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Elles sont bien décidées à compter !

Par - Publié en juin 2017
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Elles enseignent, militent, chantent, créent, informent… Rencontre avec cinq femmes qui font bouger les lignes.

Elles ont entre 20 et 40 ans, elles sont journalistes, enseignantes, écrivaines, artistes ou cadres dans les ministères. Alors que Conakry, désignée Capitale mondiale du livre 2017 par l’Unesco, a les projecteurs du monde culturel braqués sur elles, ces femmes sont fermement décidées à prendre leur destin en main. Elles construisent des bases nouvelles pour veiller au respect de leurs droits et de ceux de leurs enfants. Elles se battent pour la promotion de l’éducation, contre toutes les formes de violence, contre l’excision ou encore pour valoriser le travail des femmes dans les industries qui font vivre le pays. Souvent issues de la diaspora et revenues en Guinée pour contribuer à son développement, elles sont nombreuses à avoir créé leur propre ONG. Parfois dans l’ombre, mais jamais en silence, elles clament haut et fort leur devoir d’exister.
 
Diaka Camara
La volonté à l’américaine
Un débit de mitraillette, et un discours truffé d’anglicismes. Diaka Camara, 36 ans, est une femme énergique. Productrice et journaliste star de la chaîne Espace TV, elle anime l’émission musicale Top 10, très suivie par les jeunes. « Ils sont l’avenir, ce sont eux qui changeront notre pays, et je veux y contribuer en les exhortant à l’action. C’est pour cela que je suis revenue. » Longtemps expatriée aux États-Unis, où elle a obtenu un bachelor en communication et journalisme à l’université de Houston, elle est de retour depuis 2011. « C’était pour moi une évidence. La Guinée vivait un renouveau et je voulais y participer. » Femme d’action, elle multiplie les initiatives, à la tête de sa Fondation et comme ambassadrice de « Conakry capitale mondiale du livre 2017 ».
 
« Je mets ma notoriété au service de ce combat. L’État ne peut pas tout et la société civile doit prendre ses responsabilités. Notre pays compte 65 % d’analphabétisme. Son avenir tout entier s’en trouve compromis. D’où mon autre émission, Livre en action, qui me tient particulièrement à coeur. Mettre des livres devant les yeux de ces jeunes leur donnera envie d’apprendre. Le développement passe par la lecture, j’en suis convaincue. »
 
Binta Ann 
Une vie pour lutter contre l’excision
La France, les États-Unis... Binta Ann a vu bien des pays. Mais il n’y en a qu’un qui est cher à son coeur. Le sien. De retour depuis trois ans, cette jeune quadragénaire déborde d’énergie pour accompagner la génération nouvelle vers un avenir meilleur. Professeur d’anglais au lycée français de Conakry, elle oeuvre, le soir venu, à l’alphabétisation des enfants de son quartier et contre l’excision des jeunes filles. C’est pour elle le combat d’une vie, mené au sein de sa Fondation pour les enfants et les femmes (Fonbale), financée sur ses fonds propres, et en tant que membre du comité d’organisation de l’événement « Conakry Capitale mondiale du livre 2017 ». Avec comme seule force celle d’une foi inébranlable.
 
« L’excision est une abomination. Et c’est à nous, les femmes, de nous lever pour dire stop ! et pour protéger les jeunes filles d’aujourd’hui », assène-t-elle. Et c’est peu de dire si lutter contre la tradition est difficile… « J’ai fait du porte-à-porte pour expliquer et convaincre. J’ai été agressée, blessée, insultée, on a vandalisé ma voiture. Qu’importe, j’y suis retournée. » Binta Ann n’est en effet pas du genre à se laisser impressionner. « À force d’abnégation, on prenant bien soin d’expliquer que l’on ne lutte pas contre une culture, mais contre un problème de santé publique, on arrive à convaincre. Je me suis fait accompagner d’anciennes exciseuses repenties qui, mieux que personne, peuvent raconter les dangers de l’excision, insister sur le fait que, chaque année, de nombreuses jeunes filles meurent des suites de ces mutilations. »
 
Afiwa Mata Ahouadjogbe 
Son combat pour l’information et pour les droits des femmes journalistes
Voilà sept ans que Afiwa Mata Ahouadjogbe se bat, au sein de l’Association des femmes journalistes de Guinée (AFJG), pour faire valoir leurs droits. C’est loin d’être une sinécure tant l’égalité des sexes est encore un doux rêve en Guinée-Conakry. Alors, une femme journaliste… « On nous assimile trop souvent à des femmes de mauvaise vie, se désole-t-elle. Parce que l’on n’a pas d’horaires, que l’on travaille tard, que l’on est sans cesse en déplacement… » La jeune femme, formée à l’université, avec une thèse en communication et marketing en poche après des études de gestion, ne choisit donc pas la facilité quand elle se lance dans une carrière de journaliste.
 
