Dr Mohamed Anouar Jamali
«Produire plus, mieux, durablement»
Chief Executive Officer (CEO), OCP Africa
Pour le groupe marocain OCP, l’un des leaders mondiaux de production d’engrais et de nutriments, l’Afrique est un enjeu stratégique majeur. Et en particulier la Côte d’Ivoire. Entretien et retour d’expérience terrain avec le Chief Executive Officer de la filiale panafricaine.
AM: Quelle est la place de l’Afrique dans la stratégie du groupe OCP?
Dr Mohamed Anouar Jamali: L’Afrique est au coeur de notre stratégie. Nous sommes un groupe marocain, nous sommes un groupe africain, nous sommes intimement impliqués dans le développement de notre continent. Notre mission va bien au-delà des intérêts commerciaux. Nous sommes au coeur des enjeux agricoles. En Afrique, la population pourrait dépasser les 2 milliards d’habitants d’ici à 2050. Il faudra donc relever ce défi sans précédent de produire davantage de nourriture de manière durable et efficace. Aujourd’hui, près du quart de la production totale d’engrais du groupe OCP est destiné à répondre aux besoins du continent. Nous sommes donc pleinement engagés dans les objectifs de souveraineté alimentaire. Nous sommes également engagés dans la révolution agricole en cours.
L’Afrique possède des atouts considérables, notamment le plus grand potentiel mondial en matière de terres arables et d’accroissement des rendements. Mais le secteur doit se transformer pour faire face à l’ampleur des besoins et des opportunités. Nous appuyons cette transformation par une approche holistique, globale, qui dépasse la vente d’engrais. Nous agissons en renforçant la recherche et les études des sols, en structurant des initiatives durables pour accompagner les agriculteurs africains avec des solutions innovantes et adaptées à leurs besoins, en développant des programmes de formation. Nous en sommes convaincus: l’Afrique peut non seulement nourrir sa population, mais aussi contribuer à la sécurité alimentaire mondiale, et ce tout en s’adaptant aux changements climatiques.
Quelle est la spécificité d’OCP Africa?
Servant plus d’une quarantaine de pays sur le continent, avec quatorze filiales, OCP Africa est un acteur clé de cette approche intégrée qui englobe la formation, l’accès aux intrants, le financement, la mécanisation, ainsi que les solutions digitales. À ce jour, nous avons soutenu et formé plus de 3,2 millions de fermiers. En collaboration avec nos partenaires locaux, nous avons cartographié près de 50 millions d’hectares de terres agricoles. Cela nous permet de proposer en continu des formules de fertilisants et de culture. Ce travail de précision a permis d’augmenter les rendements de certaines cultures, comme le maïs ou le riz, de 20 à 40% selon les régions. Nous sommes engagés dans le développement de solutions à la fois opérationnelles et durables pour les petits exploitants, qui constituent le coeur de l’agriculture continentale. Sans eux, absolument rien n’est possible.
Dans cette stratégie globale, quelle est la place de la Côte d’Ivoire?
C’est l’un des pays clés de notre approche holistique. La Côte d’Ivoire est une puissance agricole grâce à ses sols fertiles, à son climat tropical, et surtout à l’engagement de l’État ainsi qu’au travail de tous les acteurs des différentes filières. C’est le premier producteur mondial de cacao, un acteur majeur pour le café, la noix de cajou, le caoutchouc. Le pays a fait des avancées remarquables dans des filières agricoles stratégiques, comme le riz, le maïs et le manioc, et nous sommes fiers de contribuer modestement à ces progrès. Depuis plus de dix ans, nous travaillons main dans la main avec les autorités ivoiriennes et les acteurs locaux pour soutenir le développement du secteur. Nous déployons un ambitieux programme d’une douzaine de projets stratégiques. Et en accentuant les cercles vertueux en matière d’investissements, de recherche, de formation, la Côte d’Ivoire pourra certainement assurer sa sécurité alimentaire, mais aussi devenir un modèle d’agriculture durable pour toute l’Afrique de l’Ouest.
Les investisseurs doivent-ils s’intéresser au secteur agricole en Côte d’Ivoire?
