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Édith Brou : « Nous sommes les Ivoiriens nouveaux ! »

Par DOUNIA BEN MOHAMED - Publié en mars 2017
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À 33 ans, elle est une star du web. Symbole d’une génération décidée à changer les choses grâce aux technologies digitales et aux réseaux sociaux, elle invite les jeunes à croire en eux.

AM : Comment êtes-vous devenue « la blogueuse » de Côte d’Ivoire ? Quel est votre parcours ?
 
Édith Brou : J’ai 33 ans. J’ai fait toutes mes études en Côte d’Ivoire. Mon cycle secondaire, je l’ai passé dans l’excellent lycée Sainte-Marie de Cocody, où j’ai eu mon bac D. Et j’ai fait deux années d’études en sciences économiques et de gestion à l’université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan. Je suis devenue blogueuse en 2009 après avoir découvert les blogs d’Éric Dupin et d’Israël Yoroba. J’ai voulu tout de suite faire comme eux.
 
Et comme j’étais passionnée par l’écriture, j’ai décidé de partager ma passion des nouvelles technologies avec les Ivoiriens. Ensuite, avec mon activisme social dans des ONG comme Akendewa (dont je suis membre fondateur), mon statut de blogueuse a commencé à prendre de l’ampleur hors des frontières de mon pays. Et je me suis lancé un autre défi en 2011, celui de cofondatrice d’Ayana, le premier webzine féminin, avec mon amie du lycée, Amie Kouamé. Pari réussi ! Aujourd’hui, je suis aussi la présidente de l’Association des blogueurs de Côte d’Ivoire (ABCI) et membre du réseau des Africtivistes.
 
Vous avez également créé une agence numérique. Un secteur qui, après un retard certain, est en plein essor en Côte d’Ivoire…
 
Oui. Il s’agit d’Africa Contents Group, un groupe de médias digitaux que j’ai créé il y a quelques mois et dont le produit principal est un site d’info-divertissement qui s’appelle BuzzyAfrica. Je positionne ce média comme le BuzzFeed ou le Démotivateur version africaine. Avec nos 10 000 visiteurs/jour, nous offrons du sourire, des découvertes, du fun, des top, des listes, des quiz, mais aussi de l’info. Sur l’évolution du secteur, je vais commencer par vous donner quelques chiffres. En 2017, la Côte d’Ivoire a une population estimée à 23 740 424 habitants. Et seulement 5 230 000 habitants se connectent régulièrement à l’Internet, soit un taux de 22 % de la population.
 
C’est un nombre non négligeable qui est en perpétuelle évolution. 81 % des internautes se connectent aux réseaux sociaux. Depuis déjà deux ans, le secteur du numérique est devenu très dynamique. La Côte d’Ivoire dispose maintenant d’un texte de loi qui légifère ce secteur, d’un ministère de l’Économie numérique et de plus d’une dizaine d’agences digitales locales et internationales, dont Fred & Farid, Ronin, Blue Lions, AGM, People Input, La Digitale, Totem Expérience, etc. Et les agences de communication classiques s’y sont mises aussi. Voodoo, Publicis (Red Africa), Ocean Ogilvy, McCann, etc.
 
Quel rôle jouent les réseaux sociaux, et le web, plus largement, dans un pays où la jeunesse se cherche ?
 
Les marques nationales et internationales professionnalisent leur présence sur les réseaux sociaux. Avec la baisse du coût des forfaits Internet mobile et la consommation accrue de la vidéo (surtout en AutoPlay sur Facebook et sur Instagram), de nouveaux influenceurs digitaux ont émergé. Ils drainent chaque jour des milliers de fans sur Facebook, Instagram, Twitter et Snapchat. On peut citer entre autres : Papounigang, Ange Freddy, Prissy Ladegammeuse, Observateur, Gbane Yacouba, Jeff le Béninois, etc.
 
Les blogueurs ivoiriens aussi sont régulièrement sollicités par les marques pour collaborer à leurs lancements ou à l’amélioration de leur visibilité. Les métiers du digital connaissent un véritable engouement. Les entreprises cherchent constamment à recruter des community managers, des trafic managers, des développeurs, des référenceurs, des webdesigners, des digital managers, des data scientists… Il y a une pénurie de community managers en ce moment.
 