« C’est un sacerdoce. J’ai la chance que mon mari me soutienne, sans cela, rien n’aurait été possible. Mais ce n’est pas le cas de ma belle-famille, qui ne comprend pas pourquoi je ne suis pas plus présente à la maison pour m’occuper de mes enfants. » Pas question de transiger, pour autant. Afiwa Mata Ahouadjogbe entend mener vie privée et vie professionnelle de front. « Nous avons une responsabilité sociale à assumer. Les Guinéens vivent dans l’ignorance, et notre rôle est de leur apporter les clés pour comprendre, pour penser par eux-mêmes. L’information, de même qu’un médecin peut sauver des vies, c’est ainsi que je conçois mon métier. » Elles sont une centaine de femmes à oeuvrer en ce sens au sein de l’Association. En 2010, elles n’étaient que quinze. Leur influence croît. Elles ont l’avenir pour elles, elles en sont persuadées.
 
Zeinab Camara
L’envie de faire changer les choses de l’intérieur 
AU DÉBUT, elle s’exprime tout bas, peu à l’aise s’il s’agit de parler d’elle. Mais dès qu’on évoque Women in mining, une énergie nouvelle l’anime. « Mon esprit est toujours en recherche de solutions aux problèmes des femmes dans le secteur minier. Elles sont très peu représentées, comme dans tous les secteurs, mais sont les premières à en subir les impacts négatifs. » Avec cette fondation qu’elle préside, elle oeuvre à promouvoir cette activité et à en améliorer les conditions de travail. « Nous souhaitons mettre en place un congé de maternité, par exemple, et réorganiser les horaires afin de laisser du temps libre. » Cette jeune femme de 36 ans, fille de diplomate et petite-fille de ministre, est revenue en Guinée en 2008, après avoir débuté sa carrière à Londres, au ministère de la Santé. Aujourd’hui chef de cabinet au ministère de l’Enseignement supérieur, elle croit en la parole d’État, même si elle se bat au quotidien pour qu’il « agisse mieux ». Et puis elle encourage les jeunes diplômés à se tourner vers le secteur public plutôt que vers le privé, pourtant très séduisant, parce que « c’est là qu’il y a un impact sur le changement ».
 
Keyla K
Le rap qui éduque
« ON FAIT AVEC », « Laisse-les parler », « J’aimerais croire »… Les messages de la jeune rappeuse de 21 ans cherchent à être les plus clairs possible. Cela fait trois ans qu’elle a adopté ce style de musique dont les représentantes féminines manquent cruellement en Guinée, selon elle. En passant des podiums à la scène, cette ancienne mannequin a souhaité incarner son idée selon laquelle « les femmes se battent pour ce qu’elles veulent ».
 
Ce qu’elle veut, Keyla K, c’est parler à son jeune public, notamment féminin. « J’écris depuis l’âge de 12 ans. Tout m’inspire, mais surtout les problèmes de l’Afrique et de mon pays. » Pour l’album qui sortira cette année, elle prépare une chanson qui rend hommage aux femmes, aux mamans, et à celles qui n’ont pas pu l’être. La lutte contre l’excision fait également partie de ses combats. « C’est nous, les femmes, qui la subissons mais ce sont aussi des femmes qui la font subir. Une femme qui parle aux femmes, c’est le meilleur moyen d’être entendue. » Pour aborder ce thème délicat, Keyla K s’essaie pour la première fois au slam, afin d’accroître le pouvoir de ses mots et de bien se faire comprendre. Soutenue par ses nombreux fans, elle les encourage en retour à poursuivre leurs études. « L’école est le seul outil véritable d’émancipation dans un pays qui compte autant d’analphabètes », affirme-t-elle. Elle-même titulaire d’une licence de communication, Keyla K se sent ainsi investie d’une mission d’éducation : « En suivant mon exemple, eux aussi peuvent réussir. »