale évalue les pertes à près de 535 millions de dollars.
 
Malgré tout, le pays semble tourner la page et prendre un nouvel envol. Docteur en droit, le chef de l’État a lancé des réformes pour assainir les finances publiques. Le FMI prévoit de 5 à 7 % de croissance en 2017. Mais, pour accélérer les signatures de conventions, les promesses de financements et booster le marché intérieur, la priorité sera de mettre à niveau le réseau routier, en piteux état.
 
À Conakry, les motos filent par centaines, dépassant les voitures et taxis jaunes cabossés, bloqués parfois pendant des heures dans les embouteillages à cause de la chaussée dégradée. Sur 7 000 km de routes nationales, seulement un tiers du réseau est goudronné. La formation de la jeunesse, qui subit un chômage de masse, devra aussi être l’un des chantiers phares. Les responsables de l’éducation tirent régulièrement le signal d’alarme.
 
En février 2017, la colère et la grève des enseignants a fait au moins cinq morts. Le chef de l’État a « mouillé le maillot » et s’est personnellement investi pour régler la crise scolaire en promettant de meilleures conditions de travail dans son bureau de Sékoutoureya. Mais en ne recevant qu’une partie des manifestants, critiquent des syndicalistes. À ce jour, un fonctionnaire gagne entre 400 000 et 900 000 francs guinéens (entre 40 et 90 euros) en moyenne par mois.
 
Même si un Guinéen sur deux vit toujours en dessous du seuil de pauvreté, une classe moyenne commence à éclore. Le temps d’un selfie dans les allées, d’une dégustation de glaces ou d’une virée shopping, elle côtoie les Guinéens aisés au Prima Center, l’unique centre commercial du pays. Cette galerie marchande, et surtout le barrage hydroélectrique de Kaléta, inauguré en 2015, ont largement servi d’arguments de campagne pour la réélection d’Alpha Condé. Cet ouvrage, d’une capacité de 240 mégawatts qui comble une partie du déficit énergétique du pays, a coûté 526 millions de dollars, financé conjointement par l’État (25 %) et China Exim Bank (75 %).
 
LES INVESTISSEMENTS CHINOIS
 
Le chef de l’État mise sur le développement des infrastructures. Ses décisions sont prises au sommet avec quelques proches et ministres. Ce « cabinet de la présidence » fait la part belle aux investisseurs chinois, et pour cause : ceux-ci convoitent les ressources du sous-sol. La Société minière de Boké (SMB) commercialise déjà la bauxite (lire page suivante). Le pays dispose des deux tiers de réserves mondiales de cette roche rouge indispensable pour fabriquer l’aluminium. D’autres entreprises sont candidates pour creuser le sol guinéen. La construction d’un grand port au nord en échange de l’exploitation du minerai de la région de Boffa est sur la table des négociations.
 
Ce permis pourrait être accordé à Chalco (Aluminium Corporation of China Ltd), filiale de Chinalco, membre fondateur de Simfer SA, le consortium formé pour exploiter le fer du mont Simandou, en Guinée forestière. Une fenêtre pour devenir actionnaire majoritaire s’est ouverte depuis que l’anglo-australien Rio Tinto s’est retiré du projet, son directeur général doutant de sa rentabilité à long terme. Côté guinéen, l’abandon est inconcevable. « Nous pouvons développer la mine, lancer les infrastructures à savoir la construction du chemin de fer et celle du port en eau profonde, » assure une nouvelle fois Alpha Condé, lors de son voyage en Chine pour négocier la reprise, en octobre 2016. Le projet est estimé à 18 milliards de dollars, l’exploitation devrait créer 45 000 emplois et doubler le produit intérieur brut (PIB). 100 millions de tonnes de fer pourraient être produites pendant plus de quarante ans.
 
Les investissements chinois s’étendront-ils aussi à l’agriculture ? L’empire du Milieu a déjà placé ses pions dans une partie de l’Afrique de l’Est, comme au Malawi, dans les plantations de coton. Au pied du mont Simandou, ou plus au nord sur les collines du Fouta-Djalon, la Guinée a un potentiel de 6 millions d’hectares de terres arables, dont 2 millions encore inexploitées (voir l’interview de la ministre de l’Agriculture, p. 80) qui pourraient placer le pays sur les rails du développement.