Absolument, le secteur offre d’immenses opportunités pour les investisseurs, tant locaux qu’internationaux. Tout d’abord en s’inscrivant dans les objectifs de souveraineté alimentaire définis par le gouvernement, par exemple le riz. En investissant aussi dans le secteur agro-industriel et la transformation des matières premières phares, comme le cacao, pour accroître la valeur ajoutée locale et assurer un emploi durable à la jeunesse ivoirienne. Mais aussi en travaillant sur des secteurs connexes et tout aussi importants, comme les infrastructures de transport et de stockage, les technologies agricoles, les services financiers dédiés aux agriculteurs. Le développement des infrastructures, par exemple, pourrait réduire les pertes post-récolte et faciliter l’accès aux marchés.
En quoi OCP Africa participe-t-il à la réalisation de cet objectif?
Nous collaborons étroitement avec les autorités ivoiriennes pour structurer la chaîne de valeur du riz et aussi celle du maïs. Nous travaillons sur la formation, l’innovation, le développement de formule d’engrais adaptés qui augmentent le rendement de 20%. Nous avons mis en place des fermes modèles qui agrègent les petites exploitations et fournissent des services complets, incluant mécanisation, financement et accès aux marchés. En 2023, 4000 producteurs de riz et de maïs ont bénéficié de ces initiatives, contribuant à une production de plus de 25000 tonnes sur 4500 hectares, avec des rendements satisfaisants.
Vous êtes impliqué, en amont, dans un projet éducatif majeur, celui de la Digital Farming School à Yamoussoukro. En quoi la formation est-elle une activité commerciale?
La Digital Farming School entre pleinement dans notre concept d’approche globale. La formation est un levier indispensable pour assurer un développement agricole durable. L’école est un projet phare développé en partenariat avec l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) et l’Institut polytechnique Félix Houphouët- Boigny (INP-HB). C’est la première école d’agriculture digitale en Afrique! Adossée à une ferme expérimentale, elle répond à d’incontournables priorités: préparer une nouvelle génération aux évolutions de l’agriculture moderne, se former à ce que l’on appelle dorénavant l’agritech, contribuer à la transformation durable de l’agriculture ivoirienne, et plus largement africaine.
En quoi le digital farming est-il un élément stratégique dans le développement des agricultures africaines? Le digital farming, l’agriculture numérique, l’agritech… Ces concepts sont révolutionnaires pour le secteur agricole, particulièrement en Afrique. Il s’agit d’appliquer des technologies numériques pour optimiser l’ensemble des processus, depuis la gestion des sols jusqu’à la commercialisation des récoltes et la réduction des pertes après récolte. L’approche digitale permet d’intégrer les questions liées au stockage, au traitement, à la transformation et à la distribution des produits agricoles.
Et aussi de maîtriser au mieux les conditions climatiques changeantes. Le modèle digital permet enfin d’attirer les jeunes Africains vers les métiers de l’agriculture. Ces vocations sont nécessaires. Des discussions en cours avec des acteurs locaux et globaux portent sur le développement de la Digital Farming School dans d’autres pays du continent.
La Côte d’Ivoire doit faire face à d’importants enjeux en matière de changement climatique et de développement durable. Que peut apporter OCP sur ce front?
Nous agissons là où nous avons une expertise et une expérience. L’un des plus grands défis pour l’agriculture durable en Afrique reste la dégradation des sols. OCP Africa a adopté une approche intégrée basée sur la cartographie des terres agricoles et le développement de formules spécifiques d’intrants pour chaque région. En Côte d’Ivoire, nous avons cartographié 2,5 millions d’hectares, permettant de développer 23 formules spécifiques pour la culture du cacao. Dans cette bataille, la technologie est un allié indispensable. À titre d’exemple, OCP Africa développe l’utilisation du GIS, le Geospatial Information System, en partenariat avec des équipes de recherche de l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) et du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Le GIS se positionne comme un outil essentiel dans le suivi des cultures en Afrique. Cet outil permet d’ores et déjà de produire des cartes agricoles reconnaissant les parcelles et les cultures, de suivre leur croissance, de détecter les maladies, de prédire et d’estimer les rendements. Ces données précieuses facilitent les actions, préventives ou correctives, à entreprendre par tous les acteurs concernés, depuis les petits fermiers jusqu’aux autorités compétentes, en passant par tous les partenaires.