Un secteur qui offre de nouvelles alternatives aux jeunes en quête d’emploi. À travers l’autoentrepreneuriat en particulier, jusqu’ici peu en vogue en Côte d’Ivoire où, la voie royale, c’était une bonne place dans l’administration ou le privé…
 
Oui. Avec les différents modèles de réussite dans ce domaine et l’avènement des nombreux concours de start-up, les populations et les gouvernants ont compris que l’une des manières de résorber le chômage en Côte d’Ivoire est de favoriser l’esprit entrepreneurial chez les plus jeunes. Les jeunes Ivoiriens, avec l’ouverture d’esprit que leur offre l’accès à Internet, ont compris que l’État-providence était fini depuis de nombreuses années. L’État n’a plus la capacité d’absorber tout le marché de l’emploi. De même que les PME, avec le problème d’adéquation « formation-besoins du marché de l’emploi », ne peuvent pas tout absorber non plus.
 
Quelles sont les difficultés que rencontrent ces jeunes quand ils se lancent dans l’entrepreneuriat ?
 
Les financements, principalement. Les banques ne veulent pas prendre de risques. C’est un peu idiot alors que dans d’autres pays, comme l’Afrique du Sud, le pourcentage de prêts aux entreprises avoisine les 150 %… Mais il existe des entités gouvernementales, comme l’Agence emploi jeunes de Côte d’Ivoire, qui font des efforts pour favoriser des entreprises créées par des jeunes.
 
Plus généralement, à quoi aspirent les jeunes Ivoiriens d’aujourd’hui ?
 
Ils aspirent à la paix, à un travail décent et à l’autonomie financière. Ils ont aussi besoin de se sentir écoutés par leur gouvernement. Les Ivoiriens veulent un meilleur système de santé, accessible même aux plus pauvres. Ils veulent moins de taxes douanières et plus d’ouverture commerciale.
 
Vous représentez une génération « qui se bouge », fait les choses par soi-même sans forcément les attendre de l’État… C’est l’Ivoirien nouveau auquel appelle le président Ouattara ?
 
Oui, on peut dire ça. Nous sommes les vrais « Ivoiriens nouveaux ». Ces Ivoiriens qui font partie de la génération des millennials (nés à partir des années 1980), bercés par l’accès à Internet, engagés dans des causes sociales, conscients de leur plein potentiel, fatigués des codes désuets, pressés par le changement et par des actions concrètes, fiers de leur pays qu’ils veulent voir grand et puissant, exaspérés par l’injustice.
 
Assoiffés de transparence et d’open data. Passionnés de voyage, de fun, une génération dont le coeur bat au rythme des autres générations connectées des pays africains. Une génération fière de ses origines et de son « africanité »… Une génération passionnée, cultivée, fière et incrédule, dont j’ai la chance de faire partie.
 
Deux mots sur vos projets futurs, à court, moyen et long terme : où vous voyez-vous dans dix ans ?
 
Avec BuzzyAfrica, nous nous lançons également dans la production de vidéos ludiques et informatives, de mini-séries web. Nous serons également partenaires de Coco Bulles, la 4e édition du festival de la BD en Côte d’Ivoire. Le 2 mars 2017, je participe aux Adicomdays (conférence de la communication digitale, à Paris). Et je serai présente à Brazzaville mi-avril pour le Salon des technologies de l’information et de l’innovation. Dans dix ans ? Eh bien… BuzzyAfrica sera devenue un média hyperpuissant en Afrique et reconnu dans le monde. Et Africa Contents Group fera partie du top 50 des entreprises africaines.
 
Et la Côte d’Ivoire, dans dix ans, vous la rêvez comment ? Quel est votre rôle, vous jeunesse ivoirienne ?
 
Je la vois puissante, riche, dynamique et très innovante. J’ai à coeur de créer de nombreux emplois pour les jeunes. Je veux aussi pouvoir partager le maximum de mes connaissances en entrepreneuriat, marketing et digital dans des écoles et universités. Je me vois certainement proposer de nouvelles politiques pour le développement de l’économie numérique et favoriser l’émergence des inventeurs de génie dans mon pays.